LAP – leucémie aiguë promyélocytaire – Gaël Fortin

Introduction


Vous n’avez probablement jamais entendu parler de la leucémie aiguë promyélocytaire, ou LAP. D’ailleurs, j’ignorais son existence avant de commencer à travailler dessus. En fait, c’est une sous-catégorie de sous-catégorie des cancers du sang, ceux qu’on appelle les leucémies. Et la LAP est particulièrement rare. Tant mieux, parce qu’il y a 50 ans, cette leucémie était mortelle en l’espace de quelques jours ! Aujourd’hui, on la soigne relativement bien, mais avec un traitement hors du commun : un cocktail détonnant d’arsenic et de vitamine A. Je précise que je n’ai bu que de l’eau avant de venir au micro de Podcast Science. Mais alors qui a eu cette étrange idée d’utiliser un poison et une vitamine pour traiter cette leucémie ? Et comment ça peut bien fonctionner ? Pour le comprendre, on va plonger ensemble dans l’incroyable histoire de la leucémie aiguë promyélocytaire.

1. Une leucémie incurable ?


1. La galaxie “leucémies”

Pour comprendre d’où vient cet étrange traitement, intéressons-nous d’abord à la maladie. On parle souvent des cancers du sein ou du poumon, mais les cancers du sang, beaucoup moins. On connaît un peu mieux le terme de leucémie, mais c’est assez rare de dire qu’une leucémie est un cancer du tissu sanguin. Pourtant ce tissu existe bien, et il est liquide ! Il est composé de différents types de cellules, qui peuvent donner différents cancers. 

 En France, sur les 380 000 nouveaux cas de cancer diagnostiqués chaque année, 12% d’entre eux (donc 45 000) sont des cancers du sang.

Comme pour les autres cancers, tout commence dans une cellule, ces unités qui forment notre corps humain. Mais ici, il s’agit d’une cellule un peu spéciale, dont le job est de nous protéger contre tous ces microbes qui trainent autour de nous : le lymphocyte (aussi connu sous le nom de globule blanc). Je dis “une”, mais en fait ces cellules, il y en a des millions dans votre corps, et elles se répartissent les tâches. Certaines s’occupent d’attaquer les microbes, d’autres de les identifier, d’autres encore de faire le ménage… Bref, chacun est à son poste.

Sauf que parfois, ça tourne au drame dans nos cellules. L’une de ces cellules peut être soudainement modifiée, par exemple par les composés contenus dans une bouffée de cigarette. La plupart du temps, il ne se passe rien pour plusieurs raisons. Déjà parce que la modification de cette cellule peut n’avoir aucun impact sur son fonctionnement. Ensuite, parce que les cellules disposent d’une boîte à outils bien fournie pour régler les modifications qui pourraient devenir gênantes. Une seule modification a donc peu de chance de conduire à un cancer : c’est plutôt une combinaison de modifications, parfois héréditaires, parfois liées à notre mode de vie ou notre environnement… 

Lorsque cet ensemble de modifications devient problématique, la cellule perd la tête : elle arrête de remplir ses fonctions et se réplique encore et encore jusqu’à envahir son entourage puis tout le corps. C’est cette multiplication non-régulée d’un groupe de cellules qu’on appelle le cancer.

Mais pourquoi un cancer du sang me direz-vous ? Parce que ces cellules qui nous protègent des microbes sont une partie du temps dans notre sang. Si l’une de ces cellules est modifiée et donne un cancer, on retrouve des millions de cellules répliquées dans le sang. Dans certains cas, le sang devient même blanc, d’où le nom scientifique de “leucémie” qui veut dire “sang blanc” en grec.

Et des leucémies, il en existe malheureusement un certain nombre. Une de leurs particularités est d’ailleurs de toucher des cellules qui ne sont pas spécialisées. Autrement dit, elles sont encore à l’école et rempliront un jour leur job pour éliminer les intrus, produire les globules rouges ou faire le ménage dans notre corps. C’est le cas de la LAP.

