L’Associable Froid

Chronique réalisée pour l’épisode 484 autour de la thèmatique du Froid

Au quotidien, froid et chaud sont utilisés pour parler des relations sociales et des personnalités de chacun. Quelqu’un est chaleureux si la personne est joviale, sociable et amical. Et à l’inverse une personne est jugée froide si elle ne semble pas amicale et n’est pas très active dans l’interaction sociale. Hé bah, en psychologie, la science rattrape la métaphore. En effet, ce ne serait pas qu’un simple jeu de mot linguistique mais aussi un peu la réalité. On parle alors notamment de chaleur sociale.

Chaleur sociale et chaleur physique

On utilise l’expression de chaleur sociale pour bien différencier ce phénomène de la chaleur physique et biologique du corps. Car oui, on aurait comme deux sources possibles de chaleur. Une thermorégulation biologique que tout le monde connaît où on tremble des muscles pour se réchauffer, et une thermorégulation sociale ou simplement le fait d’être bien entouré réchauffe nos cœurs et nos corps (IJzerman et al., 2012).

Alors qu’on se comprenne bien, la thermorégulation sociale ce n’est pas uniquement se tasser serrer comme des manchots pour survivre au froid polaire. Quoique, pour ceux qui sont très tactiles et aiment le contact de plusieurs personnes pourquoi pas. De le boîte de nuit bien remplie à l’orgie grecque… enfin, je ne vais pas vous faire un dessin.

Hans IJzerman un peu l’expert du domaine

Bref. La chaleur sociale ce n’est pas QUE ça. Ce n’est pas obligatoirement du contact physique et tactile. Une simple tablée ou un jeu de société au coin du feu peut bien faire l’affaire. On parle des relations sociales au sens large donc ! Et ce sont ces simples connexions qui procureraient une chaleur sociale. Littéralement de la chaleur, un changement de température donc.

Il y a alors un domaine en psychologie qui s’intéresse aux liens entre la température et les interactions sociales. L’expert en la matière est un certain Hans IJzerman. Psychologue sociale ayant jusque aujourd’hui majoritairement travaillé sur Amsterdam, il travaille actuellement à l’Université de Grenoble. Il a même établi toute une théorie autour de la thermorégulation sociale : frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2015.00464/full. Je n’ai pas encore pris le temps de bien tout lire, mais il essaie notamment de faire le lien avec les styles d’attachement de Bowlby, pour les connaisseurs.

Chaleur sociale : simple sentiment ou réelle sensation ?

Nous, aujourd’hui, ce n’est pas sa théorie qui nous intéresse précisément. Très certainement une autre fois. Aujourd’hui ce qui nous intéresse c’est le Froid ! Quel est le rapport entre chaleur sociale et le froid ? Genre… si on manque d’interaction sociale, on a froid ? Hé bah, oui (Zhong & Loenardelli, 2008). Littéralement froid. En fait, scientifiquement et de ce que j’ai lu jusque là, on a davantage démontré que l’exclusion sociale provoque du froid que l’insertion sociale provoquerait du chaud. Alors comment on tente de démontrer ça ? Bah j’y viens.

Hans IJzerman et son équipe d’Amsterdam autour des années 2012, ont fait plusieurs petites expériences pour explorer le domaine. En utilisant par exemple un jeu vidéo Cyberball qui se joue en équipe. Durant le petit jeu de balle, le participant n’aura que très peu de fois la balle. Comme si vous étiez au foot et que tout le monde se passait la balle dans l’équipe sauf à vous. Hé bah, c’est pareil. Tout le but étant de faire ressentir au participant une exclusion sociale.

Et durant toute l’expérience on mesure la température de la peau du participant. Résultat, les participants qui ont été exclus socialement durant le jeu ont eu une peau plus froide que les participants ayant joué normalement au jeu. Ça veut dire bien ce que ça veut dire. Le sentiment de froid quand on est en manque de relation sociale n’est pas que psychologique, mais bien mesurable physiologiquement ! ON A littéralement froid : la température corporelle chute !

Figure 1

Le sentiment d’exclusion provoque du froid

Dans cette expérience a été mesurée un indice physiologique : la température de la peau donc. Pour les indices psychologiques et subjectifs, on peut par exemple demander à la personne d’estimer la température ambiante de la salle dans laquelle il se trouve. Et… il se trouve que les personnes en situation d’exclusion sociale estiment en moyenne une température plus basse que les personnes non-exclues socialement. Comme s’ils avaient littéralement plus froid.

