Le Rouge, ça rend fébrile

Fébrile cognitivement : l’effet débilitant

Le rouge, ça rend fébrile. Voilà l’affirmation un peu aguicheuse et putaclic de ma petite chronique psychologique. Et encore j’ai failli l’appeler : le rouge, ça rend débile ! Oui, débile, carrément. Quelqu’un qui passe un test cognitif – un test parmi l’évaluation du QI par exemple – mais qui voit préalablement du rouge et bah.. il est bien moins performant que quelqu’un qui voit préalablement une autre couleur. En sachant cela, on pourrait donc dire que le rouge ça rend un peu “con con”, un peu débile. Et ce n’est pas moi qui l’invente. C’est ce que certains chercheurs appellent vulgairement l’effet débilitant (« processus de protection de soi débilitants » qui est l’expression plus précise selon moi).

Pour observer ce phénomène de manière significative, pas besoin que tout le laboratoire soit repeint en rouge durant l’expérience. Non, non. Il suffit d’un simple rectangle colorié sur une feuille de papier (Figure 14). C’est ce qu’a utilisé Vincent Payen durant sa thèse sur les effets psychophysiologiques de la couleur rouge (2011 : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00703480). Pour cette chronique j’ai principalement suivi son écrit plutôt complet en plus d’être francophone. Il reprend notamment tous les travaux autour d’Andrew Elliot, enseignant chercheur psychologue à l’Université de Rochester, avec qui il a collaboré et qui est un peu la référence dans le domaine des motivations d’approche et d’évitement.

Nuance 1 : la fébrilité cognitive n’est pas pour toutes les tâches cognitives

Le rouge ainsi, nous rend fébrile. Psychologiquement. Première nuance toutefois à souligner, ce n’est pas n’importe quelle tâche cognitive utilisée. Et ça, ça fait écho à ce qu’on a déjà évoqué dans ma chronique sur le Bleu en l’épisode 443. Une tâche cognitive créative serait mieux réussie sur un fond bleu. Alors qu’à l’inverse, une tâche cognitive très analytique et descriptive a tendance à être mieux réussie sur un fond rouge.

De fait, pour confirmer ce dit « effet débilitant », Vincent Payen a utilisé un test cognitif qui n’est pas descriptif. C’est un test typique de l’évaluation du QI (Échelle de l’intelligence des adultes de Wechsler (WAIS)) sur la mémoire de travail demandant de manipuler des informations. Il a donc étudié les performances à ce test chez la même personne sans exposition de couleur et puis après l’exposition d’une couleur. Une exposition très furtive voire même implicite. C’est comme si c’était sur la page de garde d’un classeur, que vous tournez ensuite pour réaliser des tests. Encore une fois ça reste une exposition implicite, personne ne lui crie dans le laboratoire : « hé regarde c’est rouge ! »
Rouge ou une autre couleur d’ailleurs. Car un autre groupe avait la couleur bleue, et un troisième quelque chose de gris. Et les résultats confirment ce qu’on savait déjà : le groupe ayant perçu la couleur rouge avant de passer le test perd davantage en performance cognitive. En gros, être exposé au rouge, ça rend con con, quoi (Figure 16).

Tout ceci est corrélé et confirmé par une composante physiologique : la variation de la fréquence cardiaque (VFC, Figure 17). Après avoir passé le test, la personne se repose en mesurant sa fréquence cardiaque. L’électrocardiogramme des participants ayant été exposés par la couleur rouge n’est pas très enjoué et varié. La fréquence cardiaque est très monotone par rapport aux autres participants. Voilà ce qu’on en tire.

Fébrile physiquement

Donc on a un élément cognitif et un élément physiologique qui sont perturbés par des stimuli rouges (en vérité l’un est utilisé pour supporter les résultats de l’autre). Mais ce n’est pas tout ! Mieux encore, dans une autre étude de sa thèse, il a aussi étudié la force musculaire explosive : c’est à dire en gros la force musculaire par a-coup et pas sur la durée. Et il remarque que le fait d’être préalablement exposé au rouge fait chuter les performances musculaires (« la production de force », Elliot & Aarts, 2011). Je répète. Surtout parce que je trouve ça dingue : la simple présentation d’un rectangle rouge inhibe à terme la production de force volontaire.

Nuance 2 : la fébrilité musculaire n’est pas immédiate

Le rouge ainsi, nous rend fébrile. Aussi, physiologiquement. J’ai toutefois une deuxième nuance à souligner. Ce résultat est vrai uniquement après un laps de temps après avoir été exposé à la couleur rouge. Car dans l’immédiat, le rouge stimule les muscles. Ce n’est qu’ensuite, qu’on perd de la force musculaire.