2. Une leucémie foudroyante

Cette leucémie que l’on sait guérir aujourd’hui, était considérée il y a 50 ans comme l’une des pires. C’est en 1957 qu’elle a été pour la première fois décrite par Leif Hillestad, un médecin norvégien. Dans les premières études, les patients survivaient entre 1 jour et 1 mois après leur diagnostic. Elle n’était en effet généralement découverte que très tardivement dans la progression de la maladie. 

Évidemment, la question du médicament à utiliser s’est très vite posée : comment traiter les patients atteints de cette nouvelle leucémie ? Et bien, ce n’est malheureusement pas simple…

Pour la plupart des cancers, la maladie est d’abord localisée : cancer du sein, du poumon, du foie… Dans ces cas, les médecins ont plusieurs outils à leur disposition. La plupart du temps, ils commencent par enlever les cellules qui posent problème avec leur bistouri. La chirurgie permet alors d’éliminer la plupart voire la totalité du cancer. Un autre de leurs outils consiste à utiliser des rayons X pour tuer les cellules malades.

Mais pour les leucémies, il y a un problème de taille : comme je l’ai dit tout à l’heure, les cellules du cancer se baladent dans le sang, et donc partout dans le corps ! Impossible d’utiliser le bistouri ou les rayons X.

Il leur reste alors une seule option, le troisième outil caché dans leur manche : utiliser des médicaments. Contrairement au bistouri et aux rayons X, ils peuvent aller traquer le cancer dans les recoins du corps humain. Lors de la découverte de cette leucémie, ces traitements sont encore balbutiants et regroupés sous le nom de chimiothérapie.

Là vous vous dites peut-être “ah mais oui, c’est la fameuse chimio, celle qui rend les gens malades comme un chien et qui leur fait perdre leurs cheveux !” et… vous avez raison. Le terme de “chimiothérapie” est un grand panier dans lequel on met la plupart des médicaments utilisés pour lutter contre les cancers. Leurs effets secondaires sont parfois importants car on a du mal à créer des médicaments qui ne ciblent que les cellules cancéreuses. Comme les cellules d’un cancer se répliquent à toute vitesse, on essaie de bloquer cette folle réplication. Ça fonctionne bien sur ces cellules, mais malheureusement aussi sur les autres cellules du corps qui se divisent vite. C’est par exemple le cas pour les cellules de notre intestin ou celles qui produisent les cheveux, d’où les effets secondaires de la chimio.

Ces médicaments ont été utilisés dès la fin des années 50 pour la LAP avec de réels effets. En 1973, une chimiothérapie permettait aux patients de survivre en moyenne 2 ans après leur diagnostic, bien mieux que deux décennies plus tôt. Encore aujourd’hui, pour les autres leucémies qui se développent rapidement, on n’a pas trouvé mieux et les patients vivent entre 1 à 5 ans après leur diagnostic. Mais pour la LAP, le sort de milliers de patients va changer grâce à un heureux hasard.

3. Des cellules au travail forcé

En 1980, trois chercheurs testent l’effet de certains composés sur les cellules de LAP récupérées directement de patients. Certains produits semblent agir sur les cellules et l’un d’entre eux retient particulièrement leur attention : la vitamine A. En mettant en contact les cellules avec de la vitamine A, la réaction est immédiate : les cellules se remettent au boulot. Celles qui semaient la pagaille et se répliquaient sans cesse reprennent leur vie et se spécialisent en cellule du système immunitaire, les neutrophiles. Comment la vitamine A peut-elle avoir un effet si puissant sur la LAP ? Le mystère reste entier : ces trois chercheurs n’en ont alors aucune idée.

