Internet pète un câble, partie 1

-> Ce dossier a été réalisé pour l’épisode 489 de Podcast Science <-

Plusieurs types de câbles sous-marins

Des câbles pour la télécommunication

Les câbles sous-marins, c’était le thème de ma toute première petite chronique pour Podcast Science en l’épisode 396, il y a déjà trois ans… À l’époque, on en comptait 380 étalés sur toute la planète. Depuis, en trois ans, une soixantaine de câbles sous-marins ont été mis en service en plus que ceux déjà existant. Dont notamment le plus long au monde de 45 000 km faisant tout le tour de l’Afrique (2Africa) ou des câbles entièrement financés par un grand groupe comme celui de Google (Dunant) liant la France aux États-Unis. Aujourd’hui, début 2023, on en compte plus de 450 foulant le fond de nos océans. Tous ces câbles correspondent à la « colonne vertébrale » d’internet. 98 % des télécommunications passent par là. Seuls quelques pouillèmes de pourcentage passent par les satellites.

Figure 1. Les câbles sous-marins à travers la planète

Des câbles pour l’électricité

À l’époque, j’évoquais les câbles sous-marins comme s’il en existait qu’un seul type. Comme si finalement on ne laissait traîner au fond des mers que des câbles pour la télécommunication. Mais en fait, bah… un câble reste un câble… On peut y transporter n’importe quoi dedans. J’avais omis l’existence des câbles sous-marins transportant juste de l’électricité, par exemple. Bah oui… On ne va pas relier des îles avec d’immenses poteaux électriques. Pareil pour les éoliennes posées sur nos mers. On va faire courir sur le fond des océans de gros câbles électriques.

Figure 2. Liaison SACOI3 pour les années à venir à moins 2025

La Corse est par exemple reliée au continent via l’Italie. Et, le saviez-vous : uniquement l’Italie ! J’avais en tête que la Corse soit liée au réseau électrique de la France continentale mais même pas. Donc la Corse est liée à l’Italie reliant Lucciana à Suvereto en traversant la mer méditerranée sur 100 et quelques kilomètres (la liaison SACOI). Cette même ligne électrique traverse ensuite la Corse pour rejoindre la Sardaigne. Conçue dans les années 1960, elle est d’ailleurs actuellement en cours d’étude de rénovation pour augmenter encore les capacités électriques transportées (SACOI3.fr). C’était juste un exemple. Je ne m’éternise pas sur les câbles et lignes électriques. Dans ce dossier, on va s’intéresser aux câbles sous-marins d’internet.

Sciences de l’information

Le squelette d’internet

La « colonne vertébrale» d’internet. C’est l’expression qu’on retrouve souvent. On a l’impression qu’internet c’est immatériel. On parle de « dématérialisation », de « cloud » et que tout passerait par des ondes et du sans-fil… Mais internet c’est loin d’être magique. C’est bien concret et matériel. On a des data centers, des routeurs et des ordinateurs. Des batteries, des moteurs et des générateurs. Mais aussi, et surtout, des câbles pour relier tout ça pour communiquer à n’importe quelle heure !

Si les câbles sous-marins étaient la colonne vertébrale d’internet, la tête serait tous les data centers : les centres de données, c’est-à-dire d’immenses entrepôts à disques durs où tout est stocké, de nos sites internet à nos vidéos et ce podcast que vous écoutez. Rien qu’en France on en compte au grand minimum 250 (nouvelobs). Et ces centres de données sont énergivores. Au point que ça se ressente sur la consommation électrique globale, pour dépasser les 1 % de l’électricité même en remettant les proportions à l’échelle mondiale (Masanet et al., 2020). Et leur demande en énergie ne fait qu’augmenter. En plus de leur nombre, où chaque année plusieurs dizaines de data centers sont installés.

Figure 3. Data centers français dites “neutres” début 2021 selon globalsecuritymag.fr
Aujourd’hui début 2023 on en compterait 260 et quelques… Uniquement de ces “neutres”.

Ainsi, internet ce n’est pas volatile et magique. C’est tout un squelette bien concret qui consomme énormément de ressources. Et comme chez nous, humains, c’est la tête qui consomme le plus. Pour clore l’analogie, si les câbles sous-marins étaient la colonne vertébrale et les data centers la tête, tout le reste du corps serait monsieur et madame tout le monde se connectant à internet. Et on ne se connecte pas directement à la tête. On passe par divers câbles et nerfs, dont cette fameuse colonne vertébrale que sont les câbles sous-marins, où passent des milliards de milliards d’informations en camionnettes.

Internet un peu plus net

Un transport d’informations en camionnettes ? Alors pourquoi tout à-coup je parle de camionnettes ? Et fait, dans les câbles internet, ce n’est pas un flux continu comme un cours d’eau, où les informations coulent à flot… comme si on tirait sur un fil pour détricoter un tricot… Non. Dans nos câbles, c’est davantage un flux discontinu comme des camionnettes sur les routes et tout son réseau. Les informations sont envoyées camionnette par camionnette, paquet par paquet. Et puis, une toutes ces camionnettes arrivées à l’adresse de livraison, tous ces paquets sont remis dans l’ordre selon un certain protocole (HTTP, POP3 , etc.).

Figure 4. Le chemin des informations du web

Qu’on se comprenne bien, ces paquets d’informations – ces camionnettes – traversent donc tous les câbles, des data centers jusqu’à mon ordinateur. L’adresse IP est justement là pour arriver au mien et pas au vôtre, d’ordinateur. Par exemple, si vous écoutez ce podcast en ligne, le data center vous envoie l’audio camionnette par camionnette, paquet par paquet, jusqu’à votre ordinateur.

Si vous êtes en Europe et écoutez ce podcast depuis Google ou Apple, on peut imaginer que depuis leurs propres data centers états-uniens, les paquets d’informations traversent l’atlantique pour arriver à votre ordinateur. Si vous êtes en Europe et écoutez ce podcast depuis Acast, Soundcloud ou Spotify, qui sont des entreprises suédoises, on peut imaginer que le podcast écouté provienne des data centers de Stockholm ou d’ailleurs et font donc moins de voyage en ne traversant pas l’Atlantique.

Bien sûr c’est un peu plus compliqué que ça. Chaque entreprise stocke des données sur plusieurs data centers de la planète. Google a des data centers européens par exemple : un en Irlande, un en Belgique, deux aux Pays-Bas, un au Danemark et un en Finlande. Apple en a qu’un seul en Europe, (au Danemark). On pourrait ensuite se demander quel est le plus efficace. Vaut-il mieux davantage centraliser ou étaler les data centers sur la planète ? Et entre Google Podcast, Spotify ou Acast, en fonction de la position de leurs data centers, pourrait-on savoir sur quelle plateforme est le plus efficace et le plus rapide pour écouter ce podcast ? Tout ça, ce genre de questions et ce qu’on vient d’évoquer jusque là, ça fait partie de l’étude des informations et de leurs communications.

Figure 5. Le fameux modèle de l’information de Shannon. Si c’est la Théorie de l’information de Shannon qui vous intéresse je vous renvoie vers la chaîne YouTube de Lê Nguyên Hoang Science4All (car moi je suis loin d’être à l’aise avec toute cette data).

L’étude de la communication des informations

L’étude de la communication des informations. C’est toute une science. Et c’est littéralement la définition des sciences de l’information (selon Yves-François Le Coadic notamment). L’information : de sa conception, à sa gestion et son utilisation. Mais déjà, c’est quoi une information ? Outch… Grande question. L’information c’est des trucs que quelqu’un organise pour le transmettre à quelqu’un d’autre. Bon. Ce n’est pas une définition qui provient de Wiener, Turing ou Shannon hein… C’est ma propre définition (à la con). Mais on retrouve les 3 grandes caractéristiques de l’information.

1. Des trucs qu’on organise. Que ce soit un cri, des paroles, des lettres, des symboles, un roman, des fumées d’un feu, des 0 et des 1 ou des signaux lumineux, on tente d’organiser des éléments pour les rendre compréhensible et transmissible. Une composante logique et linguistique de l’information. Pour mettre des mots précis dessus, en sciences de l’information et de la communication, on parle de message.

2. Des trucs qu’on transmet. À l’écrit, on transmet le message sur un bout de papier. À l’oral, c’est l’air qui transmet les ondes sonores de ce qu’on dit. En informatique, les 0 et les 1 sont transmis par circuits électriques. Bref, il y a toujours un support, un véhicule, sur lequel le message est transmis. Une composante physique et technique de l’information. Pour mettre des mots précis dessus, en sciences de l’information et de la communication, on parle de messager.

3. Des trucs de quelqu’un […] à quelqu’un d’autre. Bah oui. On ne va s’épuiser à organiser et transmettre des trucs juste pour le plaisir. Il y a un objectif derrière pour que ce soit réutilisé. Quitte à ce que ce soit soi-même qui réutilise cette information, dans le futur, en train de relire notre journal intime quand on était ado. Une composante psychologique et sociologique de l’information. Pour mettre des mots précis dessus, en sciences de l’information et de la communication, on parle d’émetteur et de récepteur.

Hors-Podcast Pour aller plus loin : Remarques philosophiques ?