Pour donner une image, être exposé au rouge est similaire à être exposé à un danger éloigné. Si vous voyez au loin un prédateur vous allez d’abord avoir un coup de sang, un coup d’adrénaline où le cœur s’emballe de surprise et vos jambes s’apprêtent à détaler pour fuir. Dans l’immédiat donc, être exposé au rouge ou au danger, stimule la motricité.

Ce n’est qu’ensuite, quand l’anxiété entre en jeu, que les performances musculaires en sont perturbées. Pour citer Vincent Payen qui est souvent très clair dans ses propos : « Une menace à distance provoquerait une réponse motrice passive inhibant la performance motrice. » En gros, c’est le cerf ou le lapin que vous surprenez au loin. Il va lever ses oreilles et devenir immobile en se disant « ok, ça se trouve il ne m’a pas vu. Je n’bouge plus. Il m’a vu ? J’sais plus. Dans le doute, je n’bouge plus. Sinon le moindre bruit et j’vais l’attirer ce trou du..  »

Anxiété et motivation d’évitement

Ça du coup, ce que je viens d’anthropomorphiser, c’est de l’anxiété. Elle est une explication à l’effet débilitant : je ne suis pas performant aux tests cognitifs car je suis anxieux ; je ne suis pas assez concentré sur la consigne demandée ; Je pense trop à la possibilité d’échec qui peut en découler. On devient littéralement fébrile. Sur tous les plans donc. Cognitif et physiologique. On adopte un comportement d’évitement.

Stimulus -> “Corps/Cerveau/Emotions/Psychologie” -> Comportement

Pour remettre la cascade de causalité dans le bon sens, on a donc d’un côté le stimulus et de l’autre le comportement. Le stimulus génère un comportement. Simple. D’un côté l’exposition d’un rouge menaçant et de l’autre nos comportements fébriles, nos comportement d’évitement. Entre les deux, il y a nous et notre cerveau qui traite l’information et génère ces comportements. Là-dedans se vit toute la psychologie. Et le mot qu’on vient de mettre dessus est donc l’anxiété. On dit plus généralement une motivation à éviter. Mais restons sur l’anxiété. C’est plus simple à se rappeler. Tout ça à cause du rouge parce qu’on le perçoit inconsciemment comme un danger.

Stimulus [ROUGE] -> Associations Cognitives [DANGER] -> Motivation d’évitement [ANXIETE] -> Comportement

Tout ça passe dans notre tête : Association d’idées

Mais du coup pourquoi ? Pourquoi on perçoit le rouge comme un danger ? Genre c’est physique ? C’est la longueur d’onde de la couleur qui perturbe l’être humain ? Là-dessus la réponse est négative. Car au lieu de voir avec les yeux, la couleur rouge, le résultat est similaire si on évoque simplement le mot rouge (Lichtenfeld, Maier, Elliot & Pekrun, 2009). Le mot donc, sans percevoir la couleur elle-même. Ainsi, pour trouver la réponse du pourquoi, c’est quelque chose qui se passerait plus en profondeur. Dans notre petite tête. Au milieu de nos neurones et nos humeurs…

Encore une fois, tout est une question d’associations. Je l’ai déjà évoqué durant ma chronique précédente sur le Bleu. Je le rappelle ici. En psychologie, une association est le fait de lier deux représentations ensemble. Exemples basiques pour nous, occidentaux : le bleu pour les garçons et le rose pour les filles. Voilà deux exemples d’associations.



En clair, pour ce qui est du rouge, c’est parce qu’inconsciemment
le rouge est associé au danger qu’en découle de l’anxiété.
Et vous alors, vous l’associerez avec quoi le rouge ?



Nuance 3 : ça dépend de nos propres associations (de la CULTURE)

Je vous ai posé la question car je n’ai dévoilé qu’une facette des associations du rouge : celles associées au danger. Mais il y en a bien évidemment d’autres dans l’humanité ! Tout dépend a) de l’histoire de la personne, sa culture, sa psychologie b) du contexte dans lequel le rouge est évoqué.

Dans sa thèse Vincent Payen a tenté d’explorer ces notions interindividuelles, c’est-à-dire entre les individus. Pas de grandes conclusions à en tirer si ce n’est une. Chez les personnes qui ont une culture chinoise, le rouge est davantage associé à la positivité et au bien-être. Et du coup, le rouge n’inhibe pas les performances musculaires suite à son exposition.