Quelques années plus tard, en 1985, la vitamine A est combinée à la chimiothérapie chez les patients atteints de cette leucémie. L’effet est drastique. Comme les chercheurs l’avaient observé, la vitamine A permet de forcer les cellules leucémiques à retourner sur les bancs de l’école. Une fois en classe, elles deviennent inoffensives pour le corps et arrêtent de se multiplier. Cet effet combiné à la chimiothérapie réduit fortement le risque de voir la leucémie réapparaître et pour la première fois, certains patients sont définitivement guéris.

Nous sommes alors au début des années 90, en Occident. Mais au même moment, à l’autre bout de la planète, une seconde révolution commence.

4. L’arsenic : poison ou remède ?

Vu de la France, la médecine traditionnelle chinoise passe surtout pour un ensemble de pratiques très ésotériques et pas efficaces. Nous ne sommes pas là aujourd’hui pour débattre de ce sujet, et je n’en ai d’ailleurs pas du tout les compétences. Ce qui nous intéresse ici dans la médecine traditionnelle chinoise, c’est l’utilisation de l’arsenic. On connaît bien l’arsenic comme poison : il a été utilisé pendant des siècles comme tel car il n’a ni goût ni odeur. C’est pour ça qu’il a longtemps été appelé le “poison des rois”. Et pour en savoir plus sur les poisons, vous pouvez écouter ou réécouter les épisodes 335 et 352  de Podcast Science sur “Les petits poisons d’Agatha Christie”.

On parle de poison, mais en Chine, l’arsenic est pourtant utilisé en tant que médicament depuis très longtemps, à des doses bien plus faibles bien sûr.

Au début des années 90, des médecins chinois décident donc de donner de l’arsenic à des patients atteints de leucémie. Ils observent alors que les cellules leucémiques se remettent au travail, comme pour la vitamine A. Mais de façon surprenante, les résultats obtenus sont bien meilleurs. En utilisant uniquement de l’arsenic (donc sans aucune chimiothérapie ni vitamine A), 70% des patients sont guéris. Presque aussi bien que le traitement de référence alors utilisé en Europe !

Plusieurs équipes de recherche, dont celle du Pr Hugues de Thé, dont je fais partie aujourd’hui, ont alors l’idée de supprimer la chimiothérapie et de la remplacer par de l’arsenic. La thérapie “vitamine A + arsenic” est née.

Au début des années 2010, les résultats des premiers essais cliniques de grande ampleur sont dévoilés. Le traitement chimiothérapie + vitamine A permettait une guérison d’environ 80 à 90% des patients au prix d’un traitement très lourd. L’utilisation d’arsenic combinée à la vitamine A permet de guérir 98% des patients. Le traitement suivi est bien moins lourd avec des effets secondaires bien plus réduits. Il est depuis devenu le traitement de référence utilisé à l’hôpital.

En 50 ans, cette leucémie est passée d’incurable et foudroyante à maladie guérissable pour la quasi-totalité des patients. Il s’agit là d’un des plus grands succès de la médecine moderne. Mais il reste un problème de taille dans cette belle histoire : comment cet étrange traitement à base d’une vitamine et d’un poison peut-il bien fonctionner ?!

2. Au coeur de la leucémie


1. A l’origine de la maladie : PML-RARA

Si les patients atteints d’une LAP ont commencé à être traités avec des médicaments au début des années 70, on ignorait à l’époque ce qui rendait ces cellules hors de contrôle et aboutissait à la leucémie. En 1977, une première découverte scientifique tente de répondre à cette grande question. Au cœur de chacune de nos cellules se trouve l’ADN, qui fait office de manuel d’instruction de la cellule et permet la production des éléments cellulaires qui exécutent les tâches. Les modifications qui touchent nos cellules peuvent parfois aboutir à rendre une instruction illisible. Mais là, c’est bien pire : on découvre que ce sont carrément des pages entières du manuel d’instruction qui ont été modifiées. Imaginez monter une table basse Ikea en ayant les instructions dans le désordre !

