Lumière sur la dite dépression saisonnière

Dossier écrit de l’épisode 477

La dite dépression saisonnière est le fait de sentir moins joyeux et avec moins d’énergie en hiver comparé à l’été. Dès fois certains parlent de « blues hivernal ». Grossièrement, la dépression saisonnière c’est se plaindre que le mauvais temps nous donnent le cafard. Mais qu’en est-il réellement ? Est-ce une simple expression de tous les jours ou une réelle pathologie au point de parler de dépression et de maladie ? Pour être au clair, il va falloir rapidement mieux définir ce qu’est un trouble de l’humeur dont fait partie la dépression. Car, bon, dans l’expression « dépression saisonnière », il y a dépression.

Psychopathologie

Les troubles de l’humeur

D’abord, l’humeur. L’humeur, en gros, c’est une émotion en arrière plan de notre quotidien qui dure sur une journée ou plusieurs jours. Par exemple, s’être levé de mauvais pied, c’est se réveiller de mauvaise humeur. On parle de trouble de l’humeur lorsqu’elle est trop intense au point que ce soit hors norme et trop extrême voire carrément handicapant. Par exemple, être trop joyeux, enthousiaste et optimiste où la personne minimisera les problèmes. Ou à l’inverse être trop triste et pessimiste. Et la dépression c’est ça : avoir une intense tristesse qui dure dans le temps (au moins 2 semaines).

Figure 1 : Les troubles de l’humeur selon la CIM10
(Classification Internationale des Maladies)

Ne dites plus dépression saisonnière mais Trouble Affectif Saisonnier

Une dépression saisonnière serait alors vivre une tristesse intense – et tous les autres symptômes d’une dépression – au moment d’une saison particulière. Et ici, en l’occurrence, débutant en automne pour finalement durer tout l’hiver. Les symptômes dépressifs s’en allant d’eux-mêmes à l’arrivée des beaux jours et du printemps. Et ça tous les ans. Ce serait ça, la dépression saisonnière.

Donc comme une dépression, mais uniquement sur une saison. Donc pas tout le temps, mais par épisode régulier ou récurrent. C’est pourquoi certaines classifications psychopathologiques différencient un trouble de l’humeur qui dure tout le temps, d’un trouble de l’humeur récurrent voire cyclique ! L’exemple typique est le trouble bipolaire. Bipolaire car l’humeur tourne en rond entre une phase très voire trop optimiste joyeuse et une phase très voire trop pessimiste triste. Et si c’est récurrent ou cyclique suivant les saisons on parle de dépression saisonnière ou plus exactement de « trouble affectif saisonnier ». C’est en effet le terme qu’on utilise en science. Désormais je ne parlerai plus de dépression saisonnière mais de trouble affectif saisonnier (TAS).

Figure 2 : les symptômes dépressifs

Trouble Affectif Saisonnier : une réelle dépression ?

Pour résumé (Figure1), parmi les troubles de l’humeur on a la dépression certes, mais aussi tout un tas de troubles de l’humeur cyclique ou récurrent dans le temps. Et parmi celles-ci existent le trouble affectif saisonnier ou le cycle colle parfaitement aux cycles des saisons. Ainsi, malgré des symptômes communs, la dite « dépression saisonnière » ne serait pas une dépression à proprement parler. C’est pourquoi on l’appelle trouble affectif saisonnier (et pas dépression !), avec certes oui, une phase dépressive durant l’hiver.

Pour bien différencier les deux, entre dépression et trouble affectif saisonnier, au niveau subjectif et des ressentis, une dépression c’est se sentir triste et pessimiste au point de penser que tout est foutu et qu’il n’y ait plus rien à faire. Alors que pour un trouble affectif saisonnier c’est davantage la fatigue qui est au premier plan au point de ne rien pouvoir ou vouloir faire.

Différences entre dépression et Trouble Affectif Saisonnier

Dépression et trouble affectif saisonnier ont donc les mêmes symptômes, mais ceux au premier plan ne sont pas les mêmes. On peut simplifier tous les symptômes dépressifs en quatre grands groupes (Figure2) :
tristesse et pessimisme, ne percevoir que le mauvais côté des choses ;
faible estime de soi, culpabilité voire des idées noires et isolement social ;
– troubles du comportement alimentaire au point de manger tout le temps ou jamais ;
– troubles du sommeil et une fatigue excessive où même les pensées sont ralenties.