Comme tout modèle, un modèle est une version simplifiée de la réalité. Est-ce qu’on peut toujours parler d’émetteur et de récepteur dans tous les cas lorsqu’on évoque l’information ? Si on voit une fleur rouge, ça veut dire qu’arrive à notre rétine une onde lumineuse d’une certaine fréquence que notre cerveau interprète comme rouge. Cette onde lumineuse rouge qu’émet la fleur peut être comprise comme une information. Peut-on pour autant dire qu’elle « émet » du rouge alors que finalement elle ne fait « que réfléchir » la lumière du soleil en gardant de nombreuses longueurs d’ondes lumineuses sauf le rouge ?

Plus loin encore, on pourrait se demander si une information existe uniquement s’il y a quelqu’un pour la recevoir ou la percevoir. Ou encore, que l’information puisse exister mais que l’émetteur, lui, ne serait qu’une idée, une représentation de l’esprit et non pas la réalité. Est-ce que le monde existe indépendamment de nous ? Est-ce que le monde existe en dehors de notre petite boîte cérébrale qui perçoit et interprète le monde ? Si oui, alors on a une conception réaliste du monde. Si non, alors on a une conception idéaliste du monde.

Figure 6. Mon petit résumé du vaste champs des sciences de l’information,
inspiré du schéma de wikipedia réalisé par Zythème lui-même inspiré du
schéma de Yves-François Le Coadic professeur en sciences de l’info.

Internet sur le schéma du : émetteur, message, messager, récepteur

Ça c’était pour la définition avec les notions de message, messager, émetteur et récepteur ; notamment repris du plus classique des modèles classiques de l’information : celui de Shannon. Si on applique ça sur internet, avec d’un côté l’émetteur et de l’autre le récepteur, on aurait d’un côté notre ordinateur et de l’autre les data centers. Tous deux sont fournis en électricité pour créer et organiser le message à envoyer. D’ailleurs, pour ne pas craindre de pénurie d’électricité, tout bon data center renferme des milliers de batteries et quelques générateurs (arstechnica.com).

En terme technique, côté chez nous et notre ordinateur, on parle de terminal de ligne optique (OLT). Et côté du data center, on parle de terminal de réseau optique (ONT). Pour être plus précis encore, côté chez nous ce n’est pas l’ordinateur qui communiquer avec les data centers, mais davantage le routeur : notre fameuse box internet. Mais on va dire que c’est notre ordinateur pour simplifier. Dit très rapidement, un routeur c’est un traducteur qui permet de traduire le langage de l’ordinateur au meilleur langage pour le réseau et les data centers.

Le Point Pascal : C’est quoi un routeur ?
Alors que je vulgarisais un routeur comme un “traducteur” de l’ordinateur vers l’extérieur, Pascal nous précise au sein de ce Podcast, qu’un routeur serait davantage comme un intermédiaire, comme le seul “personnage social” de tous nous outils connectés à la maison qui communique pour nous : « Chez toi, la seule machine qui a une IP qui peut communiquer sur internet, c’est ton routeur. »

Figure 7. Application schématique du modèle

L’information lumineuse

Émetteur et Récepteur maintenant grossièrement identifiés, passons au message et au messager. Comme une lettre où on écrit des mots sur du papier pour ensuite l’envoyer, pour internet on écrit des 0 et des 1 sur de la lumière pour ensuite l’envoyer. Le message sont les 0 et les 1, les mots, et le messager est la lumière qui fait office de papier. Lumière c’est 1. Pas lumière c’est 0. C’est le fameux jour nuit de Jackouille dans Les Visiteurs. Il communiquait certainement en binaire.

Figure 8. 0 = Nuit et 1 = Jour

Appuyez sur un interrupteur qui allume ou éteint une lampe. Jour, 1. Nuit, 0. Ce signal codé en lumière est ensuite envoyé dans ce que vous connaissez déjà, la fibre optique, qui ne fait simplement que la guider. Et à la vitesse de la lumière au rythme de plusieurs dizaines Gigabits par seconde. C’est-à-dire que des Jour/Nuits où vous appuyez sur l’interrupteur, il faudrait le faire 10 millions de fois à la seconde. De quoi péter un câble.

La fibre jusqu’au plus profond de chez nous…

Internet passe donc à travers la fibre optique. Ça, je ne pense pas vous l’apprendre. Est-ce que chez vous, vous êtes relié à la fibre optique pour vous connecter à internet ? Si oui, alors votre routeur communique avec les data centers directement avec cette lumière écrite avec des 0 et des 1. La fibre optique sert juste à guider cette lumière.

La fibre optique c’est justement ce qui est utilisé au sein des câbles sous-marins. La même qui passe des câbles jusqu’à nos habitations. La même aussi pour explorer votre estomac ou votre colon. Si vous avez subit une fibroscopie, une endoscopie, on pourrait presque dire que vous avez été connecté à la fibre optique par votre bouche ou votre fion ! En elle-même, la fibre optique est très fine, pas plus épaisse qu’un cheveu. Si l’endoscope est plus gros, c’est davantage à cause d’une petite caméra qui doit transmettre ses images en direct.

Figure 9. Endoscope

Le bordel organisé du génie de la télécommunication

Aujourd’hui, internet est un réseau de fibres optiques par lequel je peux me connecter avec des sites internet, grosses bases de données et autre personne où qu’elle soit dans le monde. Bon. Contrairement en l’endoscope, pas jusqu’à votre fion. Mais jusqu’à votre habitation (FTTH : Fiber to the Home). Mais peut-être un jour, qui sait. Pour savoir où est-ce que la camionnette-lumière doit passer dans tout ce maillage et réseau internet, hé bah on y écrit et encode l’adresse IP. On est pas loin d’y mettre un timbre même, a notre paquet de lumière, à notre camionnette.

Et pour un guidage optimisé, le monde entier est divisé en régions de plus en plus petites et localisées. Chaque quartier a son propre boîtier, où les chemins de campagnes des fibres optiques sont reliés aux nationales goudronnées. Puis chaque ville rassemble toutes ces routes goudronnées, sur une fibre optique nationale digne des meilleures autoroutes prêtes à arriver dans un câble sous-marin et faire la traversée.

Figure 10. Schéma (de lemon.fr) du réseau internet local

Les carrefours de fibres optiques entre quartier et ville puis ville et l’échelle nationale ont des petits noms. À l’échelle d’un quartier on parle de point de branchement optique (PBO) qu’il soit aérien accroché au poteau ou enterré. Davantage à l’échelle d’une ville on parle de nœud de raccordement optique (NRO) où là ce n’est plus un petit boiter mais une petite salle climatisée avec des batteries de secours pour alimenter le carrefour qui permet de rediriger. Et tout ce bordel et de carrefours de câbles à en péter un câble, ce sont les entreprises télécoms qui gèrent tout ça : Bouygues, Orange, Free, SFR, Liberty Global, Swisscom, Vodafone et tout le tralala.

Chaque petit carrefour a besoin d’un minimum d’alimentation électrique. Toutefois, le reste hors de ces carrefours, la majorité du réseau internet est dit réseau optique passif. Passif pour évoquer le fait que tous les câbles contenant la fibre ne sont pas alimentés en électricité. Quand on creuse pour nous installer la fibre optique sous-terre, elle sera donc là pour plusieurs dizaines d’années, comme si tout était mécanique et bien huilé parce qu’il n’y a pas grand-chose qui s’use et qui demande une alimentation en électricité.

Figure 11. Généralités sur les fibres optiques et câbles sous-marins
tiré de (Castellanos et al., 2022)

Sciences Physiques : optique

Concrètement, techniquement

Tout ça c’est donc vrai pour nos petits câbles de fibre optique terrestre du quotidien, là, sous nos pieds facile d’accès ; mais pas pour les éloignés câbles sous-marins. Par exemple, alors que chez nous la lumière peut faire l’aller et le retour dans la même fibre optique, dans les fibres optiques des câbles sous-marins ce n’est pas le cas. On a une fibre pour l’aller et une fibre pour le retour. On parle alors de paire de fibres optiques.

Il y a malgré tout une chose en commun, avec nos câbles terrestres du quotidien. C’est bel et bien l’utilisation du même chemin, du même milieu : le verre de la fibre optique. Alors commençons d’abord par là. Par détailler ce qu’est une fibre optique. Parce qu’on en a parlé jusque là, sans avoir pris le temps de définir ensemble ce que c’est. Alors. Une fibre optique est un tout petit cylindre, un minuscule cheveu de verre, pas plus épaisse qu’un cheveu autour de 230 micromètres. Pleine de verre, une fibre optique est composée :
——– d’un cœur, tout au milieu de 10 micromètre de diamètre, faite en verre ;
——– superposée d’une gaine d’un autre type de verre ;
——– le tout enveloppé dans une couche de plastique protectrice.

Figure 12. Composition d’une fibre optique standard

Fibres Optiques Standards

L’intérêt d’avoir plusieurs couches de verre est simple à expliquer. Le cœur de la fibre sert à faire passer la lumière. Et la couche externe, composée d’un autre type de verre plus dense si vous voulez, permet de rediriger la lumière. Et la manière dont on redirige la lumière peut être différente en fonction du type de fibre optique. Oui parce qu’il n’y a pas qu’une seule manière de concevoir une fibre optique, mais des dizaines de manière de faire.