Sans contexte, de manière générale : rouge = agressif

Malgré cette anecdote asiatique, de manière générale dans le monde, le rouge est associé à l’agressivité, le danger, le sang, la violence. Et par extension au courage, l’indépendance, la révolution, la lutte contre l’oppression et la tyrannie… Bref, des symboles qu’on retrouve souvent à gauche en politique, ça je pense que vous l’avez déjà remarqué. Mais on peut aller plus loin. Qu’en est-il à l’échelle des pays ? Par exemple, sur 192 drapeaux nationaux (T.Zhang et al., 2017 ; Red color in flags: A signal for competition, https://doi.org/10.1002/col.22165) 151 ont du rouge ! Ça fait d’elle, la couleur la plus représentée sur les drapeaux. Et sa symbolique tourne majoritairement autour des mêmes connotations, celles du sang du peuple, de l’agressivité et de la révolution.

Selon certains chercheurs, cela mettrait en évidence que pays ou nations sont en compétition. Alors qu’à l’inverse, plus étendues que les nations, les drapeaux des organisations mondiales n’ont que très rarement de rouge. Pensez à celui des nations unis ou même celui de l’Europe. C’est le bleu de la paix qui prédomine. Le rouge agressif est totalement absent.

Contexte d’accomplissement : ÉVITEMENT

Pour revenir à notre petite échelle, dans nos vies de tous les jours, quand il n’y a aucun contexte ou que le contexte est celui d’accomplir quelque chose, comme un test cognitif, le rouge est synonyme de motivation d’évitement. Pensez au stylo rouge des enseignants, aux panneaux de signalisation, ou tout bêtement au sang. Le rouge c’est « alerte danger ». C’est choisir quelque chose de plus facile car on se sent dévalorisé. C’est détecter plus rapidement les petites merdouilles, les erreurs et ce qui ne va pas. C’est focaliser son attention sur les moindres petites choses. Être en alerte maximal. Bref. Être en état d’anxiété. Même nos expressions quotidiennes reprennent l’idée. Quand on voit rouge c’est qu’il y a quelque chose qui nous agace. Quand on est dans le rouge c’est lorsqu’on se sent débordé et dépassé par les événements.

À noter que certaines études présupposent des dispositions biologiques à ce que le rouge soit automatiquement lié au danger. Donc ce serait encore plus ancré et profond que nos associations apprises au cours de la vie car ce serait comme encodé dès qu’on est né. On évoque aussi des liens entre rouge, testostérone, domination et agressivité. Cela fait encore une fois écho à ma dernière chronique colorée, où il fallait mieux être Team Rouge que Team Bleue pour gagner. Le rouge c’est pouvoir dominer et provoquer l’anxiété. (Hill & Barton, 2005 ; Briki & Hue, 2016 ; Eltman & Elliot, 2011 ; Wiedman et al., 2018).

Nuance 4 : ça dépend du CONTEXTE ! (Contexte de séduction : APPROCHE)

Mais, toutefois, néanmoins, cependant… ce n’est pas le cas dans toutes les situations ! Car c’est vrai quand le contexte est flou ou dans un contexte d’accomplissement. Mais dans un contexte de séduction alors là c’est tout un autre débat. C’est pas parce qu’en recherche on trouve des choses que c’est vrai pour toutes situations. Dans notre cas, ça dépend de la culture – de la population comme on l’a rapidement évoqué – mais aussi du contexte d’évaluation !

Dans un contexte de séduction, ce n’est plus une motivation d’évitement mais une motivation d’approche qui est enclenchée. Nos joues rougissent, prennent des teintes rosées, le radar de séduction en activité. Notre antenne se dresse d’une lumière rouge affichée. Notre cœur s’emballe, une rose rouge à la main ou entre les dents comme vous voulez. Le rouge sert aussi à séduire. Et de mettre en avant sa générosité. (Eltman & Elliot, 2011 ; Wiedman et al., 2018)

Conclusion : en fait quelque soit le contexte le rouge gagne toujours ?

Pour conclure, le rouge ça rend fébrile.
Que ce soit devant la couleur du sang ou une rose pour les yeux d’un joli garçon ou d’une jolie fille,
Ne vous évanouissez pas, ne perdez pas le fil.
Même un bébé ne sait pas où donner de la tête devant un stimulus rouge qui brille !
Est-ce piquant ? Ou doux ? Ne sachant quoi faire si ça peut être tactile.
(Psychologie du développement : e.g., Maier et al., 2009)

Quand on y pense c’est quand même fou. Il y a deux comportements ou deux motivations opposées : l’une d’approche et l’autre d’évitement. Et pourtant, pour toutes les deux on arrive à avoir une même couleur qui ressort comme stimulus imposé. Le rouge. Une rose rouge ça pique ou ça sent bon ? Peut-être les deux… 

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