Ces 4 groupes de symptômes sont typiques de la dépression avec la tristesse, le pessimisme et l’angoisse au premier plan. Quitte à avoir des idées noires. Or pour le trouble affectif saisonnier ce ne sont pas ces types de symptômes au premier plan. Les idées noires et suicidaires sont par exemple assez rare lors d’un trouble saisonnier affectif. Pour ce dernier, c’est davantage la fatigue, les troubles du sommeil et les troubles du comportement alimentaire qui sont au premier plan. Pour résumé, parmi les 4 grands groupes de symptômes, 2 sont davantage au premier plan de la dépression et 2 sont davantage au premier plan du trouble affectif saisonnier (Figure3). Pour la dépression la tristesse et la faible estime de soi. Pour le trouble effectif saisonnier la fatigue des troubles du sommeil et les troubles du comportement alimentaire.

Figure 3 : dépression Vs trouble affectif saisonnier

Concrètement : exemples cliniques caricaturaux

Pour rendre plus concret la chose, je peux essayer des cas cliniques caricaturaux.

Si j’ai tous les jours du mal à me réveiller, à me lever. Mais que je me dis que.. aller, aujourd’hui je vais me motiver. Mais qu’au bout d’une heure je suis déjà crevé. Ça me fou un coup au moral : même pas capable de tenir une matinée ! Je me rendors alors. Pour quelques minutes. Finalement voilà que je me réveille 2 ou 3 heures après. Alors je me dis que je vais me faire des pâtes, au moins ça va peut-être me réveiller. Me voilà avec une assiette remplie, en grande quantité.
Trouble affectif saisonnier.

Si j’ai tous les jours du mal à me réveiller, à me lever ; et qu’en plus je dois aller m’habiller pour aller faire des courses, puis aller travailler, puis… Ça va me prendre des plombes. Déjà, rien que s’habiller serait un exploit. Mais alors sortir pour marcher et s’aventurer… Rien que ça, j’en angoisse déjà. Et puis merde quoi. Sacré bon à rien que je suis. Je ne suis même pas capable d’aller me bouger pour faire des courses. Chose que la plupart des gens font sans difficulté. Je glande toute la journée. À rien faire. Même au bureau c’est d’une morosité. Et voilà que je me plains encore, alors que quand même j’ai un toit où m’abriter. Je ne vaux même pas la vie que je vie depuis que je suis né.
Dépression.

Jusque là on a parlé de symptômes. Mais quelle serait la cause de tout ça ? L’approche de l’hiver, vraiment ? Pourquoi pas, mais alors pourquoi cela concerne que certaines personnes ? Pourquoi, à l’approche de l’hiver, tout le monde n’est pas atteint d’une intense fatigue chronique au point d’avoir un syndrome dépressif ?

Figure 4 : symptômes caractéristiques a priori les plus fréquents
lors d’un trouble affectif saisonnier (Chneiweiss, 2014)

Le Trouble Affectif Saisonnier

Un intérêt scientifique apparu dans les années 80

Le trouble affectif saisonnier a été pour la première fois décrit par le psychiatre Norman Rosenthal dans les années 1980. Arrivé à New-York, après avoir quitté son pays natal qu’est l’Afrique-du-sud, il se décrit comme fatigué et moins productif spécifiquement pendant l’hiver. En Afrique-du-sud il n’a pas trop connu de froides températures si longtemps et de courtes journées au point qu’il fasse nuit la majorité du temps. Selon lui, ce serait ça la cause de son manque d’énergie ressenti durant la saison hivernale de l’hémisphère nord. Et c’est de là qu’a commencé l’étude du trouble affectif saisonnier.

Pour ne citer qu’une étude exploratoire, en 1989 son équipe a mené une enquête téléphonique sur un échantillon représentatif de la population de Maryland, l’État des États-Unis juste au-dessus de la capitale Washington. Les chercheurs constatent alors que l’humeur évolue parmi la population et spécifiquement en hiver. Et l’élément principal évoqué étant la fatigue (et non pas, encore une fois, la tristesse et l’angoisse comme lors d’une dépression).