Une des manières de rediriger la lumière, certaines fibres optiques utilisent des sortes de miroirs : si la lumière dévie du cœur de la fibre, des sortes de miroirs redirigent la lumière. La gaine, la couche de verre autour du cœur, imite donc le résultat d’un miroir. Une autre manière de rediriger la lumière, est de la rediriger petit à petit et pas directement comme un miroir.

Par analogie, pour rediriger une camionnette pour qu’elle reste au milieu de la route, on va élargir la route en remontant les bords pour que la camionnette reste bien au centre. De la manière d’un skatepark, d’un toboggan ou d’une luge d’été, les bords relevés permettent de rediriger la camionnette-lumière vers le centre de la route de manière progressive. On parle de fibre à gradient d’indice. Si les bords de la route sont extrêmement relevés presque équivalents à un mur sur lequel la camionnette-lumière rebondit comme si c’était quasiment un miroir, on parle de fibre à saut d’indice.

Figure 13. Fibre optique à gradient d’indice Vs Fibre optique à saut d’indice.
Et analogie avec la camionnette qui roule sur une route aux bords plus ou moins relevés.

Un peu d’optique classique

Après… Peu importe le type de fibre utilisé, ça utilise le même principe physique derrière. Vous vous souvenez de l’indice de réfraction pour celles et ceux qui sont passés par le lycée ? n1 × sin(i) = n2 × sin(r). n1 étant l’indice de réfraction d’un milieu 1 ; et n2 l’indice de réfraction d’un milieu 2. La lumière est déviée en fonction du milieu traversé. Par exemple, si vous plongez la moitié d’une paille dans un verre d’eau, vue du dessus on a l’impression que cette paille est comme brisée. C’est ça, visuellement, la réfraction de la lumière. En passant de l’air (milieu 1) à l’eau (milieu 2), la lumière est déviée.

Figure 14. Principe de base de la réfraction de la lumière

Hé bien, dans une fibre optique c’est pareil. Autour du fil de verre qu’est le cœur de la fibre, on y met une large gaine d’un autre type de matériau ayant un indice de réfraction de plus en plus éloigné de celui du cœur, en allant vers l’extérieur. Ainsi, si la lumière s’éloigne du cœur de la fibre, couche après couche, la lumière est petit à petit déviée de manière à la remettre dans son droit chemin, sans toucher la moindre paroi. C’est l’analogie d’une route surélevée sur les côtés pour que la camionnette reste bien au centre de la route.

Hors-Podcast Pour aller plus loin : les termes techniques parfois utilisés

En acoustique, une onde qui se dirige d’une certaine manière est appelée un mode. Par analogie des camionnettes, une camionnette qui se dirige tout droit est un certain mode, alors qu’une camionnette qui fait continuellement des zig-zags sur les rampes des côtés de la route surélevée est un autre mode. Pour les fibres optiques utilisées dans nos câbles internet, on utilise des fibres qui ne font passer qu’une seule manière de traverser, qu’un seul mode donc. On appelle ce genre de fibre optique une fibre optique monomode. Pour les fibres optiques microstructurées (cf. plus loin), qui sont ultra-sélectives sur la manière dont se propage l’onde lumineuse, elles sont alors encore davantage monomode.

Lorsqu’en revanche on accepte plusieurs chemins de lumière dans une même fibre optique on appelle ça une fibre optique multimode. À la différence des fibres monomodes, celles-ci ont un cœur beaucoup plus large de l’ordre de la centaine de micromètres, pour laisser libre court aux mouvements de Madame Lumière, qui est donc bien à l’aise et pas à l’étroit dans un cœur de 10 micromètre dans une fibre monomode. Les fibres multimodes ne sont toutefois pas utilisées en télécommunication car sur une longue distance deux signaux lumineux (d’une même longueur d’onde !) risque d’interférer entre-eux quitte à s’inhiber et donc perdre de l’information (on parle de dispersion intermodale).

Figure 15. [à venir] Exemples de réfraction de la lumière en fonction des indices de réfraction (n) du milieu

C’est mieux quand ça tourne pas rond

Une fibre optique des plus standards utilisée dans les réseaux de télécommunications est donc un cylindre plein de verre, pas plus gros qu’un cheveu, composé d’un cœur de forme cylindrique bien régulier, entouré d’un gaine de verre pour rediriger la lumière en son cœur. Tout est bien cylindrique et circulaire donc. Or, en recherche on démontre qu’une fibre optique est plus efficace si on change la forme du cœur de la fibre optique. Au lieu de quelque chose bien cylindrique, circulaire, régulier et homogène, d’autres formes plus aplaties – plate comme le dessous d’une baguette de pain (Université Côte d’Azur, 2021) – ou en y ajoutant des trous d’air ou d’une autre matière (Vitre et al., 2022) sont plus efficaces pour guider la lumière.

Par exemple, on ajoutant à l’horizontal de part et d’autre du cœur de la fibre optique deux barreaux de verre composés de matériaux différents (du verre dopé au bore), on contraint la lumière qui se déplace de manière horizontalement couchée où l’onde lumineuse oscille de gauche à droite, comme un serpent. Car elle croise le chemin d’autres matériaux. Et, de fait, on favorise l’onde lumineuse qui se déplace de manière verticale debout, où l’onde lumineuse oscille de bas en haut telle une chenille. La manière dont se déplace la lumière, plus ou moins tournée sur elle-même, couchée ou debout, serpent ou chenille, c’est ce qu’on appelle la polarisation. Je vous renvoie vers l’épisode 421 de Podcast Science où Johan nous l’explique plus longuement car c’est tout le thème de l’émission.

Figure 16. Coupe d’une « fibre Panda »

Ce type de fibre pris en exemple est une fibre polarisante favorisant la lumière se déplaçant debout en chenille par rapport à la lumière se déplaçant de manière couchée en serpent. Il existe plusieurs manière de polariser la lumière dans une fibre optique. Cette technique citée en particulier est appelée fibre Panda (Donald & Tumminelli, Avril 2021 ; Vitre et al., 2022). Et pour la petite anecdote elle est appelée Panda parce que… si on fait une coupe de la fibre, les deux barreaux de différents matériaux de part et d’autre du cœur, font deux tâches sombres. On voit alors une tâche claire au milieu de deux tâches sombres qui ressemblent à des yeux d’un panda.

Figure 17. Conception la plus classique d’une fibre optique : un barreau de verre du même pattern que la fibre qu’on chauffe à 2000°C à un endroit pour qu’elle s’étire (ou s’écoule finalement) sur un filament de quelques micromètres.

Fibres Optiques Microstructurées

Comme ici avec l’exemple de notre fibre polarisante, ajouter des petites structures au sein même de la fibre (des trous d’airs, des barreaux en verre ou des barrières en d’autres matériaux) on appelle ça des microstructures. Il existe alors d’autres types de fibres optiques qu’on appelle fibres optiques microstructurées. Au lieu d’une fibre optique standard cylindrique homogène, on peut par exemple y ajouter dedans des trous d’airs, comme si on avait percé le verre d’une fibre optique sur tout sa longueur.

Vous avez déjà joué au Mikado ? Vous savez ce jeu de fins bâtons de bois où il faut les retirer un à un d’un tas sans les faire bouger. Hé bien, si vous regroupez dans votre main de manière verticale tous ces fins bâtons de bois, vous avez grosso-modo la conception d’une fibre optique microstructurée. Les bâtons de bois du Mikado sont les barreaux de verre, et entre eux on a des tubes et des trous d’airs. Voilà grossièrement ce qu’est une fibre optique microstructurée. Un regroupement de bâtons de bois de Mikado de manière ordonnée.

Figure 18. Mikado

Si on fait une coupe de ce genre de fibre optique, vue de face on ne verrait plus un panda. On aurait un disque de verre, avec plein de trous d’airs. Ces trous d’air sont agencés de manière à ce qu’ils soient symétriques, ce qui forme une belle structure en nid d’abeille. En nid d’abeille, c’est-à-dire comme si tous les trous d’air étaient des alvéoles formant tous ensemble un hexagone. En terme technique, on appelle le tout un capillaire.

Et au centre de cet hexagone on a le cœur. Un peu plus gros que les alvéoles tubaires qui sont autour, le cœur est soit plein composé de verre, soit creux composé d’air (Provino et al, 2019). À sa conception, soit on décide que la lumière va circuler dans du verre, soit dans de l’air. Et pareil, il y a plusieurs manières de faire pour agencer ce nid d’abeilles de trous et de verre. Il y a alors une grande liberté de fabrication, pour s’adapter au type de lumière envoyée (Balme-Fortier, 2011).

Figure 19. Exemples de coupes de fibres optiques microstructurées tirés de (Provino et al, 2019). Parmi les nombreux avantages, elles permettent notamment de varier la plage de longueur d’onde possiblement envoyée plus loin dans l’infrarouge de 1,5 à 22 micromètres de longueur d’onde.

