Dossier – Musique, sciences et émotions

Dossier de l’épisode #47.

On était devant le CERN lors de la visite guidée et on discutait avec le professeur Von, quand l’idée nous est venue de faire un podcast dont le thème principal serait la musique. Ça va être probablement un peu différent des autres podcast, mais pour vous expliquer le pourquoi du choix de ce soir je vais vous parler un tout petit peu de moi et de mon parcours.
Après avoir été plusieurs années dans le monde des neurosciences j’ai découvert la musique, et je peux vous dire que ça a été une sorte de révélation, assez tardive mais néanmoins fondamentale dans ma vie. Bien sûr j’aimais déjà écouter la musique. Comme pour beaucoup d’entre nous, certains morceaux ou certaines chansons m’ont donné et me donnent des émotions agréables. Plusieurs fois une chanson m’a carrément aidée à surmonter un moment un peu difficile ou m’a donné la pèche. Disons que depuis 2008 j’ai l’impression d’être un peu « rentrée » dans la musique : je me suis acheté une guitare, j’ai appris un tout petit peu à jouer j’ai commencé et composer mes chansons.

Là je suis en train de vivre une sorte d’année sabbatique, où je regarde la science autrement sans plus la vivre de l’intérieur. Alors je me consacre à l’écriture ainsi qu’à la composition. Bref j’aime la musique, je l’aime avec mon cœur et je la fait avec le cœur.
Jusqu’à quelque mois, tant que je portais la casquette de scientifique je disais souvent que je ne voyais pas d’incompatibilité entre l’art et la science car elles proviennent d’une même source, c’est-à-dire le besoin d’explorer la vie et de comprendre ce que nous sommes.

Aujourd’hui, en ayant laissé de côté la casquette de scientifique pour prendre celle d’artiste j’avoue avoir parfois du mal à vivre cette compatibilité entre art et science.

Faire de la musique demande une participation totale. Quand on chante, ce sont nos propres cordes vocales qui vibrent et qui émettent des sons, quand on joue un instrument c’est notre corps qui doit bouger pour faire vibrer l’instrument. Bref, quand on fait de la musique, à mon avis on « devient » musique avec tout ce qu’on est, notre corps mais aussi nos pensées, émotions et nos sensations.

Quand on fait des expériences scientifiques au contraire on doit rester partiellement détaché de ce qu’on fait. On doit travailler et s’investir autant mais qu’avec certaines parties de nous même. Les émotions ou les pensées de la vie doivent être écartées. Et pour ce qui concerne le corps, on se limite souvent à en utiliser que les yeux et les mains. Tout qui peut perturber l’expérimentateur et la reproductibilité d’une expérience doit rester loin. La science a besoin d’objectivité car elle recherche une compréhension des choses qui soit reproductible et indépendante de l’expérimentateur.

Personnellement, même si utile, je crois que comprendre la vie d’une façon détachée soit une limitation. Peut-être que la vie doit être « comprise » en la vivant, et avant tout en communicant avec elle.

C’est pour ça que j’aime la musique et que j’ai décidé de faire ce podcast, car je suis poussée par l’envie de communiquer et partager des connaissances.

Bien avant de me pencher sur la question d’un point de vue scientifique, j’ai senti que faire de la musique, et écrire des chansons était une façon rapide et directe pour atteindre le cœur des gens et donc de communiquer. Et en me regardant autour je vois que je ne suis pas la seule à penser ça. Dans son livre «This is your brain on Music », Daniel Levitin, Professeur à l’Université de McGill au Canada, ainsi que musicien, explique que l’industrie de la musique est une des plus grandes aux Etats Unis. D’après lui, les américains dépensent plus d’argent pour la musique que pour s’acheter des médicaments. Mais pourquoi la musique est si importante ? Pourquoi dépensons –nous autant d’argent pour acheter des CD ou aller à des concerts ? D’après Daniel Levitin, en comprenant pourquoi on aime la musique on peut arriver à dévoiler une partie de l’essence de la nature humaine.

Link : www.yourbrainonmusic.com/
http://db.hautetfort.com/tag/daniel%20levitin
http://bcgstpe.canalblog.com/archives/2007/12/16/7256542.html

D’un point de vue neurobiologique, il est d’ailleurs intéressant de remarquer que d’après des nombreuses études menées dans le laboratoire de Daniel Levitin (ainsi que dans d’autres laboratoires), la musique est une affaire de tout le cerveau et de tous les neurones. Contrairement à la notion commune et un peu simpliste que l’art et la musique sont traitées par l’hémisphère droit, alors que le langage et les mathématiques dans le gauche, écouter de la musique, la composer ou la jouer impliquent pratiquement toutes les aires du cerveau découvertes et identifiées jusqu’à présent.

