Il était une fois le microbiote : le dossier

Dossier réalisé par Filipe de Vadder
pour l’épisode 494 de Podcast Science

Le microbiote : ces bactéries qui partagent notre vie

Nous sommes humains… Cela paraît une évidence. Des cellules humaines, donc, bien évidemment. Et pourtant. Une étude parue en 2016 dans la prestigieuse revue PLoS Biology évaluait, à partir des données récentes, le nombre de cellules humaines et bactériennes dans le corps humain. Si l’on peut estimer le nombre de cellules humaines à environ 3,0 x 1013, le nombre de cellules bactériennes est d’environ 3,8 x 1013. Pour un individu d’environ 70 kg, cela représente une masse de seulement 200 g. Négligeable alors?

L’existence de ces bactéries autour de nous n’a rien de nouveau. Avec l’avènement de la microbiologie au 19ème siècle, il est apparu très clair que notre monde était essentiellement bactérien. Tous les animaux, de l’éponge à l’orang-outan, en passant par le ver de terre, cohabitent avec un microbiote. Chez l’humain, ces bactéries se trouvent dans les muqueuses, sur la peau, dans le vagin, mais en grande majorité dans le tractus gastrointestinal : on parle de microbiote intestinal. Même dans l’estomac, ce milieu au pH très acide (autour de 2), des bactéries subsistent (notamment Helicobacter pylori, impliquée dans le développement des ulcères). Cependant, c’est dans la partie la plus lointaine de l’intestin, le côlon, que l’on trouve le plus de bactéries : environ 1011 à 1012 cellules bactériennes par gramme de tissu. Mais comment étudier ce microbiote ? Et surtout, a-t-il un rôle dans notre organism e?

Un peu d’histoire : les modèles d’étude du microbiote

Dans les études en physiologie, la meilleure forme d’étudier le rôle d’un organe a toujours été de supprimer ledit organe et de voir ce qui se passait par la suite. C’est ainsi que Banting et Best ont notamment effectué des pancréatectomies sur le chien, confirmant le rôle essentiel du pancréas dans la régulation de la glycémie. Mais peut-on supprimer expérimentalement des dizaines de milliards de cellules bactériennes ?

En 1885, lors d’une séance à l’Académie des Sciences, Louis Pasteur dit la chose suivante : « Souvent, dans nos causeries du laboratoire, depuis bien des années, j’ai parlé aux jeunes savants qui m’entouraient, de l’intérêt qu’il y aurait à nourrir un jeune animal (lapin, cobaye, chien, poulet), dès sa naissance, avec des matières nutritives pures. Par cette dernière expression, j’entends désigner des produits alimentaires qu’on priverait artificiellement et complètement des microbes communs. Sans vouloir rien affirmer, je ne cache pas que j’entreprendrais cette étude, si j’en avais le temps, avec la pensée préconçue que la vie, dans ces conditions, deviendrait impossible. »

Sans doute Pasteur avait-il cette « idée préconçue » en raison de sa connaissance de l’existence et de l’omniprésence du monde bactérien. Duclaux avait déjà en effet démontré que faire pousser des plantes dans un sol stérilisé ralentissait la croissance de celles-ci. Mais pouvait-on réaliser l’expérience de Pasteur ? Avait-il raison ?


Existe-t-il un moment dans la vie d’un mammifère où l’environnement est complètement stérile ? La réponse est oui, mais ce moment a lieu avant la naissance. Le fœtus se trouve dans un environnement entièrement dépourvu de microbes (ce qui semble être confirmé aujourd’hui, malgré des études contradictoires parues à ce sujet). Il suffirait donc de prélever les fœtus avant la naissance, puis de les faire grandir dans un environnement stérile. Facile ? C’est avec l’avènement de la gnotbiologie (du grec γνωστός, connaître expérimentalement, et βίος ,vie) que l’on va réussir enfin à étudier le microbiote. On parle ainsi d’animaux axéniques pour désigner des animaux dépourvus de tout microbiote. Le premier essai pour obtenir des animaux axéniques a lieu en 1895 avec des cochons d’Inde. Cependant, il faut attendre 1935 pour obtenir la première cohorte de cochons d’Inde, et 1946 pour obtenir une deuxième génération de rats axéniques.