Principes généraux des fibres optiques microstructurées

Cette microstructure permet de mieux guider l’onde lumineuse. Au lieu d’un indice de réfraction en changeant la densité de matière dans du verre, cette fois-ci on change carrément de milieu. Du verre on passe à l’air et de l’air on passe au verre. L’indice de réfraction est donc plus franc, plus tranché, plus direct. Dès fois on ajoute certains matériaux dans le verre pour que ce changement de milieu soit encore plus franc (par exemple le chalcogénure composé de sélénium, arsenic, tallure (Balme-Fortier, 2011)).

Si on reprend notre analogie de la camionnette, au lieu que ce soit la route qui soit relevée sur les bords, on change carrément de milieu. Soit on a un mur, soit de l’herbe, soit un bac à gravier, soit on a carrément un fossé dans lequel la camionnette tombe et se perd. Si je comprends bien, l’analogie n’est pas si mal trouvée, car dès fois les microstructures sont réalisées de sorte à ce que la lumière qui dévie trop largement de sa nature, de sa vitesse initiale et de sa position centrale en se tenant bien droite sans tourner sur elle-même est carrément inhibée et perdue (Provino et al, 2019).

Dès fois donc, dans certaines fibres optiques spécifiques, on ne guide plus l’onde lumineuse qui « part un peu en steak ». On l’interdit de partir là où on veut pas. Ou on la supprime carrément, pour éviter tout bruit dérangeant. Ce genre de fibre optique est donc ultra-sélective. La lumière dans ce type de fibre est moins libre. C’est la « dictature ». Alors que dans une fibre standard on invite la lumière à se rediriger, dans les fibres microstructurées, on ordonne la lumière à se rediriger : elle n’a pas le choix.

Figure 20. [ à venir ] Des différences d’indices de réfractions bien trop élevés

Hors-Podcast Pour aller plus loin : les termes techniques parfois utilisés
En termes plus technique, dès fois on parle de « bande interdite photonique » et de « cristaux photoniques ». Bande interdite parce qu’on interdit la lumière d’y arriver. Ouais. Mieux que de la réflexion de la lumière ou d’un miroir, là on l’interdit carrément. Soit on y met un mur, soit on y met un fossé. Quant à l’expression cristaux photoniques, c’est un synonyme de la fibre optique microstructurée. Ça veut juste dire que notre fibre optique est composée de différents matériaux et que ces différents matériaux sont organisés de manière périodique (tous les x nanomètres) et agencés tel un cristal, tel un damier si vous voulez.

Des fibres optiques toujours plus spécialisées

Il existe donc tout un tas de type de fibres optiques en fonction dont elle est construite. Des fibres optiques standards à gradient d’indice et à saut d’indice jusqu’aux fibres optiques microstructurées à bandes interdites (BIP) en passant par les fibres à gaine Kagomé, à dispersion contrôlée, à maintien de polarisation, à cœur suspendu, à multi-cœurs, à structure hybride… (Provino et al, 2019) Il existe même des fibres optiques où c’est carrément la forme globale externe qui est modifiée (fibre topographique).

Parmi toute cette diversité, aujourd’hui est encore majoritairement utilisé des fibres optiques standards, pleine de verre sans trou ou autre matière. Les fibres optiques microstructurées tendent toutefois à être l’avenir et à gagner du terrain sur l’utilisation au quotidien. Leur meilleure performance n’est pas négligeable. Cette meilleure performance est non seulement due par une sorte de « dictature imposée » à la liberté de mouvement de la lumière, mais elle est aussi due à l’évitement de certains défauts optiques classiques de la lumière se baladant uniquement dans du verre. Mais avant d’en parler je dois rapidement parler de propagation de la lumière.

Figure 21. Propagation de la lumière

Optique du laser

L’envoie de la lumière dans une fibre optique ne se fait pas par la lampe torche du premier magasin du coin, mais par toute une technologie laser. Je vois renvoie vers l’épisode 212 de Podcast Science où Nicolas Grandjean nous détaille précisément cette technologie. Pour expliquer les lasers, il commence d’ailleurs en évoquant la fibre optique avant de parler d’Einstein. Fibre optique et Einstein, vous êtes donc presque obligés d’aller l’écouter ou le ré-écouter !

Grossièrement, un laser est une prison à lumière pour amplifier le signal au mieux et la diriger le plus précisément possible tel un petit filet lumineux, en-dessous du micromètre. Malgré tout, malgré un tout petit très précis faisceau lumineux, au fur à mesure de la distance, la lumière tant à diverger, à se disperser. Par exemple, si vous allumez une lampe torche, la zone éclairée créée est un cône partant de la source lumineuse. Un cône, et pas un tube tout droit. Au fur à mesure qu’on s’éloigne de la source lumineuse, le cône lumineux s’élargit. C’est ça quand on dit que la lumière se disperse. Le signal tend donc à être atténué, à perdre en intensité sur la distance parce que a lumière est dispersée.

Figure 22. Schéma de la Diffusion Rayleigh réalisé par Christophe Dang Ngoc Chan et téléversé par Cdang sur Wikipédia

Sciences Physiques : quantique

Atténuation ou Affaiblissement de propagation

S’ajoutent à cela les possibles déformations et défauts du verre qui perturbent la propagation linéaire de la lumière. Ou encore les virages que peut faire une fibre optique, si elle est plus ou moins pliée. Une courbure de la fibre optique augmente l’angle de réfraction sur le matériau de la gaine et donc augmente potentiellement la proportion de lumière non-réfléchie et perdue.

On peut faire un très rapide point sur les phénomènes physiques qui freinent et atténuent le signal lumineux. Pourquoi la lumière ne peut pas toujours aller tout droit sans s’atténuer et se disperser ? La réponse est simple : parce que là où elle se propage, il y a de la matière.

Diffusion Rayleigh

Qui dit matière, dit atomes et molécules qu’elles soient plutôt structurées comme dans une sorte de solide qu’est le verre ou bien libre de leur mouvement comme dans un gaz qu’est l’air. Lorsque la lumière traverse un tel milieu, elle interagit avec les particules de matière. C’est pour ça que lorsque la lumière sort d’un laser, ou d’une lampe torche, elle ne se propage pas en ligne droite de manière tubulaire. Elle se propage de manière conique.

On appelle ça la diffusion Rayleigh. C’est ce même phénomène qui explique le pourquoi on voit le ciel bleu. Parce que les molécules dans l’air font “dévier” la lumière du soleil, renvoyant alors majoritairement une couleur bleue perçue par nos yeux. Et bah dans une fibre optique c’est pareil. Cette diffusion varie en fonction des longueurs d’onde utilisées et du milieu traversé.

Figure 23. L’atténuation dans le verre est plus ou moins grande en fonction de la longueur d’onde utilisée. On n’utilise pas la première longueur d’onde venue, comme ici c’est schématisé pour des lycéens par l’académie de Rouen.

Dans le verre de la fibre optique, le type de lumière le moins atténué lors de sa propagation est la lumière de longueur d’onde de 1550 nm qui est la moins atténuée. En couleur, ça équivaut à du proche infrarouge. Pour comparer, une longueur d’onde de 700 nm correspond à la couleur rouge par exemple.

Une longueur d’onde c’est-à-dire la distance que parcourt l’onde lumineuse pour revenir à son état initial lors du mouvement sinusoïdal. Si vous écrivez un M majuscule, et qu’elle représente l’onde, la distance entre les deux pics du haut du M équivaut à la longueur d’onde. C’est la fréquence de l’onde lumineuse si c’est plus accessible pour vous : ce sont un peu les mêmes notions.

Diffusion Raman & Diffusion Brillouin

La présence de matière perturbe donc la trajectoire de la lumière. Mais inversement, la présence de la lumière qui tape dans de la matière la fait perturber. La fait même bouger ! Si notre camionnette se tape un mur, pas certain que ce mur en reste intact. Il va au moins vibrer à cause du choc. Une onde acoustique donc. On appellerait ça en physique la diffusion Brillouin, si je comprends bien. Et une onde acoustique fait littéralement bouger la matière. Donc si la lumière se propage dans une fibre optique qui elle-même se met à vibrer, autant dire que ça peut faire des trucs bizarres ; et ce qu’on observe ce sont des minimes décalages (de l’ordre de quelques GHz (ordre du pm) (Beugnot et al., 2022)).

Même chose et de même ordre, lorsque dans sa course la lumière tape une molécule de verre, la molécule absorbe l’énergie. Elle frémit et vibre, pour finalement ré-émettre un autre signal lumineux quasiment similaire au signal reçu. Et le quasiment est tout le problème car ça brouille toujours un peu plus le signal. C’est ce qu’on appelle la diffusion Raman.

Hors-Podcast Pour aller plus loin : les termes techniques parfois utilisés
En termes techniques, diffusion Raman et diffusion Brillouin sont toutes deux dites diffusions in-élastiques. À l’inverse, la diffusion Rayleigh est une diffusion élastique. Une diffusion élastique est lorsque l’énergie qui cause le phénomène physique ressort en même quantité en conséquence. Par analogie du mot élastique, si je tends un élastique, l’énergie emmagasinée est entièrement réutilisée pour se détendre quand je lâche l’élastique. Dit autrement, dès que c’est la matière qui vibre et qui absorbe quelque chose, on parle de diffusion in-élastique.