Figure 5 : Résultats du SPAQ (Seasonal Pattern Assessment Questionnaire) dans Kasper et al (1989)

Avec des chiffres, sur les 416 personnes interrogées, 92 % observent des variations d’humeur au cours d’une année (Figure5). 27 % déclarent que c’en est un problème et donc un potentiel handicap dans la vie. Et au total moins de 10 % correspondraient aux critères d’un trouble affectif saisonnier. Comment ils ont pu déceler cela juste par téléphone ? Bah en fait, il leur on fait passer un simple questionnaire toujours aujourd’hui utilisé, évaluant l’humeur sur les différentes saisons : le Seasonal Pattern Assessment Questionnaire (SPAQ).

Seasonal Pattern Assessment Questionnaire (SPAQ)

Durant ce questionnaire on nous demande par exemple d’évaluer à quel(s) mois on se sent le mieux (Figure6). Quel(s) mois on se sent le plus fatigué, les mois où on mange le plus, où on perd le plus de poids etc. Puis évaluer l’intensité de ces mêmes critères. Pour l’étude de 1889, ils ont chiffré tout ça simplement en additionnant les intensités (Figure5), on se retrouve alors avec un score entre 0 et 24. La moyenne tournait autour de 5 ; et 10 % ont des scores élevés au-delà de 10. Alors certes un tel questionnaire permet d’évaluer et d’explorer. Mais je ne sais pas à quel point c’est comparable à d’autres tests de l’humeur standardisés plus largement utilisés.

Figure 6 : Aperçu du Seasonal Pattern Assessment Questionnaire (SPAQ)
Ici des versions anglophones de ce même Norman Rosenthal
Ici une version francophone

Critères réels du diagnostic

Dans tous les cas, le questionnaire ne reste qu’un indice pour diagnostiquer si oui ou non il y a des symptômes en forte intensité. Car finalement, tout le monde est sujet à des variations d’humeur et notamment des variations d’humeur en fonction des saisons. Juste que pour certains c’est tellement intense que ça en devient handicapant. Et c’est là qu’on parle de maladie. 

Parmi les dictionnaires des psychopathologies le DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) ou la CIM10 (Classification Internationale des Maladie), le trouble affectif saisonnier fait partie des troubles dépressifs majeurs récurrents (Figure1). Le mot « récurrent » faisant référence à la notion où l’épisode dépressif revient à cause d’un stimulus quelconque. Ici ce stimulus étant l’environnement et la lumière à l’approche de l’hiver.

Et que ce soit un épisode dépressif avec existence d’un trouble du sommeil. C’est-à-dire en gros avoir de la fatigue au premier plan (Figure3). Que ce soit à cause de réveils nocturnes à répétition, des réveils difficiles, des hypersomnies ou à l’inverse des difficulté à s’endormir comme si on était bloqué à jamais dans une fatigue à perpétuité…

Cause(s) du Trouble Affectif Saisonnier ?

Prévalence du trouble affectif saisonnier (TAS)

https://twitter.com/podcastscience/status/1577334451880738817

Le TAS toucherait environ 3 % de la population mondiale. (Prévalence de la dépression : 5 % et ; prévalence d’une maladie rare est inférieure à 0,05 %). Sauf que ça reste la population générale. Comme décrit précédemment, la latitude serait une variable à prendre en compte. Pour Norman Rosenthal qui vient d’Afrique-du-Sud, ce n’est qu’une fois arrivé à New-York qu’il a vécu cette grande fatigue inarrêtable.

2 % de la population de la Floride serait concernée par ce trouble saisonnier contre 9 % en Alaska (Booker & Hellekson, 1992 ; Horowitz, 2008). Ainsi, plus on vit dans le nord (de l’hémisphère nord), plus on serait susceptible d’être atteint d’un TAS ? Si on prend isolément les études scientifiques, on pourrait dire que oui. Mais en fait, c’est plus complexe que ça. Il y a la migration des populations et la génétique à prendre en compte.