C’est exactement ce qu’il se passe dans les cellules. Hors de contrôle, elles décident de sécher l’école. Si l’identification de cette modification de grande ampleur de l’ADN est un premier pas, les équipes de recherche sont par contre incapables de déterminer à quoi correspondent les pages inversées. En tout cas, pas encore…

Il faudra attendre 13 ans, donc en 1990, pour que l’enquête des chercheurs progresse enfin. Ils parviennent à lire ce que contiennent ces fameuses pages. Deux noms ressortent : PML et RARA. Si PML ne vous dit rien, c’est normal : c’est la première fois que cet élément de la cellule est identifié. Par contre, pour RARA c’est une autre histoire, mais je vais faire un peu durer le suspense.

Dans la cellule, certains éléments ont pour mission de lire les pages du manuel d’instruction pour que les tâches correspondantes soient exécutées. Pour reprendre cette délicate métaphore suédoise, si vous êtes un bricolo prudent, sans manuel d’instruction complet, il est peu probable que vous vous mettiez à monter votre table basse. Pour la cellule, c’est la même chose. RARA fait justement partie de ce groupe d’éléments : il lit les instructions et donne les ordres correspondants. Mais dans la LAP, les pages du manuel d’instruction correspondant aux éléments  PML et RARA se retrouvent collées l’une à l’autre. Et c’est une très mauvaise chose car elles sont si collées qu’elles fusionnent entre-elles. Résultat, lorsque ces pages sont lues pour produire les éléments cellulaires PML et RARA, un seul élément, fusionné, est produit : PML-RARA. C’est cette chimère cellulaire qui est à l’origine de la LAP : mi-PML, mi-RARA elle est incapable de faire son travail correctement. Elle ne lit plus les bonnes instructions du manuel de la cellule, ordonne tout et n’importe quoi, jusqu’à ce que la cellule soit hors de contrôle et se réplique encore et encore…

2. De la vitamine A pour les gouverner tous

Si la découverte de PML-RARA explique l’origine de la maladie, elle apporte également un argument choc pour expliquer l’effet du traitement. Le doux nom de RARA a un sens : il signifie récepteur à l’acide rétinoïque alpha. Et justement, je parle d’acide rétinoïque depuis tout à l’heure sans que vous vous en rendiez compte car l’autre nom de cette substance est la vitamine A. Comme toutes les vitamines, c’est une substance dont le corps a aussi besoin pour fonctionner normalement, mais qu’il ne produit pas lui-même en assez grande quantité. L’apport de vitamines se fait donc principalement par l’alimentation. 

Les plus Sherlock d’entre vous commencent peut-être à voir le puzzle s’assembler. Alors commençons ensemble : la LAP est causée par une modification des cellules. Cette modification produit une chimère cellulaire du nom de PML-RARA. Elle met le bazar dans la cellule. Et justement, la vitamine A, utilisée à l’hôpital pour soigner ces patients, se fixe sur la partie RARA de PML-RARA (vu que c’est un récepteur de la vitamine A).

Notre enquête avance, mais que se passe-t-il après ? La première hypothèse a avoir été avancée était que la vitamine A remettait PML-RARA sur le droit chemin et la forçait à lire le manuel d’instruction. Mais cette idée s’est révélée fausse. La réalité est plus simple : quand la vitamine A se fixe sur PML-RARA, elle déclenche sa destruction. Les cellules reprennent alors le chemin de l’école pour se spécialiser. Cependant, ce mécanisme n’est pas parfait : la vitamine A seule est efficace sur la leucémie, mais les patients reviennent généralement à l’hôpital quelques mois ou années plus tard, de nouveau malades. Si la destruction de PML-RARA est importante, elle ne suffit pas à elle seule à guérir de la LAP. C’est là que l’arsenic entre en jeu.