Dispersion chromatique

Tout ça c’était au niveau de la matière. La plupart du temps donc, au niveau du verre. Terminons cette partie optique par le côté laser. Il est difficile de générer une lumière très pure d’une seule et même longueur d’onde. Par exemple 1550 nm. Ce qu’envoie un laser est une petite plage d’onde autour de 1550 nm. Malgré des petits écarts de longueurs d’onde aussi minimes sont-ils, par exemple entre 1550 nm et 1551 nm, ces écarts se ressentent sur des milliers de kilomètres car l’une se propage plus rapidement que l’autre. L’impulsion lumineuse au début instantanée s’étale alors sur la distance, avec au final de la lumière retardataire. On appelle ça la dispersion chromatique.

En soit, ce n’est pas un problème si l’impulsion lumineuse est seule. Sauf qu’en pratique, dans une fibre optique s’enchaînent à la pelle des milliards d’impulsions lumineuses à la seconde (Balme-Fortier, 2011). Si l’impulsion lumineuse de devant prend alors du retard, vous commencez à voir le soucis. Si c’étaient des camionnettes, on auraient des accidents. Hé bah, en optique c’est pareil. Les impulsions pourraient se chevaucher et donc perdre de l’information.

Figure 24. [ à venir ] Résumé des pertes éventuelles du signal lumineux

Des répéteurs pour booster le signal

Diffusion Rayleigh, Diffusion Raman, Diffusion Brillouin, Dispersion chromatique et autres Pertes et Absorptions… Tous ces phénomènes physiques donc contribuent à l’atténuation du signal, c’est-à-dire à perdre en intensité sur la distance. Pour contrer cette atténuation, on installe tous les 80 km environ un petit boîtier pour booster à nouveau le signal. On appelle ça des répéteurs. Tout simplement parce que bah… ça répète le signal reçu pour le ré-envoyer.

Et je viens de dire que c’étaient des « petits » boîtiers, mais en réalité un répéteur c’est un truc qui peut atteindre des centaines de kilogrammes quand même (selon l’idna.fr), parce qu’il faut notamment bien l’isoler. Les répéteurs des plus basiques utilisent de l’électricité pour répéter et régénérer le signal lumineux avec des bobines de cuivre (arstechnica.com).

Figure 25. Photo de répéteurs

Régénérateur Mamyshev

Aujourd’hui, on n’installe plus ce genre de répéteur qui passent par de l’électricité : tout est optique, sans aucune conversion électrique qui ferait perdre du temps (Balme-Fortier, 2011). Aujourd’hui donc, en réalité, on ne devrait plus parler de répéteur, mais plus régénérateur. En effet, la lumière qui entre est la même que celle qui ressort. Elle a juste fait peau neuve, comme si on passait notre camionnette au garage pour réparation.

La lumière qui était un peu rabougri en entrée, ressort toute fraîche. Alors que, très grossièrement, dans les technologies précédentes de répéteurs, on changeait carrément de camionnette. La technologie la plus connue est appelée « Régénérateur Mamyshev ». Elle regroupe 2 grandes étapes pour régénérer le signal lumineux (2R : Ré-amplification et Re-modulation) : l’amplification puis la modulation.

Figure 26. Schéma des étapes du Régénérateur Mamyshev de Christophe Finot pour wikipedia. La partie triangle correspond à l’amplification avec une fibre dopée (HP-EDFA pour High-Power Erbium doped fiber amplifier). C’est l’équivalent d’une technologie laser. La partie enroulée correspond à l’auto-modulation avec une fibre souvent spécifique et microstructurée (NDF pour Normally Dispersive Fiber ; les lettres écrites en dessous correspondent aux caractéristiques de la fibre et aux coefficients des différentes dispersions et diffusions précédemment énumérées). Enfin, le rectangle avec des ondes barrées ou non correspond au filtre (OBPF pour Optical BandPass Filter)

Première étape régénérante : l’amplification

Lorsque le signal lumineux rabougri et fatigué de ses 80 km parcourus arrive, la première étape est de l’amplifier pour lui redonner du peps, à cette lumière. Par analogie, après sa longue route, notre camionnette un peu cabossée et endommagée passe à la station de lavage automatique, pour mieux voir à quoi on a affaire en face de nous, pour mieux voir les dommages.

Au niveau optique, l’amplificateur optique correspond à la technologie d’un laser. On emprisonne la lumière pour qu’elle fasse peau neuve. Là, dans une fibre optique, on ne va pas l’emprisonner car il faut bien qu’elle ressorte un jour. On la fait donc passer dans une déviation de fibre optique dopée d’énergie pour qu’elle se refasse une santé (Vitre et al., 2022).

Figure 27. [ à venir ] Fonctionnement schématique d’une fibre dopée

Une fibre optique dopée

Une fibre optique dopée, concrètement c’est une fibre optique classique à laquelle on a ajouté des atomes parmi les cristaux de verre. Ces atomes sont des métaux rares, comme l’Erbium, qui sont surchargés d’énergie électronique. Et cette énergie, une fois l’atome excité, libère de la lumière. Une lumière identique à celle du signal.

J’ai pris l’exemple de l’Erbium. Un métal rare, une terre rare dans le terme scientifique plus précis ; parce que lorsqu’il passe d’un état excité plein d’énergie à un état de repos, il libère de l’énergie par de la lumière autour d’une longueur d’onde de 1550 nm (entre 1529 et 1610 nm). Voilà pourquoi on utilise de l’Erbium. Car il renvoie de la lumière équivalente à celle utilisée dans pas mal de fibre optique : 1550 nm.

Deuxième étape régénérante : l’auto-modulation de phase (SPM)

Après avoir ressourcé le signal lumineux et avoir mis en avant les défauts, l’objectif sera de garder le peps du signal amplifié tout en supprimant les bruits et les défauts. C’est-à-dire garder des pics d’intensité bien en haut, pour obtenir des 1 très clairs, et mettre le reste à 0.

À la sortie d’un régénérateur, le signal est alors comme neuf avec de beaux pics d’intensité et le reste à plat à 0. Le moindre bruit qui donnait une intensité de 0 virgule quelque chose en entrée (e.g., 0,1 ; 0,21…) a été supprimé par cette auto-modulation. Par l’analogie de notre camionnette, c’est de réparer les défauts et garder ce qui fonctionne bien pour qu’elle reparte de plus belle.

Figure 28. [ à venir ] L’Effet kerr

De l’électricité pour alimenter

Les seules contraintes d’un tel régénérateur sont les suivantes : c’est lourd (de l’ordre de la centaine de kilogrammes selon idna.fr, mais parlent-ils réellement des régénérateurs Mamyshev ?), c’est volumineux (car il faut amplifier le signal de chaque fibre une à une) et ça demande un minimum d’électricité ! En effet, lors de la phase d’amplification où la lumière passe par des fibres optiques dopées, ce fameux dopage pour « charger » les atomes en énergie consomme de l’électricité.

Dans les câbles sous-marins, il n’y a donc pas uniquement le signal optique qui passe. On envoie aussi de l’électricité. Pas une grande intensité, juste de l’ordre de l’ampère, suffisamment pour alimenter les répéteurs. Un ampère c’est le « débit » électrique qui passe, par exemple, dans un cordon USB pour recharger un smartphone. En revanche, comme le câble parcourt des kilomètres par milliers, cet ampère est délivré sous une tension de plusieurs milliers de volts.

Par analogie, c’est comme si, de leur propre continent, un nord-américain et un européen tendaient une corde sur toute la largeur de l’atlantique. Le but étant que la corde soit tendue. Si on tire doucement dessus, elle va se tendre sur quelques mètres et puis c’est tout. Or pour traverser l’atlantique, il y a des milliers de kilomètres ! Il faut alors une sacrée tension pour la maintenir tendue sur toute la largeur de l’océan. Et concrètement si on sort de l’analogie, ces personnes qui tirent sur la corde, pour maintenir une tension élevée, ont un petit nom en anglais : les PFE pour Power Feed Equipment. Une sorte d’armoire à électricité qu’on retrouve de part et d’autre de la fibre optique.

Figure 28. Une belle armoire de fils électriques avec un joli monsieur attentionné

Sciences Physiques : mécanique

Composition minimale d’un câble sous-marins

Les câbles sous-marins contiennent par conséquent un tube en cuivre par lequel est conduit l’électricité. Et c’est à l’intérieur qu’on y met les fibres optiques. Souvent, au sein d’un câble sous-marins, on a 8 paires de fibres optiques. Des paires parce qu’il y en a une pour l’aller et une autre pour le retour. Pour protéger l’information précieuse, le plus basique des câble sous-marins entoure les fibres optiques de 4 couches :

  • un tube en acier pour contenir les fibres optiques ;
  • une couche de barres d’acier servant d’armure ;
  • une couche conductrice d’électricité souvent en cuivre ;
  • et une couche de plastique servant d’étanchéité.
Figure 29. Exemple d’une composition d’un câble sous-marin
(en fonction de sa profondeur, il y a plus ou moins de couches)

Un câble encore plus gros

S’ajoute à cela une sorte de « gel anti-pression », parce qu’à 8 km de profondeur la pression équivaut à tenir une voiture sur un seul doigt (Pression de 8000kg/cm² Takeshita et al., 2019). Finalement, un câble sous-marin des plus basique fait environ 18 mm de diamètre pour un poids total de poids de 0,6 kg/m (0,3 kg/m sous l’eau).