La part génétique du trouble affectif saisonnier

Ces dernières statistiques évoquées aux États-Unis – de 2 % au sud en Floride et 9 % au nord en Alaska – sont réalisées sur un instant t donné, dans un même pays où la population peut aisément migrer. Dans ce cas, oui on pourrait éventuellement montrer que plus on va dans le nord, plus les troubles affectifs saisonniers sont nombreux parmi une population donnée (Levitan, 2022). Car on ne prend pas en compte quelle type de population est étudiée. Si on étudie une ville entière au fin fond du Canada habitée uniquement de sud-africains fraîchement arrivés dans l’année, c’est sûr que la proportion de trouble saisonnier risque d’exploser !

De manière caricaturale pour rapporter ça à la France métropolitaine, une population méditerranéenne – dont le premier marseillais du coin – a davantage de risque d’être atteint d’un trouble affectif saisonnier en arrivant dans le Nord – chez les Ch’tis. C’est comme si notre corps était trop adapté à son propre environnement aussi localisé soit-il, comme la méditerranée.

Et une adaptation plus que physiologique, car aussi génétique. Il a été par exemple démontré que les Islandais était comme génétiquement disposés pour vivre dans le nord sans connaître de blues hivernal. Même chose, l’enfant d’une personne atteinte d’un trouble affectif saisonnier possèdent entre 2 et 5 fois plus de risque de le présenter lui-même (Chneiweiss, 2014).

Figure 7 : la mélanopsine secrétée par les cellules ganglionnaires :
les cellules qui coordonnent un peu tout ce qui est vision au niveau de la rétine.

Les prédispositions génétiques existent, donc. On parle notamment de variants de gènes liés au rythme circadien et au fonctionnement des hormones et neurotransmetteurs, voire même un variant du gène codant des petites molécules captant la lumière au niveau des yeux (Chneiweiss, 2014 ; Ho et al., 2018). Au niveaux des yeux… Là où on capte la lumière. Car oui… la grosse fatigue dépressive de l’hiver a bel et bien un rapport avec la lumière, comme on le supposait déjà.

Des petites molécules dans l’œil

Cette petite molécule sensible à la lumière au niveau de nos yeux s’appelle la mélanopsine. Plutôt sensible à la lumière bleue (460-500 nm), elle est sécrétée par des cellules qui gèrent un peu toute la vision au niveau de la rétine, que l’on appelle cellules ganglionnaires (Figure7). Si le fonctionnement physiologique et de la vision au niveau de l’œil vous intéresse, je vous renvoie à l’épisode 471 d’Alexa où elle nous parle notamment de champ visuel, de photorécepteurs, de cônes et de bâtonnets.

Là on ne va pas s’intéresser à la rétine dans les détails. Retenons juste que certaines cellules qui gèrent un peu toute la vision et qui forment le nerf optique pour traiter tout ça au niveau cérébral, ne sécrètent plus beaucoup une molécule sensible à la lumière lors de la présence d’un trouble affectif saisonnier. Dit autrement, une personne atteinte d’un trouble affectif saisonnier à tendance à avoir une rétine moins sensible à la lumière. Or, si la rétine de l’œil est moins sensible à la lumière, bah il est plus difficile à dire au cerveau que : « Coucou il fait jour ! »

La lumière synchronise notre horloge interne

C’est ça grossièrement l’idée : les cellules de la rétine envoie un signal au cerveau pour dire si oui ou non il fait jour. Hé bah… si il n’y a aucun signal qui arrive, jamais le cerveau ne pourra dire s’il fait jour ou nuit. D’où la fatigue et le blues hivernal. C’est comme si on n’avait pas appuyé sur le bouton « ON » pour se réveiller. L’adaptation à l’hiver où il y fait moins de lumière serait donc plus difficile et dysfonctionnelle chez les personne atteinte d’un trouble affectif saisonnier.

Mais ça ce n’est qu’une hypothèse parmi d’autres. En fait, en réalité le corps se régule déjà tout seul telle une horloge. Même sans lumière atteinte par nos yeux, on arrive à vivre. J’ai envie de dire, encore heureux pour ceux qui n’ont plus du tout d’yeux. En fait, on a déjà une petite horloge biologique interne qui tourne entre 23h30 et 24h30.