Afin d’élever ces animaux complètement stériles, il a fallu développer des isolateurs, des sortes de bulles qui ne communiquent pas avec l’air extérieur. En maintenant une différence de pression, l’air extérieur ne rentre pas et ainsi les animaux restent stériles. Pasteur avait-il raison, alors ?

Évidemment, si je vous parle d’une deuxième génération, c’est que ces animaux-là sont viables. Ils survivent. Mais leur vie est-elle semblable à celle d’un individu qui cohabite avec un microbiote ?

Pendant de nombreuses années, l’étude des animaux axéniques a été cantonnée à l’étude de l’immunologie, sans faire spécialement attention aux autres fonctions physiologiques. Cependant, quelque chose apparaissait très clairement : les souris dépourvues de microbiote avaient un degré d’inflammation bien moindre que les souris conventionnelles (qui, elles, ont un microbiote complexe). Or l’une des caractéristiques de l’obésité est une inflammation accrue. Existe-t-il un lien entre microbiote et obésité ?

Microbiote et obésité, une relation complexe

Une étude parue en 2004 dans la revue PNAS a notamment démontré que les souris axéniques avaient une masse grasse inférieure à celle des souris conventionnelles. Si on prenait le microbiote des souris conventionnelles et qu’on le donnait aux souris axéniques (ce que l’on appelle une expérience de transplantation fécale), ces dernières se mettaient à faire du gras. Ainsi, on a pu démontrer que le microbiote était un facteur environnemental qui régulait la masse grasse. Au cours des dernières années, on a montré de nombreux liens entre microbiote et obésité, mais s’agit-il d’une cause ou d’une conséquence ?

Une façon très simple de comprendre si un micro-organisme est impliqué dans une pathologie est d’appliquer les postulats de Koch, des critères destinés à établir la relation de cause à effet liant un microbe et une maladie. Ces postulats, les voici :

  1. Le micro-organisme doit être présent en abondance dans tous les organismes souffrant de la maladie, mais absent des organismes sains.
  2. Le micro-organisme doit pouvoir être isolé et croître en milieu de culture pur (ne contenant que ce seul microbe).
  3. Le micro-organisme cultivé doit déclencher la même maladie chez un animal de laboratoire sensible.
  4. Le micro-organisme doit être à nouveau isolé du nouvel organisme hôte rendu malade puis identifié comme étant identique à l’agent infectieux original.

Cependant, ces critères se révèlent vite simplistes, et on a tendance à les remplacer par les critères de Bradford-Hill.

  1. Force de l’association (plus l’ampleur des effets liés à l’association est importante, plus un lien causal est probable, même si un faible effet n’implique pas une absence de lien de causalité) ;
  2. Stabilité de l’association (sa répétition dans le temps et l’espace)
  3. Cohérence (les mêmes observations sont réalisées dans différentes populations) ;
  4. Spécificité (une cause produit un effet particulier dans une population particulière en l’absence d’autres explications) ;
  5. Relation temporelle (temporalité). Les causes doivent précéder les conséquences ;
  6. Relation dose-effet (une plus large dose mène à un plus large effet) ;
  7. Plausibilité (plausibilité biologique, possibilité d’expliquer les mécanismes impliqués) ;
  8. Preuve expérimentale (chez l’animal ou chez l’homme) ;
  9. Analogie (possibilité d’explications alternatives).

Cherchons donc à appliquer ces critères à l’étude du microbiote dans l’obésité. Tout d’abord, la force de l’association. Les souris dépourvues de microbiote sont plus maigres que celles qui en ont un, et elles prennent du gras dès lors qu’on les colonise avec un microbiote. Ceci a tendance à montrer un lien causal.