3. Le double effet Kiss Cool de l’arsenic

Comme je le disais tout à l’heure, l’arsenic a été utilisé dès les années 90 par des médecins chinois avec des résultats stupéfiants. En guérissant 70% des patients atteints d’une LAP, il est presque aussi efficace que le traitement vitamine A + chimiothérapie utilisé en Occident.

Comment expliquer cette incroyable efficacité ? Pour cela, il faut tout d’abord retourner à la chimère cellulaire PML-RARA. Si la vitamine A se fixe à la partie RARA de la chimère, l’arsenic se fixe à la partie PML de cette entité ! En gros, c’est chacun sa part du gâteau… Vous aurez peut-être deviné ce qu’il se passe lorsque l’arsenic se fixe à PML-RARA : il déclenche sa dégradation !

Nous voici donc en présence de deux substances : l’arsenic et la vitamine A, qui stimulent tous les deux la dégradation de PML-RARA. Mais bien vite, les chercheurs ont compris que l’arsenic avait plus d’un tour dans son sac. Si l’arsenic dégrade PML-RARA comme la vitamine A, alors leur effet devrait être le même chez les patients. Et pourtant, l’arsenic guérit la LAP seul alors que la vitamine A ne guérit que lorsqu’elle est combinée avec de la chimiothérapie. Il y a donc autre chose…

En creusant le sujet, on a découvert que l’arsenic se fixait à PML-RARA, mais pas que. Je vous ai parlé tout à l’heure des modifications du manuel d’instruction de la cellule qui, dans notre cas, aboutissent à PML-RARA. J’ai omis un détail qui s’avère en réalité essentiel : la cellule n’a pas UNE  mais DEUX copies de ce manuel, “au cas où”. Dans la LAP, seul un des deux manuels est modifié. Le deuxième, intact, ne suffit pas à empêcher la cellule de faire n’importe quoi. Mais dans ce deuxième manuel se trouve une copie normale de PML qui vit sa vie loin de RARA. Il se trouve que l’arsenic est aussi capable de se fixer à PML ! L’arsenic se fixe donc à PML-RARA ET à PML. En se fixant à PML-RARA, il le détruit. Mais en se fixant à PML, il lui donne surtout un bon coup de fouet. Voilà que PML reprend les rênes de la cellule et la force à revenir dans le droit chemin.

C’est ce double effet Kiss Cool qui explique pourquoi l’arsenic seul est plus efficace que la vitamine A. En plus d’éliminer PML-RARA, il fait le ménage et remet tout en ordre. En somme, il répare la table basse IKEA pour qu’elle ressemble à quelque chose et passe même l’aspirateur.

Notre puzzle est désormais complet : si ce traitement paraît très ésotérique, il est en réalité appuyé par de solides éléments scientifiques. La vitamine A et l’arsenic détruisent ensemble PML-RARA, et l’arsenic s’assure que tout rentre dans l’ordre via PML.

3. Vers de nouveaux traitements ?


1. PML, super-héros cellulaire

Tout rentre dans l’ordre… serait-ce l’épilogue de cette histoire ? Pas vraiment non… Car l’histoire ne s’arrête pas là. Pour la LAP, nous avons un traitement qui fonctionne extrêmement bien. Désormais, les patients diagnostiqués pour cette leucémie reçoivent le traitement vitamine A + arsenic qui permet, après de longs mois de traitement, la guérison. Les patients arrêtent alors de prendre vitamine A et arsenic et la maladie ne revient généralement jamais. Guérir tous ces patients était inespéré pour les médecins des années 60. Mais pour toutes ces personnes atteintes d’une autre leucémie ? Ces découvertes pourraient-elles être utiles ?

En un mot : oui. Ce qu’on a découvert après toutes ces années, c’est que PML jouait un rôle essentiel dans le maintien de l’ordre cellulaire. Ce justicier qui avançait jusque-là masqué a été révélé au grand jour. Et nous commençons désormais à faire appel à lui dans d’autres leucémies.