Quand j’ai commencé à écrire ce podcast je voulais dire que la musique était un langage universel. Même si la plupart des informations que j’ai lu confirment en quelque sorte l’universalité de la musique, il me semble important de souligner qu’il y a aussi des personnes atteintes d’ « amusie », un déficit de perception de la musique et qui sont incapables d’apprécier et de reproduire la musique, bien que leurs oreilles et leurs fonctions langagières soient intactes. Ce trouble méconnu affecte néanmoins, selon les rares données sur la question, une part non négligeable de la population, soit environ 5 %, voir plus selon le chercheur Marie-Andrée Lebrun, qui s’est penché sur la question. Les causes sont inconnues, parfois liées à un accident, parfois la personne est amusique de naissance.

Tel était le cas de Che Guevara. On raconte que conscient de son infirmité, une fois lors d’un bal, il demanda à un ami de lui donner un coup de coude pour le prévenir lorsque les musiciens joueraient un tango afin qu’il puisse inviter à danser une infirmière qu’il trouvait à son goût.

Link: http://www.nouvelles.umontreal.ca/recherche/sciences-de-la-sante/20110221-decouverte-du-premier-cas-damusie-congenitale-chez-lenfant.html
http://www.psych.mcgill.ca/labs/levitin/media/vous_detestez_musique.html

Pour 95% des personnes la musique communique donc quelque chose. Il est important de remarquer d’ailleurs que d’après les archéologue et les historiens, toutes les cultures humaines modernes ou anciennes ont produit de la musique et y sont sensibles. D’après Tinaig Clodoré Tissot docteur en préhistoire et archéologie musicale à Paris, le premier instrument de musique conçu par une main humaine date de plus de 35 000 ans, l’époque où vivaient l’ homme de Neandertal et l’homme de Cro-Magnon. Il s’agit d’une flûte en os de vautour retrouvé en septembre 2008, dans la grotte de Hohle Fels (dans le jura Souabe en Allemagne).

Link : http://www.hominides.com/html/dossiers/musique-prehistoire.php
Le pouvoir de la musique de susciter des émotions est d’ailleurs bien exploité dans les publicités, les films, ou encore à la maison, lorsque les mamans bercent leurs enfants en leur chantant des mélodies calmantes ou apaisantes.
Si nos mamans ont donc découvert d’instinct les pouvoirs physiologiques de la musique, au niveau des scientifiques la question semble encore ouverte. Est-ce que la musique suscite ou module réellement des émotions ? Ou est-ce que plutôt nous ne faisons que reconnaitre une émotion associée à une musique sans pour autant la ressentir ?  Un peu comme nous reconnaissons un sourire sur une photo sans que cela nous incite à sourire à notre tour.

D’après ce que j’ai vu les études de ces dernières années semblent pencher plus pour un effet direct de la musique sur nos émotions, même si l’éducation et la culture dans laquelle nous baignons influence nos perceptions et nos choix musicales.

Pour vous donner un exemple de type de recherche menée dans le domaine j’ai choisi de vous parler d’une étude sortie en 2009 par les chercheurs Mathieu Roy, Jean-Philippe Mailhot, et Isabelle Peretz. Ces chercheurs ont mis au point la première expérience qui semble montrer un lien direct entre musique et émotions.

Pour vérifier l’incidence de la musique sur les émotions les chercheurs ont étudié un réflexe émotionnel: le clignement des yeux.

Comme on peut lire sur la page de leur site :

Link : http://www.nouvelles.umontreal.ca/recherche/sciences-sociales-psychologie/la-musique-suscite-bel-et-bien-des-emotions.html

«Le sursaut est un mécanisme de défense inconscient et l’une de ses composantes est le clignement des yeux. Il est bien établi que le clignement est un indicateur du degré d’anxiété de l’individu et du degré d’activité de ce mécanisme. Si différentes musiques peuvent provoquer du stress ou de la joie, cela devrait donc pouvoir s’observer sur le clignement des yeux.»

L’étudiant a soumis une quinzaine de sujets à différentes musiques, les unes reconnues pour être agréables et les autres désagréables. L’audition était entrecoupée de bruits blancs de 100 décibels destinés à provoquer un sursaut et le clignement des yeux. Selon l’hypothèse des chercheurs, les clignements allaient être plus intenses avec la musique désagréable alors que la musique agréable allait inhiber le réflexe.