La stabilité de l’association et la cohérence : est-ce que le microbiote est altéré chez les personnes obèses ? Une des forces de l’étude récente du microbiote a été l’avènement de la métagénomique, c’est-à-dire la possibilité de séquencer en une fois des milliers d’individus présents dans un milieu. En appliquant ça au microbiote, on a pu séquencer, à partir des matières fécales, les bactéries qui se trouvaient dans l’intestin des individus. Il faut imaginer tout cela comme une forêt : il y a de nombreuses espèces d’arbres, de fougères, d’arbustes, de buissons… Avec la métagénomique on a accès à une photographie qui nous dit qui se trouve à cet endroit. La forêt d’un individu maigre est-elle la même que la forêt d’un individu obèse ?

Les études de métagénomique ont révélé que l’écologie microbienne des individus obèses étaient fortement altérée. Ceci était vrai chez la souris, mais également chez l’humain. Pour poursuivre l’analogie avec la forêt, le microbiote des individus maigres ressemble plutôt à une forêt tropicale, alors que celui des individus obèses ressemblerait plutôt à une toundra, avec des espèces différentes, mais également moins riche. Ainsi, on peut appliquer au microbiote obèse ce que l’on appelle le principe d’Anna Karénine, du livre de Tolstoï écrit en 1877. L’incipit de ce roman est le suivant : « Toutes les familles heureuses se ressemblent, mais chaque famille malheureuse l’est à sa façon. » Les microbiotes des individus non obèses se ressemblent, mais chaque individu obèse a un microbiote distinct, moins riche et avec une écologie altérée.

Pour le reste des critères, nous pouvons apprendre énormément par l’étude de greffes (ou transplantations) du microbiote fécal, comme cela a été popularisé dans le 8ème épisode de la 23ème saison de la série américaine South Park. L’infection par la bactérie Clostridioides difficile provoque des diarrhées très sévères. Souvent, les traitements antibiotiques sont inefficaces et la seule option est la transplantation de microbiote fécal. On donne à la personne malade un cocktail de matières fécales provenant d’un donneur sain, via une sonde naso-gastrique. Dans plus de 90% des cas, l’infection disparaît par la suite. On ne sait pas encore très bien ce qui fait que la procédure marche, peut-être le microbiote sain se met-il en place et chasse ainsi la bactérie infectieuse. Toujours est-il que, inspirés par cette méthode, on a cherché à savoir si cela pouvait marcher pour l’obésité.


Des études chez la souris ont notamment montré que des souris axéniques qui recevaient le microbiote d’une souris génétiquement obèse développaient plus de masse grasse que celles qui recevaient le microbiote d’une souris maigre. Une étude publiée en 2012 dans la revue Gastroenterology a montré une très modeste augmentation de la sensibilité à l’insuline chez des patients obèses ayant reçu une transplantation de microbiote fécal provenant d’individus non obèses. Cependant, par la suite, de nombreuses études ont cherché à effectuer ces expériences de transplantation et le constat est sans appel : la transplantation fécale est inefficace en tant que méthode pour faire maigrir les individus, et améliorer les paramètres métaboliques. Pour autant, cette méthode reste prometteuse pour d’autres maladies.

Mais faut-il alors abandonner les recherches sur le microbiote et l’obésité ? Une des erreurs commises lors des premières études sur la fonction du microbiote a été de largement surestimer sa fonction. Il aurait suffi de prendre une niche écologique complexe comportant des centaines d’espèces et de la mettre chez un autre individu pour que ça marche. Avec le temps, on a compris que, plus que les espèces présentes, ce qui comptait le plus était les molécules que le microbiote sécrétait. Ainsi, parmi ces molécules, on sait notamment que les acides gras à courte chaîne, que le microbiote produit en fermentant des fibres alimentaires, possèdent la capacité à augmenter la sensibilité à l’insuline, ont un effet coupe-faim et augmentent la dépense énergétique. La clé dans tout ça est donc dans l’alimentation : une alimentation riche en fibres permettra la production de ces molécules clés qui vont avoir un effet bénéfique sur la santé.