Avec simplement 3 ou 4 couches de matériaux, il est posé au plus profond de l’océan, sans très grande protection. Par contre, au fur et à mesure que le câble s’approche des côtes, on y ajoute petit à petit, de plus en plus de protection. 2500 mètres de profondeur, 1500 mètres puis 200 mètres (Orange Marine). Plusieurs belles couches d’armure en acier auxquelles s’ajoute à chaque fois une couche de plastique pour maintenir le tout. D’un diamètre de moins de 2 cm on passe alors à un câble de 8 cm de diamètre près des côtes. D’un poids de 0,6 kg/m on arrive à 4,5 kg/m près des côtes. Là, allez-y. Vous pouvez y aller pour péter votre câble.

Figure 30. Photo d’un bon gros câble sur son câblier

Les prédateurs du vers-câble-sous-marin

Arrivé près des côtes, on enterre même carrément le câble sous-marin, jusqu’au maximum 3 mètres de profondeur. De quoi a-t-il peur pour se cacher dans les profondeurs ? De quoi a peur le câble sous-marin pour qu’une fois arrivé près des côtes il se cache sous le sable et la vase ? Le plus grand prédateur du câble sous-marin est son concepteur, lui-même, l’être humain.

Autant de protection est ajoutée au câble à l’arrivée des côtes car l’activité humaine est la plus grande cause des déchirures et coupures de câbles sous-marins. L’ancre d’un bateau malencontreusement mal positionné, le chalutier qui racle le fond de son filet, ou encore le petit filou qui veut interrompre les communications de manière délibérée. À côté de ça, les événements naturels, tremblements de terre, avalanches sous-marines, jaillissements de lave et requins ne restent que des événements encore plus rares. Même les tempêtes solaires n’ont aucun impact (Castellanos et al., 2022). Jaillissements de lave parce que oui… le câble sous-marin est posé un peu comme on peut sous les mers. Et pour traverser l’atlantique, par exemple, on doit bien à un moment donner passer sur le dorsale atlantique, là où les plaques se séparent pour laisser passer un peu de lave.

Figure 31. Réparation d’un câble sous-marin à la main ?

Réparer un câble sous-marin

Si un câble est déchiré ou défectueux à un endroit, on va proprement couper le câble puis remonter les deux bouts du câble comme un pont-levis qui se coupe en deux en milieu. On a alors une partie droite qui se retrouve en l’air jusqu’à la surface, et une partie gauche qui se retrouve aussi en l’air jusqu’à la surface. Du déplacement en bateau jusqu’au retour, l’opération de réparation dure environ 10 jours, avec 5 jours sur les lieux pour couper et re-souder tout le bordel (arstechnica.com).

Dès fois, si ce n’est pas très profond, on installerait carrément une cabine, ou un caisson, là où le câble est endommagé. De cette cabine on y évacue l’eau. Puis quelqu’un répare le câble sur-place sans aucun contact. Comme si l’intérieur de la cabine était hautement dangereux en manipulant des objets irradiés. Tout ça à même les fonds marins :

Figure 32. Réparation d’un câble sous-marin à la main ?

Du Génie aux Sciences économiques

Se connecter au monde

Un câble endommagé loin en mer reste rare. En revanche, les câbles sous-marin près des côtes sont déjà plus exposés au danger, malgré les grosses armures en tiges d’acier. Ainsi, être raccordé par un seul et unique câble sous-marin est plutôt risqué. « On est au moins tranquille quand on a au moins 3 câbles sous-marins » connecté à un pays nous dit Jean-Luc Vuillemin, Directeur Réseaux Internationaux chez Orange (2022 dans Mashup). Parce que si vous n’avez qu’un seul et unique câble. Et que vous venez de péter un câble. Vous êtes littéralement coupé du monde. C’est ce qui est par exemple arrivé aux îles Tonga, à cause d’une éruption volcanique en Janvier 2022.

En France ça va, on est plutôt bien voire très bien raccordé quel que soit où vous habitez. Mais imaginez la Suisse ! Difficile avec elle de péter un câble ! Je rigole parce que la Suisse n’a pas d’accès à la mer, donc encore moins des câbles sous-marins, mais c’est un réelle question pour notamment les pays centre-africains qui n’ont aucun accès à la mer. Être relié par internet via les câbles sous-marin, certes a un coût, mais permet un réel développement économique (El-Sahli, 2020).

Figure 33. Raccordements des câbles sous-marin du côté des îles Tonga

La coût d’un câble sous-marin

Parlons du coût justement. Les câbles sous-marin les plus courts « de 50 à 100 km, qui ne nécessitent pas de répéteur, [ont coûté] autour de 30 millions d’euros » (Takeshita et al., 2019). Un répéteur, quant à lui, est de l’ordre du million d’euros l’unité (idna.fr). Un câble sous-marin, en fonction de sa longueur, atteint donc facilement les centaines de millions d’euros (El-Sahli, 2020).

Dans le monde les grands groupes de télécommunication capables d’installer des câbles sous-marin sont de toutes les grandes nations. Par exemple l’entreprise chinoise Huawei Marine (Hentong Optic Electric), l’entreprise britannique Global Marine Group, ou en France on a Orange Marine et la géante entreprise de Nokia : Alcatel Submarine Networks (ASN).

Figure 34. Photo d’un câblier utilisé pour le câble 2Africa

Du génie ingénierie

La pose d’un câble sous-marin se fait à l’aide d’un gros bateau spécialisé qu’on appelle câblier. En France, on en aurait 9 (selon Orange Marine). Un câblier transporte avec lui tous les répéteurs nécessaires et bien évidemment tout le méga câble bien enroulé comme il faut dans une cuve. Une fois au large, au-delà des côtes où le câble est enterré à l’aide d’une charrue – oui comme le font les agriculteurs – le bateau avance tout simplement en déposant le câble à la mer. Le câblier pose du câble à plus de 150 km par jour. Une fois en mer donc, ça déroule. Littéralement.

Malgré tout, on ne dépose pas au hasard le câble au petit bonheur la chance. Au préalable, on essaie d’évaluer les fonds marins par un relevé topographique pour savoir où est-ce que le câble doit idéalement être posé. L’étude des fonds des océans va même jusqu’à relever des échantillon du fond marin proche des côtes, pour savoir si le terrain est assez meuble pour y enterrer notre précieux câble fibré.

Figure 35. Photo lors d’un atterrissage du câble 2Africa.
Avant d’être minutieusement enterré, on laisse flotter
le câble à l’aide de petites bouées comme ici illustré.

Atterrissement ou Atterrissage ou Atterrage

Oui parce que, encore une fois, le plus critique et le plus long, c’est à l’arrivée des côtes. En terme technique on parle d’atterrissement ou d’atterrissage. Pour raccorder la fibre optique du câble sous-marin aux réseaux des télécommunications terrestres, on installe un bâtiment pour faire les raccordements. Parfois, ce bâtiment sert également de data centers. Ce lieu est donc climatisé et sécurisé.

C’est ici que sont localisés les fameux placards électriques (PFE pour Power Feed Equipment) qui alimentent la fibre optique. Ou plus particulièrement le tuyau en cuivre de la fibre optique pour alimenter tous les répéteurs régénérateurs. Y est également stocké des générateurs d’électricité à diesel ou des dizaines d’énormes batteries. D’énormes batteries au plomb qui – je cite et traduis un certain Bob Dormon journaliste freelance auteur d’un très bel article (sur arstechnica.com) – « dans des réservoirs transparents, ressemblant à des cerveaux extraterrestres dans des bocaux, bordent la pièce. »

Figure 36. La Photo de Bob Dormon lui évoquant des bocaux à cerveaux

Encore une fois, internet est loin d’être immatériel

Donc encore une fois, internet c’est pas du « cloud », du « sans-fil » ou de « l’immatériel ». Là on a des bâtiments entiers de fils, de générateurs qui fonctionnent avec de l’essence, des milliers disque durs et des dizaines d’énormes batteries rangées comme dans un couleur d’un film de science-fiction ; sans oublier… nos fameux câbles sous-marins qui parcourent des milliers et milliers de kilomètre.

Au total, pour une traversée de l’atlantique, la posé d’un câble dur quelques années, 3 à 4 ans environ (arstechnica.com). Sans compter les mois d’études topographiques en amont. L’étude du projet. Les demandes officielles et accords aux régions et nations. Et puis le raccord terminal du câble au réseau internet… Bien sûr, tous les chiffres que je donne sont uniquement des ordres de grandeur pour se faire une idée. Tout varie en fonction du câble en question. Il est évident que la durée et le coût d’un câble sous-marin transatlantique n’est pas le même qu’un câble qui faire le tour de l’Afrique !