Figure 8 : les noyaux suprachiasmatiques de l’hypothalamus

L’Horloge interne

Cette horloge interne est dirigée par un groupe de neurones dans le cerveau entre nos deux yeux. Ce sont les noyaux suprachiasmatiques dans l’hypothalamus. Un p’tit groupe de neurones qui sert d’horloge. Même un seul de ces neurones maintient une activité rythmique autour de 24 heures. Autour de 24 heures. Mais pas exactement, donc. C’est pourquoi le cerveau a besoin de synchroniseur pour s’adapter et se caler sur l’environnement extérieur.

Et ce synchroniseur, c’est la lumière. Vous vous rappelez, dans nos yeux, les fameuses cellules sensibles à la lumière ? Hé bah depuis nos rétines elles envoient notamment ces signaux vers ces mêmes noyaux. C’est-à-dire que nos yeux sont directement relié à cette horloge interne.

Mais tout ça c’est de la biologie. Moi ce qui m’intéresse c’est à l’échelle humaine au niveau de la psychologie. Si tout ce qui est autour d’horloge biologique et cycle circadien au niveau biologique vous intéresse, je vous invite à découvrir ou redécouvrir les épisodes 154 et 155 de Taupo sur la Chronobiologie !

L’hormone du sommeil

Pour résumer rapidement, notre horloge interne influence pas mal de choses dont la température corporelle et plusieurs hormones comme celles liées à l’appétit ou également l’hormone du sommeil à travers la glande pinéale (Figure9) : la mélatonine. C’est elle, cette fameuse hormone du sommeil. Elle est chaque nuit sécrétée par la glande pinéale.

Un taux chronique élevé de mélatonine provoque une humeur morose et est d’ailleurs corrélée à plusieurs troubles psychopathologiques (échelle SIGH-SAD : Structured Interview Guide from Hamilton Depression Rating for Seasonal Affective Disorder). En clair, la mélatonine, c’est le marchand de sable : « Repose-toi c’est vraiment pas le moment d’aller faire le fou ! » Elle inhibe d’ailleurs la libération de dopamine qui justement nous pousse à faire le fou ou la folle par son fameux système de récompense.

Et chez les personnes atteintes d’un trouble affectif saisonnier, quand arrive l’hiver, c’est comme si la mélatonine était tout le temps sécrétée. Comme si pour notre corps, en hiver, il faisait tout le temps nuit. Le marchand de sable étant perpétuellement présent, le corps se sent alors épuisé constamment. 

Figure 9 : l’horloge interne centrale (noyaux suprachiasmatiques) et ses conséquences. « Pour la Sérotonine, est davantage suspectée un dysfonctionnement du transporteur de la sérotonine (plaquettaire) au point d’un déterminer un gène variant. »

Et quand une hormone est désynchronisée, trop ou pas assez sécrétée, il y a très souvent un enchaînement en cascade. Car une hormone reste un messager. Une molécule qui passe dans le sang pour activer ou inhiber certains systèmes. Et ici, pour la mélatonine, s’il y en a trop, cela inhibe la sécrétion de dopamine. Mais aussi baisse le stock de sérotonine car une molécule de mélatonine se construit à partir d’une molécule de sérotonine. Et c’est ce genre d’enchaînements de répercussions en cascade sur les autres hormones qui induiraient les autre troubles dépressifs.

Je reste au conditionnel car il y a bien des corrélations réalisées, mais, à ma connaissance, rien de causal a été démontré. C’est comme le possible lien entre la sérotonine et la vitamine D (Figure10). Peut-être que l’élément commun c’est la peau exposée au soleil mais qu’en aucun cas la vitamine D agit causalement sur le système sérotoninergique qui elle-même influencerait la sécrétion de mélatonine (Melrose, 2015)… 

Figure 10 : d’autres pistes corrélées aux Trouble Affectif Saisonnier (TAS) dont des mécanismes physiologiques de la peau avec la Vitamine D ou l’hypothyroïdie.