D’autres études ont permis d’identifier des espèces clés qui ont un rôle métabolique bénéfique. L’équipe de Patrice Cani à Bruxelles a ainsi identifié la bactérie Akkermansia muciniphila, dont la présence augmente la sensibilité à l’insuline notamment. À partir d’études chez la souris, l’équipe a identifié une protéine de la membrane de cette bactérie capable d’avoir les effets bénéfiques escomptés. Une première étude sur l’humain a montré des résultats prometteurs quant à l’utilisation de cette bactérie dans des traitements de maladies métaboliques. De même, une étude menée par Fredrik Bäckhed, de l’université de Göteborg, a montré que la présence dans le microbiote intestinal de la bactérie Prevotella copri conditionnait le succès d’une intervention nutritionnelle à base d’un régime riche en fibres. Au-delà de la simple composition du microbiote, une étude approfondie de ses fonctions et des individus qui le composent semble plus prometteuse.

Microbiote et malnutrition, des pistes prometteuses

Par « malnutrition », on entend les carences, les excès ou les déséquilibres dans l’apport énergétique et/ou nutritionnel d’une personne. Ce terme couvre 3 grands groupes d’affections :

  •  La dénutrition, qui comprend l’émaciation (faible rapport poids/taille), le retard de croissance (faible rapport taille/âge) et l’insuffisance pondérale (faible rapport poids/âge) ;
  • La malnutrition en matière de micronutriments, qui comprend la carence en micronutriments (manque de vitamines et de minéraux essentiels) ou l’excès de micronutriments ;
  • Le surpoids, l’obésité et les maladies non transmissibles liées à l’alimentation (par exemple, les cardiopathies, les accidents vasculaires cérébraux, le diabète et certains cancers).

La dénutrition, et particulièrement la sous-nutrition chronique, touche environ 150 millions d’enfants dans le monde. Hormis les retards de croissance associés, les enfants souffrant de dénutrition possèdent souvent des déficits immunitaires et cognitifs, qui persistent à l’âge adulte. Cette dénutrition n’est pas la conséquence d’un déficit calorique dans l’alimentation, mais d’un manque dans l’apport d’un type de nutriments très particuliers : les protéines.

Plusieurs études ont démontré l’importance du microbiote dans les mécanismes de croissance juvénile. En effet, les souris axéniques ont une croissance retardée. Chez l’humain, c’est l’équipe de Jeff Gordon, à l’université Washington de Saint Louis, qui a notamment démontré que les enfants en situation de dénutrition avaient un microbiote altéré. En jouant sur le microbiote lors de la renutrition des enfants, une étude a mis en évidence qu’une supplémentation avec certaines souches microbiennes permettait de restaurer la croissance après une période de malnutrition sévère.

Cette implication du microbiote dans la croissance est observée à l’échelle de plusieurs espèces. Ainsi, chez la drosophile (mouche à vinaigre), les larves axéniques présentent une taille réduite et leur passage au stade pupe (avant la métamorphose) est retardé. Il suffit de coloniser ces larves avec la bactérie Lactiplantibacillus plantarum pour que ces retards disparaissent complètement. Cette bactérie n’est pas présente de façon naturelle chez la souris. Cependant, une souris mono-colonisée (c’est-à-dire que 100% de son microbiote est composé de cette bactérie) avec cette bactérie présente une meilleure croissance qu’une souris axénique et, surtout, elle résiste mieux aux effets délétères associés à un régime très pauvre en protéines. Ces recherches ont permis d’étendre l’étude à une souris conventionnelle, présentant un microbiote complexe constitué de centaines de bactéries. Lorsque ces souris étaient nourries avec un régime pauvre en protéines (avec une réduction de 75% par rapport au contrôle), le traitement avec la bactérie permettait de modérer les effets délétères sur la croissance. Les études ont permis de montrer que ceci était dû à un véritable dialogue moléculaire qui s’organisait au niveau de l’intestin, entre des molécules de la paroi de la bactérie et des protéines de reconnaissance.

Conclusions et perspectives

Toutes ces données nous montrent bien à quel point le microbiote est un acteur clé dans la biologie de l’hôte. Il existe clairement une relation symbiotique entre les individus qui ont co-évolué depuis des centaines de millions d’années. Pasteur avait prédit la vie impossible sans microbiote. Ce n’est pas vrai pour la souris, mais ce serait biologiquement impossible pour certaines espèces (la vache par exemple).

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