Les résultats ont confirmé cette hypothèse. «Avec la musique désagréable, les clignements sont plus intenses, plus rapides et plus fréquents qu’avec la musique agréable».
….
Le clignement étant révélateur d’un état de stress, ces données montrent que les sujets ressentaient bel et bien ce stress et que la musique désagréable en était la cause.

«Le réflexe de cligner des yeux est une réponse involontaire liée à l’état émotionnel et qui ne relève pas de la capacité des sujets d’évaluer leur propre état, précise Mathieu Roy. Notre expérience a révélé que la musique peut bel et bien moduler les émotions, ce qui confirme l’approche des émotivistes.»

Ces résultats vont dans le même sens que d’autres travaux qu’il avait lui-même menés auparavant et qui ont montré que la musique agréable permet de réduire la douleur grâce à l’émotion positive qu’elle engendre.
Selon les deux jeunes chercheurs, les résultats obtenus sont une nouvelle validation du recours à la musique en thérapie. Si la musique peut susciter des émotions qui réduisent l’activité des mécanismes de défense, elle peut donc être utilisée pour alléger des états émotionnels déplaisants comme l’anxiété, la dépression ou la douleur…

D’ailleurs, Daniel Levitin, dit dans une interview :
« Le cerveau comprend une sorte de siège du plaisir, qui s’active lorsqu’on gagne beaucoup d’argent, par exemple, qu’on prend de la cocaïne ou qu’on atteint un orgasme. On le savait depuis des années, mais j’ai découvert avec mon collègue Vinod Menon de la

Faculté de médecine que cette partie du cerveau réagit aussi à la musique agréable. Les gens disent volontiers qu’ils aiment la musique, mais on est surpris quand même quand on la voit littéralement jouer sur une image cérébrale. »

Link :  http://www.innovationcanada.ca/fr/articles/i2eye-with-neuroscientist-daniel-levitin

La musique interfère donc dans nos émotions et provoque dans notre cerveau une sorte de “chorégraphie de neurotransmetteurs”, comme l’appelle Daniel Levitin. “La satisfaction et le plaisir liés à la musique découlent de l’augmentation de la dopamine dans le noyau accumbens, à laquelle participe le cervelet en régulant les émotions grâce à ses connexions avec le lobe frontal et le système limbique”.

A propos de plaisir et d’émotions positives stimulés par la musique, je voudrais parler aussi un tout petit peu de la musicothérapie.

La musicothérapie a des racines très anciennes. Avant même qu’on la baptise ainsi, on utilisait consciemment la musique pour adoucir la douleur ou la souffrance psychologique, rappelons nous de nos mamans qui nous chantaient des berceuses.

La musicothérapie moderne est née entre la Première et la Seconde Guerre mondiales aux Etats-Unis. D’après ce que j’ai pu voir elle est utilisée efficacement pour traiter des troubles neurologiques divers. Cela va de la maladie d’Alzheimer à la maladie de Parkinson, en passant par des troubles du langage, l’autisme et d’autres troubles du comportement. D’ailleurs comme le note Oliver Sacks, important neurologue et auteur du livre Musicophilie : «une musique convenablement sélectionnée est capable d’apporter beaucoup plus aux patients, en termes d’orientation et d’ancrage, que la plupart des autres thérapies».

Link : http://www.planet-techno-science.com/biologie/la-musicotherapie-soulage-les-symptomes-de-la-fibromyalgie-et-ameliore-la-qualite-de-vie-des-malades/
http://www.hebdo.ch/musique_et_cerveau_des_connexions_inattendues_43382_.html

J’aimerais finir ce podcast en rappelant que des nombreux chercheurs se sont amusés à traduire en musique les séquences de nos gènes. J’ai aussi écouté une transposition en note du nombre pi. Les musiques parfois sont assez surprenantes.

Link :
http://www.petergena.com/FR/ADNmus.html
http://www.avoision.com/experiments/pi10k/index.php

Je pense aussi à la musique faite par la nature. Il y a un orgue qui joue avec l’eau de la mer à Zara en Croatie. Je n’ai jamais eu l’occasion de le voir ou plutôt de l’écouter, mais les amis qui l’ont vu m’ont dit que c’est assez impressionnant.

Link : http://en.wikipedia.org/wiki/Sea_organ

Je me rends compte que le domaine est très vaste. Par exemple, je n’ai pas abordé le sujet du groove, demandé par un auditeur. Je vais alors passer la parole au professeur Von qui va peut-être en discuter un tout petit peu…

Link : http://fr.wikipedia.org/wiki/Groove

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