Dérèglement de l’horloge interne

Bref. Je commence à m’éparpiller juste pour finalement dire qu’au niveau des hormones c’est le bordel. Au point que ça se répercute sur la population touchée. Les jeunes femmes ayant leurs cycles menstruel ont 4 fois plus de risque de connaître un trouble affectif saisonnier, tellement ça devient assez vite le bordel hormonal.

Plus généralement, pour expliquer le trouble affectif saisonnier on parle de dérèglement de l’horloge interne qui inclut tout ce qu’on vient de voir. C’est en effet l’hypothèse la plus probable, que le trouble affectif saisonnier soit juste un décalage de notre horloge interne par rapport à l’environnement. Tout simplement.

En gros, à l’arrivée de l’hiver, l’horloge interne a du mal à suivre la succession des jours et nuit qui passent trop vite. En physique on parle de décalage de phase, la psychophysiologie reprend ce terme pour parler de désynchronisation du corps par rapport à son environnement. On le dit aussi dans le langage courant : « je suis complètement déphasé ».

L’hiver arrive. Donc peu de lumière la journée. Donc déphasé, le corps nous dit qu’il fait encore nuit. Donc fatigué toute la journée. Donc tristesse et sensibilité émotionnelle. Et voilà un TAS.

Figure 11 : la boucle bouclée du niveau moléculaire biologique jusqu’au niveau des ressentis psychologiques, tout en prenant en compte l’environnement. Et c’est loin d’être aussi simpliste (cf.Figure12)
Figure 12 : exemple d’un autre centre régulateur du cycle veille/sommeil : la Formation Réticulée (schéma personnel de mes cours en neuropsychologie)

Où agir pour traiter ?

Cependant, le décalage de phase de notre horloge interne n’est qu’une hypothèse et n’explique pas tout à lui seul. On sait déjà que parmi la population du tout venant, on peut observer des personnes ayant ce même décalage de phase, mais sans pour autant de souffrir d’être fatigué et d’être atteint d’un trouble affectif saisonnier. Surtout que là on s’est concentré sur une partie de l’horloge interne biologique. D’autres centres biologiques du cycle veille/sommeil existent (Figure12) !

Si on replace tout dans l’ordre, les principaux éléments sur lesquels on peut jouer pour traiter voire soigner le trouble affectif saisonnier, seraient les suivants (Figure13) :
au niveau génétique : changer de corps ou changer de gènes mais pas sûr que ce soit faisable ;
au niveau moléculaire et physiologique : prise d’antidépresseurs ou même de mélatonine ;
au niveau psychologique et comportemental : suivi ou thérapie pour garder une hygiène de vie et ré-interpréter les interprétations trop pessimistes et tristes causées par la fatigue voire la culpabilité ;
au niveau environnemental : que les journées soient lumineuses ! Alors soit on commande le soleil, soit on déménage vers les tropiques, soit on se lève tôt le matin pour s’exposer à la lumière du jour, soit on utilise une lumière qui imite le soleil. Et ça, c’est ce qu’on appelle la photothérapie ou anciennement dit luminothérapie.

Figure 13 : les moyens hypothétiques d’agir

L’Hygiène lumineuse

La part environnementale du trouble affectif saisonnier

J’aimerais donc terminer ce dossier sur l’un des quatre niveaux sur lequel on peut facilement agir pour éventuellement resynchroniser notre horloge interne et les humeurs associées : juste le fait de s’exposer à la lumière. On parle de plus en plus d’hygiène de lumière (https://www.inserm.fr/dossier/chronobiologie/). Comme si en plus d’avoir une hygiène de vie entre bien manger, bien dormir, voilà qu’on nous dit qu’il faut bien être ensoleillé pour être actif éveillé et inversement bien dans le noir pour mieux dormir et se reposer. On sait notamment que l’éclairage urbain perturbe nos sommeils. Mais pas que… Il a été démontré par exemple que l’éclairage artificielle pourrait provoqué des maladies comme l’obésité. Oui car dans notre corps tout ou presque est cyclique même l’activité métabolique des tissus adipeux (Bertani et al., 2021). 