Figure 37. Le tracé du câble 2Africa sur planisphère

2Africa : le plus long câble sous-marin au monde

Justement. Sur les 450 et quelques câbles sous-marin, certains font le tour de l’Afrique. Et actuellement – donc début 2023 au moment où on parle – l’un de ceux-là est le plus long câble sous-marin au monde. Le câble parcourt 45 000 km de Barcelone et Marseille pour faire tout le tour de l’Afrique en reliant 33 pays de Madagascar à la Côte d’Ivoire pour finalement arriver au Portugal et en Grande-Bretagne. Il a même son propre site internet : https://www.2africacable.net. 2Africa, son petit nom, pour signifier que ce câble est là « Pour » l’Afrique « To(2) » Africa.

Il est actuellement le câble le plus cher au monde qui a réuni les investissements de 8 grands collaborateurs aux origines internationales, de Facebook à China Mobile : China Mobile International, Meta, MTN GlobalConnect, Orange, Saudi Telecom Group, Telecom Egypt, Vodafone et WIOCC. Le coût d’un tel chantier ne me semble pas encore divulgué. Mais très clairement le milliard d’euros à dû être dépassé puisque pour à peine traverser les 6 à 7 000 km de l’Atlantique, le coût s’élève autour de 250 millions d’euros.

Figure 38. Les non-raccordements entre Russie et États-Unis

Sciences politiques et historiques

La guéguerre des télécommunications

Des grandes entreprises internationales qui s’entraident pour connecter le monde. Des entreprises aussi, bien évidemment, à la recherche de nouveaux marchés. Voire la volonté d’avoir la main mise sur des axes de communications clés. Par exemple, les groupes grandes états-uniens Microsoft, Facebook et Google peuvent s’offrir et se sont offert la mise en place d’un câble sous-marins.

Ensuite à l’échelle du nation, si vous avez du temps à perdre pour vous amusez, juste en regardant quel pays est connecté à quel pays par les câbles sous-marins est intéressant. Il est par exemple cocasse que dans le Pacifique, aucun câble ne connecte Russie et États-Unis alors qu’il ont quand même un détroit entre la Russie et l’Alaska. Non. Dans le Pacifique les États-Unis sont majoritairement reliés au Japon. Ainsi, nous sommes certes dans un monde aux échanges mondialisés, mais les enjeux politiques et stratégiques peuvent être dessinés simplement en suivant le tracé des câbles de télécommunication.

Figure 39. Les raccordements mondiaux via
le très utile site https://www.submarinecablemap.com

De l’ordre de la défense nationale

En France, cette protection des câbles sous-marin et des ses données, est normalement sous responsabilité de l’Armée, de la Marine Nationale. Aujourd’hui, au moins 800 personnes de la DGSE (Direction Générale de la Sécurité Extérieure) surveilleraient les câbles (France 24, 2022). Que ce soit sur le plan des données transitées que sur le plan physique et leur intégrité. (Par exemple, il n’y a pas longtemps – en Octobre 2022 – 3 câbles sous-marin ont été mystérieusement endommagés dans le sud de la France. Pour ce genre d’organisme lié à la sécurité, clairement, là, ce genre d’événement a dû les questionner.)

Bref. Tout un sujet géopolitique autour des câbles sous-marins. En France, on a par exemple Camille Morel, chercheuse en relations internationales, qui communique pas mal sur ce sujet centré sur les câbles sous-marins. Elle en a même écrit un bouquin, récemment, sorti cette année 2023, chez CNRS Editions. (Elle travaille notamment en association avec l’Institut d’études de stratégie et de défense (IESD) à mi-chemin entre les disciplines du droit et des sciences politiques.)

Figure 40. Exemple du câble « Amitie » entièrement possédé par le groupe Facebook

Sciences historiques

Tout un sujet géopolitique autour des câbles sous-marins que j’aimerais également évoquer peut-être dans un deuxième épisode rattaché à ce dossier. Et une histoire géo-politique qui ne date pas d’hier. Durant les guerres, les nations pètent des câbles. Par exemple lors des premières guerres mondiales, où couper les communications était évidemment quelque chose de clé. Car oui début XXème siècle, il y avait déjà des câbles sous-marins pour communiquer.

J’aurais pu en effet prendre l’axe historique pour vous raconter l’histoire des câble sous-marins et comment la fibre a été née. Et comment aussi les découvertes scientifiques peuvent faire péter un câble. Par exemple, lors de la première description de pouvoir guider la lumière dans un milieu précis en 1842 (https://youtu.be/MXIpl2meIJI). Ou encore, que la conception de deux couches de verre d’une fibre optique en 1970, par Charles Kao, ait pu être si révolutionnaire qu’elle soit quotidiennement utilisée. Ça a tellement fait péter un câble à l’humanité qu’il en a reçu le prix Nobel de Physique en 2009.

Figure 41. Petite carte des câbles télégraphiques en 1901
Belle source de cartes historiques ici : https://atlantic-cable.com/Maps/index.htm

Sciences complexes

L’humanité va-t-elle péter un câble ?

Que les câbles sous-marins pour télécommunication aient été mis en place depuis si longtemps me fait aussi personnellement péter un câble. Premier câble télégraphique vers 1850. À l’époque, les câbles étaient plein de cuivre, plus lourd, et les bateaux ne pesaient pas des tonnes avec de belles cubes d’enrouleur. Malgré tout, ils arrivaient – quelques fois mais pas toujours – à raccorder via la mer, différentes terres. En 1900 c’est 200 000 km de télécommunication qui a déjà été déposé (Arte, 2022 ; Takeshita et al., 2019).

Courant 2019 c’était 59% de la population mondiale qui était connectée à internet (El-Sahli, 2020). Aujourd’hui on peut imaginer encore plus encore. Comme vu tout le long de ce dossier, la data, le nombre de données et les capacités en télécommunication ne font toujours et encore qu’exploser.

Du milliard de millions de data

Un seul câble sous-marins peut renfermer 6 à 24 paires de fibres optiques pour ceux mis en réseau dans quelques mois. Un seul câble sous-marin c’est des des dizaines (autour de 8 paires de fibres optiques) voire des centaines de Térabits (12 à 24 paires de fibres optiques) à la seconde pour les plus récents : des milliards de lignes téléphoniques réunies, des milliers de DVD à la seconde (Takeshita et al., 2019).

On arrive même aujourd’hui à atteindre un débit du Pétabits à la seconde, soit 1 000 Terabits ou 1 millions de Gigabits ou un milliard de millions de 0 ou 1 à la seconde. Vous vous imaginez vous, de cliquer ce nombre de fois sur l’interrupteur de votre cuisine pour faire des « Jour/Nuit » ? Un milliard de million. Même dans une année je me poserais la question. Mais en une seconde bordel ! De quoi péter un câble.

Figure 42. Schéma des composants électroniques du Multiplexage par extron.com

Le Multiplexage

Pour arriver à un tel débit d’information, j’ai toutefois omis une information. Mince. Une perte de paquets qui ne sont pas arrivés. Je vous repasse alors la camionnette et la chanson. Vous savez dans une fibre optique, on envoie une onde lumineuse, avec plusieurs impulsions, n’est-ce pas ? Et ces impulsions ne peuvent pas être indéfiniment courtes pour toujours et encore plus y écrire un message, de l’information.

Pour augmenter le débit d’informations, on utilise alors d’autres type de lumière. On appelle ça du multiplexage (Wavelenght Division Multiuplexing : WDM). Par illustration, on peut envoyer du bleu, comme du rouge et du vert. Et tout ça dans le même chemin, dans la même fibre optique pour les guider. On a alors des composants électroniques qui en amont et en aval du câble, trie à nouveaux les informations. Les camions verts vont avec les camions verts et les camions rouges vont avec les camions rouges. Mais durant le chemin tout le monde se déplace sur la même route. Pour une fibre optique, une seule, on peut faire passer une centaine de différente lumière. Une centaine de camionnette de différente couleur !

Figure 43. Le bordélique réseau internet illustré par Matt Britt (?)
pour “the OPTE project” sur wikipedia

Et dans tout se bordel, comment personne ne s’y perd ?

Parmi ce nombre faramineux d’informations, certaines peuvent se perdent. On parle de perte de paquets, en terme technique. Malgré tout, comme illustré par mon petit paragraphe précédent sur le multiplexage, vous avez quand même reçu l’information. Pour recevoir les paquets perdus, côté chez nous ordinateur-routeur, on redemande alors là-bas au data center, de nous renvoyer la camionnette manquante.

Les causes d’une perte de paquet peuvent être nombreuses. Pour le côté réseau internet, non seulement il y a de plus en plus de brouhaha et de circulation dans les câbles, mais en plus le réseau internet est toujours et encore plus complexe, avec toujours plus de carrefours, et de branches, et de directions, et de sous-régions, et d’inter-connexions de sous-régions. Bref. C’est vraiment un réseau tentaculaire.

Toujours plus vite

Le temps que met une information pour arriver du data center à notre ordinateur est appelé temps de latence. C’est la fameux lag, qu’on peut entendre en expression ici et là. Maintenant qu’on connaît bien que l’information se propage par la lumière, on peut calculer le temps minimal que devrait mettre l’information pour arriver à la maison. Il faudrait juste connaître la distance de notre habitation avec le data center en question.

La lumière se propage dans la fibre optique standard, donc, dans du verre. Dans du verre, la lumière fait en une seconde en 200 000 km environ. Pour traverser les, disons environ 7000 km de l’Atlantique entre l’Amérique du Nord et l’Europe, la lumière devrait donc mettre 35 ms. En théorie bien sûr. Parce qu’en pratique, c’est toujours un plus lent à cause des fameux carrefours et embouteillages justement. On tourne autour des centaines de millisecondes, souvent.