Par exemple, en 2021, notre équipe de recherche a montré que PML jouait un rôle essentiel dans une autre leucémie. En utilisant un traitement spécial, PML reprenait du service dans ces cellules et permettait de rendre la chimiothérapie bien plus efficace. D’autres travaux ont aussi montré qu’on pouvait stimuler PML dans d’autres cancers. Dans les années à venir, on découvrira probablement encore d’autres pouvoirs à ce super-héros cellulaire.

2. La vitamine A, couteau suisse contre les leucémies

Au-delà de PML, l’histoire de la LAP a permis de mettre en avant la vitamine A. Certes, seule, elle ne permet pas de guérir cette leucémie foudroyante, mais comme vous l’avez compris, elle force les cellules à reprendre le chemin de l’école et à se spécialiser.

Dans d’autres leucémies aussi, les cellules cancéreuses ont arrêté d’étudier et refusent de se spécialiser. Et là aussi, la vitamine A a été testée… avec succès ! Un essai clinique très récent qui a été réalisé dans le sud de Paris vient d’ailleurs de montrer que la vitamine A était bénéfique lorsqu’elle est ajoutée à la chimiothérapie. Ça ne permet pas encore de guérir ces patientes et ces patients, mais c’est un pas de plus dans cette direction. D’un traitement ciblé contre une leucémie très rare, la vitamine A est en passe d’être utilisée dans des situations bien plus diverses.

3. Comprendre pour mieux soigner

 En fin de compte, la vraie leçon à tirer de cette histoire, c’est le changement d’une approche thérapeutique ciblée vers des traitements beaucoup plus larges. Pour être honnête, même si c’est un brin déprimant, la LAP reste encore une exception. J’aimerais pouvoir dire à ce micro que toutes les leucémies sont désormais guéries. D’ailleurs en préparant cette émission, on m’a dit que j’étais “un peu trop optimiste” sur la réalité médicale. Alors en étant un peu plus pragmatique, la réalité c’est qu’encore aujourd’hui, après des décennies de recherche, de nombreuses personnes meurent chaque année d’une leucémie.

Mais grâce au travail acharné que nous menons, les chances de survivre s’améliorent d’année en année. Et la LAP en est un exemple. On pourrait dire que c’est le seul cancer que l’on est aujourd’hui capable de guérir grâce à une thérapie ciblée. Et c’est vrai. Mais je préfère dire que ce n’est pas la seule, mais la première. Il y en aura d’autres, et l’histoire de la leucémie aiguë promyélocytaire montre la voie. Il s’agit avant tout d’un incroyable succès scientifique et médical. Pendant 50 ans, on a essayé, étudié, cherché à comprendre pour pouvoir guérir. Comprendre pour mieux soigner, voilà la conclusion de cette success story scientifique. Et j’en suis certain, ce sera la conclusion de toutes celles qui arrivent…

Sources

En français : 

G. Fortin, V. Lallemand-Breitenbach, and H. de Thé, “La leucémie aiguë promyélocytaire: un paradigme de la guérison par les traitements ciblés,” Bulletin de l’Académie Nationale de Médecine, p. S0001407923000699, Feb. 2023, doi: 10.1016/j.banm.2023.01.024.

En anglais : 

C. C. Coombs, M. Tavakkoli, and M. S. Tallman, “Acute promyelocytic leukemia: where did we start, where are we now, and the future,” Blood Cancer Journal, vol. 5, no. 4, pp. e304–e304, Apr. 2015, doi: 10.1038/bcj.2015.25.

H. de Thé, “Differentiation therapy revisited,” Nat Rev Cancer, vol. 18, no. 2, pp. 117–127, Feb. 2018, doi: 10.1038/nrc.2017.103.M.-C. Geoffroy, C. Esnault, and H. de Thé, “Retinoids in hematology: a timely revival?,” Blood, vol. 137, no. 18, pp. 2429–2437, May 2021, doi: 10.1182/blood.2020010100.

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