De plus en plus, on parle aussi de la lumière des écrans qui rend difficile l’endormissement. La fameuse « lumière bleue » des écrans. Si vous vous souvenez à quelles fréquences lumineuses est sensible la mélanopsine sécrétée par les cellules qui contrôlent un peu tout dans notre rétine, vous savez pourquoi particulièrement la lumière bleue maintenant.

Photothérapie, Luminothérapie ou Chronothérapie

Cette recherche de resynchroniser notre horloge interne avec l’environnement extérieur s’appelle aussi la chronothérapie. Et le fait de s’exposer à une lumière, la photothérapie ou anciennement la luminothérapie. De plus en plus solides connaissances montrent que jouer sur l’exposition à la lumière permet de jouer sur notre horloge interne.

Une exposition à la lumière matinale aura tendance à faire avancer notre horloge interne comme si vous avanciez d’une heure, tandis qu’une exposition à la lumière le soir aura tendance à faire reculer notre horloge interne (Figure 14).

Figure 14 : le décalage de phase et les conséquences d’une exposition prononcée à la lumière le matin ou le soir (Chneiweiss, 2014)

Photothérapie : a priori efficace (mais si on ne sait pas causalement pourquoi)

Lors d’un trouble affectif saisonnier, l’horloge interne est en retard sur la vie de tous les jours. Dit autrement, s’il est 10h, pour le corps il est encore en pleine nuit. Le but étant de resynchroniser l’horloge à son environnement, on doit alors faire avancer l’horloge interne pour qu’elle puisse récupérer son retard. Et pour cela, une exposition à la lumière la matin ferait l’affaire.

J’étais assez sceptique sur cette simple photothérapie. Comme quoi l’exposition à la simple lumière puisse resynchroniser un beau bordel physiologique. J’ai alors pris 3 assez récentes méta-analyses regroupant des études différentes avec la photothérapie. L’une d’une équipe autrichienne sur les troubles affectifs saisonniers qui nous intéressent aujourd’hui (Pjerk et al., 2019), une autre d’une équipe chinoise sur les autres troubles de l’humeur (Tao et al., 2020), et une dernière d’une équipe italienne sur les effets plus globaux de la photothérapie dans la vie quotidienne (Bertani et al., 2021).

Toutes sont unanimes : la photothérapie fait plus du bien que de mal en réduisant de manière générale tout symptôme dépressif, si c’est t’y pas génial ! (Tao et al., 2020) Ce genre de thérapie pourrait donc être prescrite et utilisée pour d’autres pathologies ayant des troubles de l’humeur, au-delà du trouble affectif saisonnier. Concernant spécifiquement ce dernier, après traitement par photothérapie, plus de la moitié des personnes atteintes connaissent une rémission même en plein hiver (Chneiweiss, 2014).

Des recommandations d’utilisation ?

Donc si vous vous sentez déprimé ou constamment fatigué à longueur de journée lorsque l’hiver arrive, au lieu de quitter les hémisphères pour s’installer à l’équateur, s’exposer à une lumière du soleil artificielle le matin ferait bien l’affaire. 

Et j’ai même des recommandations d’utilisation. En reprenant les lampes utilisées dans les études, ce sont d’abord majoritairement des lampes à tubes fluorescents (des néons quoi, et non des LED…) d’au moins 30 cm de haut et de large. Elle doit être non-scintillante avec filtre UV et infrarouge. Parce qu’on veut juste le plus gros de la lumière du soleil.

Cette lampe doit être exposée à 30 cm des yeux durant au moins 30 minutes (Chneiweiss, 2014) – mais pas plus d’une heure (Tao et al., 2020). L’heure d’exposition doit être matinale, obligatoirement. Certains chercheurs recommanderaient 8h30 comme idéal. Mais on n’est pas obligé de regarder la lampe tel un zombie pendant 30 minutes. L’objectif est juste que les yeux y soient exposés. On peut par exemple lire un truc ou faire une autre activité à côté.