Tout ça c’est dans les fibres optiques pleins de verre. On peut toutefois noter que dans l’air, la vitesse se propage plus rapidement, presque de l’ordre de la vitesse de la lumière dans le vite pas loin de 300 000 km/s. Les fibres optiques microstructurées où la lumière se propage dans l’air seront alors peut-être l’avenir qui sait.

Figure 44. Le chemin parcouru par le câble SACS

Réseau et complexité

Ainsi, normalement, si on connecte tout le monde entier avec des câbles sous-marins on devrait pouvoir toujours communiquer plus vite avec nos voisins ? Ça encore une fois, c’est en théorie. Parce qu’en pratique c’est plus compliqué que ça, comme le montre une étude sur le câble sous-marin reliant Angola au Brésil : le câble SACS, de 6 000 km et quelques de longs qui a coûté 278 millions d’euros (Fanou et al., 2020).

Les chercheurs de cette étude en sciences de l’information pure et dure, ont mesuré le temps d’aller-retour d’un message entre deux adresses IP, avant et après la pose du câble reliant le Brésil à l’Angola. Les chercheurs tentent alors de mesurer les effets du câble récemment connecté. Résultat le plus logique, grâce au nouveau câble sous-marin, les transmissions d’informations sont plus rapides entre Afrique et Amérique-du-Sud car le câble relie ces deux parties du monde.

Figure 45. Les temps d’aller-retour mesurés par (Fanou et al., 2020)

En revanche, et c’est là que c’est intéressant, la moyenne du temps des échanges mondiaux des communications avec l’Amérique du Sud a baissé de quelques millisecondes. Dans l’article il parle de 38 %, mais ça ne reste qu’une médiane avec de nombreuses variations. La dégradation du temps de latence – ou du temps d’aller-retour du message – est notamment due à de plus grande latence de communication avec le continent asiatique et le continent européen.

En clair, rajouter un câble sous-marin ne veut pas automatiquement dire que ce soit entièrement bénéfique. Je ne sais pas si on peut approcher ça du Paradoxe de Braess. C’est une bizarrerie similaire qu’on peut illustrer par les réseaux routiers. Ajouter une voie sur une route, ou ajouter carrément une route, ne veut pas automatiquement dire améliorer la rapidité des trajets ou fluidifier un trafic. Lors de la construction d’un passage plus avantageux, tout le monde a tendance à le prendre dans tous les cas. Et donc on ne fait que déplacer voire empirer le bordel.

Figure 46. Quelques connexions établies à Marseille

D’autres styles de réseaux

Le problème étant qu’internet est pas mal centralisé. C’est-à-dire qu’il n’y a qu’une tête de data center duquel découle la colonne vertébrale de câbles. Par exemple, pas toutes les villes des côtes françaises accueillent les gros câbles sous-marins. Marseille est la première ville où atterrit la plupart des câbles sous-marins du pays. En 10 ans, par l’installation de ces câbles, la ville est passée de 44ème à 7ème ville mondiale du flux internet (siecledigital.fr). 17 câbles. Reliée à 45 pays. À quelques millisecondes 4,5 Milliards de personnes. Et ça c’est seulement au moment où je parle, début 2023. D’autres câbles sont en cours de construction et seront mis en place dans quelques années voire quelques mois.

Une vision plutôt centralisée d’internet, avec une tête et des gros nœuds. Les data centers sont la tête du bonhomme internet, et la colonne vertébrale sont les câbles sous-marins. Puis tout le reste du corps se connecte à la tête via la colonne vertébrale. Une vision centralisée du réseau. Mais il y a une autre façon de voir les choses : qu’au lieu que ce soit la tête qui détienne l’information, que ce soit un peu tout le monde au milieu des articulations. Que chaque petit ordinateur puisse être un mini data center (Peer to Peer : P2P). Voilà une autre vision du réseau qu’est internet.

Figure 47. Réseau veineux d’un blob

La leçon du Blob

Un internet centralisé. Des data centers et des voies sous l’emprise de grands groupes privés. Des voies de communication écoutées et espionnées. Des data centers qui demande une énergie considérable. Des pertes de paquets et de données. Des congestions des voies dans lesquelles c’est de plus en plus le brouhaha. L’ajout de voies qui parfois sont contre-productives. Bref. Créer un réseau parfait, c’est compliqué.

C’est bien pour ça qu’il existe d’ailleurs de centres entiers d’opérations du réseau pour gérer un peu tout ça. Finalement, ça a beau être technique et de plus en plus automatique, le fait que tout soit connecté complique la chose. Et il faut bien des humains pour gérer cette complexité. Ou alors on pourrait peut-être demander au blob de créer notre réseau internet parfait. Le blob étant un organisme unicellulaire – dont on a parlé en l’épisode 486 – qui arrive à créer un réseau veineux parfait pour acheminer sa nourriture le plus rapidement possible à son organisme.

Figure 48. La complexité des réseaux

Conclusion

Pour terminer ce dossier, je ne suis ni physicien, informaticien ou un expert des sciences de l’information. Je ne suis qu’un petit curieux qui s’est pris d’amitié pour les câbles sous-marins de télécommunication. Pris d’amitié. Oui pourquoi pas. Vous n’aimez pas les câbles ? Bref. Avis aux expertes et expertes du domaine, si une bourde ou une erreur est présente, n’hésitez pas à péter un câble en commentaire. On fera au mieux pour corriger l’information. Et je mettrais ça sur le dos du lag et des pertes de paquets.

Pour conclure, si on devait retenir qu’une seule chose de ce dossier, retenons qu’internet est loin d’être immatériel. C’est au contraire un petit bijou technologique. Qui utilise, qui consomme, que dis-je… Qui dévore de l’énergie électrique. Et qui, au fil du siècle, est devenu complexe. Au point qu’on commence à observer des phénomènes inverses à ce que l’on souhaitait. Alors si un jour vous n’avez plus internet. Peut-être est-ce à cause d’un chat qui a fait pipi sur un câble à l’autre bout de la planète…!

Références et Liens

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Castellanos et al. (2022) Solar storms and submarine internet cables https://doi.org/10.48550/arXiv.2211.07850
Dormon Bob (Mai 2016) How the Internet works: Submarine fiber, brains in jars, and coaxial cables https://arstechnica.com/information-technology/2016/05/how-the-internet-works-submarine-cables-data-centres-last-mile/
Dossier de demande d’Orange Marine pour le câble PEACE MED sur Marseille
El-Sahli (2020) Submarine Cables, the Internet Backbone, and the Trade in Services http://dx.doi.org/10.29117/quarfe.2020.0234
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France 24 (2022) Les câbles sous-marins, cibles de toutes les convoitises https://youtu.be/z8din7hS8Ok
France 24 (2022) Câbles sous-marins : d’énormes enjeux économiques au fond des mers https://youtu.be/g-bw1D4BXF4
Université Côte d’Azur (2021) Immersion Labos, La Fibre optique https://youtu.be/MXIpl2meIJI
Le Coadic (1984) La science de l’information : aspects structurels et institutionnels d’une nouvelle interdiscipline pour https://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-1984-02-0168-007
Le Dessous des cartes Arte (2022) Câbles sous marins la guerre invisible https://youtu.be/MzcKHQyDL5o
Les Echos (2022) Du télégraphe à Internet : l’incroyable histoire des câbles sous-marins https://youtu.be/j07V-P7-MBo
Masanet et al (2020) Recalibrating global data center energy-use estimates https://doi.org/10.1126/science.aba3758
Mashup (2022) Internet n’existerait pas sans ces câbles sous-marins [Hors-série Techup] https://youtu.be/z4m3YCVyUSs
Provino et al. (2019) Les fibres microstructurées : 20 ans d’existence et un vaste éventail d’applications https://doi.org/10.1051/photon/20199940
Rolland et Pesci (09 Novembre 2022) 2Africa : l’arrivée du plus long câble sous-marin du monde à Marseille https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/2africa-l-arrivee-du-plus-long-cable-sous-marin-du-monde-a-marseille-2651592.html
Takeshita et al. (2019) Past, Current and Future Technologies for Optical Submarine Cables https://doi.org/10.1109/PHOTONICS49561.2019.00011
Terrasson Bejmain (Mars 2023) Marseille, une capitale mondiale des câbles sous-marins, et après ? https://siecledigital.fr/2023/03/06/marseille-capitale-mondiale-cables-sous-marins
Underscore_ (16 Mars 2023) La trouvaille scandaleuse d’un hacker sur les câbles Internet sous-marins https://youtu.be/vTC821fpwdw
Viavi Solutions, Le Réseau optique passif (PON) https://www.viavisolutions.com/fr-fr/reseau-optique-passif-pon
Vitre et al. (2022) Comment choisir un amplificateur à fibre optique ? https://www.photoniques.com/articles/photon/pdf/2022/01/photon2022112p52.pdf
L’association Internationale de de protection des câbles (International Cable Protection Committee) L’agence des Nations Unies : Union Internationale des Télécommunications.

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