Autre exemple d’indice pour évaluer l’aspect psychologique et subjectif, Hans IJzerman et collaborateurs ont demandé aux participants d’évaluer la désirabilité de certains aliments et boissons entre : un thé froid, un café chaud, une pomme, un petit biscuit ou une soupe chaude. Les résultats sont clairs et nets. Les personnes en situation d’exclusion sociale favoriseront toujours une boisson chaude par rapport à une boisson froide ! Et ce de manière significative par rapport aux non-exclues socialement (cf. Figure 1).

Chaud physique (toucher) = Chaud social (interaction) ?

Ainsi, une personne exclue socialement – et même sur un jeu vidéo ! – recherche et préfère la chaleur. Que ce soit un café ou un chocolat chaud. Ou par extrapolation, prendre une bonne douche chaude ou se blottir sous sa couette en attendant de jours meilleurs. Il y aurait énormément de choses à dire rien que sur ce fait là, mais on est qu’au tout début des recherches solides dans le domaine. De ce qu’on saurait donc, du lien entre température et relation sociale, une exposition tactile à quelque chose de chaud augmenterait la sensation d’interaction sociale voire remplacerait (éliminerait) les désirs de relations sociales. En clair, toucher du chaud imiterait une relation sociale.

Et les indices de liens entre température et relation sociale ne sont pas que psychologiques et physiologiques au niveau de la peau, mais aussi neurologique ! C’est une équipe californienne (Los Angeles puis San Diego), autour de la chercheuse Tristen Inagaki, qui l’a observé. Elle est justement spécialiste de l’imagerie cérébrale (Inagaki & Eisenberger, 2013)

Durant ses expériences, on place alors le participant sous IRM fonctionnelle pour observer son fonctionnement cérébral. Elle reprend notamment le fait que de toucher un objet chaud équivaut à une relation sociale. Hé bien, ce qu’on remarque c’est que certaines régions cérébrales sollicitées sont similaires, que ce soit à la fois en chaleur sociale qu’en chaleur biologique. Tristen Inagaki évoque plus particulièrement la striatum ventral et une partie de l’insula (Figure 2).

Figure 2

Neuropsychologie et extrapolation causale

Le striatum ventral c’est un gros regroupement de neurones logé au milieu du cortex cérébrale. Il est globalement évoqué comme étant le centre de la motivation jusqu’à l’appétit et la sexualité. Quant à l’insula, c’est une partie du cortex cérébral (comme le lobe frontal ou le lobe temporal) très en lien avec les émotions et autres sensations internes.

Ces régions sont des régions rassemblant une forte densité de récepteurs d’opioïde (Inagaki et al., 2015). Il y a en effet des corrélations qui sont en train de s’établir scientifiquement de l’échelle moléculaire des opioïdes jusqu’au niveau comportemental de l’exclusion social en passant par la température corporelle.

Je ne suis pas un expert, mais on peut essayer de mettre tout ça dans l’ordre. Tout ce que j’ai lu, c’est que si on bloque les récepteurs d’opioïdes (antagoniste : naltrexone), on réduit l’effet de sensation d’interaction sociale. Dit autrement, si j’essaie de reprendre un chemin causal non encore démontré : sans opioïde, pas d’activation des zones cérébrales à la chaleur physique et la chaleur sociale, et donc pas de sensation d’interaction sociale. Donc sans opioïde, on se sent seul et exclu. Et on a froid. Ça voudrait dire qu’à l’inverse, prendre des opioïdes serait équivalent à se sentir le plus entouré du monde. Et on aurait chaud.

L’exclusion provoque une perte d’énergie ?

Bon. Ce n’est pas une invitation à prendre des opioïdes. Vous avez une manière bien plus simple pour en générer : vivre en société. Pour conclure, vivre parmi un divers grand réseau d’interaction sociale tient chaud. Oui. Littéralement. Et inversement, plus il fait froid et qu’on est seul, plus on pense aux autres et a envie de chaud. Oui (IJzerman et al., 2018). Les autres nous garde au chaud. Tel un manchot en milieu du troupeau. C’est établi scientifiquement, « la présence des autres rend notre monde moins coûteux, métaboliquement ». Si tu as froid, invite ton voisin ou ta voisine à prendre un chocolat chaud.

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