Figure 15 : gif sous éclairage de LED (imitant le soleil) dites pour photothérapie

Critiques et interrogations sur la réelle utilité d’une telle lampe

Quant à l’intensité lumineuse, serait recommandée une lampe entre 1 350 et 10 000 lux. C’est en tout cas sur cette fourchette d’intensité que les études scientifiques ont été menées, comparée à une intensité lumineuse faible en-dessous de 500 lux (Pjerk et al., 2019) comme condition contrôle. Si les intensités en lux ne vous parle pas comme moi, plus concrètement, l’intensité lumineuse de la pleine Lune est autour de 1 lux. L’intensité lumineuse du soleil sous couverture nuageuse autour de 200 lux. Et il faut un ciel bleu et dégagé pour dépassé les 10 000 lux.

Outre les faibles échantillons des différentes études (ça dépasse rarement les 50), l’intensité lumineuse et la nécessité d’une réelle lampe aussi précise semblent être discutés. Car on a déjà montré qu’une simple bougie faisait déjà son effet (Melrose, 2015) ou que la lumière du matin à elle-seule semblait être efficace (Levitan, 2022). Pourquoi alors s’encombrer d’une lampe à chaque matinée ?

Ouvrez les yeux, vous êtes illuminés

Conclusion

Pour conclure, la dépression saisonnière n’existe pas. À la limite on peut parler de trouble affectif saisonnier à partir duquel on pourrait naïvement dire que : « Bah pour soigner le trouble affectif saisonnier, il suffit de se lever la matin de bonheur et d’aller faire un tour à l’extérieur, faire des activités » (Bertani et al., 2021). Mais dire cela, c’est oublier les exigences personnelles et celles de la société. Si tout le monde n’avait qu’à se préoccuper de son hygiène, tout le monde le ferait. Enfin… j’imagine ou j’espère. Juste que dès fois… dans un certain monde… il y a d’autres priorités comme travailler.

Alors on ne sort plus du bureau. On ne voit plus le jour, si ce n’est un soleil caché sous les nuages. Et c’est à ce moment là qu’une telle lampe pourrait aider. Quand il n’y a plus d’autres solutions pour s’adapter. Surtout si les symptômes deviennent trop présents et intenses au point presque d’en être handicapé. Hyperphagie, hypersomnie, fatigue chronique, une humeur morose jusqu’à un état dépressif installé. Si vous ressentez tout ça à l’arrivée de l’hiver, vous saurez que c’est quelque chose de l’ordre de Trouble Affectif Saisonnier.

Figure 16 : Schémas Résumé concernant le Trouble Affectif Saisonnier

Et si finalement c’était la normalité ?

L’hiver plusieurs organismes hivernent, hibernent ou se mettent en repos. Ne serait-ce pas normal que notre corps lui-même veule se mettre au repos ? Comme si c’était quelque chose qu’on avait tous en soi. Certaines théories expliquent le trouble affectif saisonnier comme ça. Comme quoi c’est naturel et il faut faire avec, quoi. Ces théories expliqueraient notamment le pourquoi ce sont les femmes capables d’enfanter les plus touchées : car c’est bien au printemps qu’apparaît l’éveil de la reproduction et de la sexualité.

Ceci peut être une explication évolutive. Mais cela ne change en rien que la maladie puisse exister. Encore une fois, entre maladie et normalité, tout est une question d’intensité ! Se sentir fatigué l’hiver, je veux bien. Mais au point de pouvoir dormir toute une journée ? Intensité et/ou handicapant. Comme tout trouble c’est en ça qu’on caractérise un trouble affectif saisonnier.

Biblio

Dépression : idées reçues et réalité WhyDoc #32 sur https://youtu.be/8m1X2inMA9c
La dépression – Psykocouac #9 https://youtu.be/fbbM33WvcXs
Papers 5# : la génétique de la dépression https://youtu.be/j4w4xPrzRwo
Homo Fabulus (2011) https://www.cafe-sciences.org/la-depression-est-elle-vraiment-une-maladie
Raison pour CNN (Novembre, 2012) https://edition.cnn.com/2012/11/28/health/seasonal-affective-disorder-raison/index.html 
https://www.inserm.fr/dossier/chronobiologie
Sauvaget et al. (2021) Les traitements de la dépression en psychiatrie de liaison : de la théorie à la pratique, https://doi.org/10.1016/j.revmed.2021.06.012

 
Ho et al. (2018) Genome-wide association study of seasonal affective disorder https://doi.org/10.1038%2Fs41398-018-0246-z 
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