Race, espèce, humanité.

 

Dossier de l’épisode #97 par Franck.

On entend souvent dire que l’existence de races humaines a été invalidée par la science. Dans cet épisode, je vais essayer de mieux comprendre quels sont réellement les apports de la science à ce propos.

La taxonomie

Dans son excellent dossier, Taupo nous explique comme le vivant a été organisé en une classification à 7 rangs par Linné, qui comprend donc règne, embranchement, classe, ordre, famille, genre et espèce. Mon petit moyen mnémotechnique à moi c’est RECOF, ça veut rien dire, mais ça me permet de me rappeller des premiers rangs dans la taxonomie, le règne, etc…

Le genre et l’espèce sont plus faciles à retenir car ils constituent la base de toute dénomination d’espèce vivante. On appelle cela la nomenclature binomiale. Dans Homo sapiens, homo, c’est le genre, et sapiens, l’espèce. On va pas trop se soucier de savoir qu’homo sapiens appartient à la classe des mammifères, l’ordre des primates, et la famille des hominidés pour l’instant, mais on va se focaliser sur l’espèce.

Allez quand même, juste, les primates, l’ordre, c’est un ordre de mammifères caractérisés par 2 choses : prédominance de la vision sur l’olfaction, mains préhensibles avec les pouces opposables et les ongles plats. La famille, c’est les hominidés (parfois on considére que c’est une superfamille, mais bref), dont la caractéristique principale est le développement du cerveau qui induit des capacités de sociabilisation et d’apprentissage développées. Dans la famille des hominidés (le dernier rang taxonomique avant le genre et l’espèce), il y a toujours au moins (ça diffère selon les auteurs) le genre homo, le genre Pan (chimpanzé) et le genre Gorilla. Un peu plus éloigné, il y a également le genre Pongo, qui n’est parfois pas dans la famille des hominidés, mais dans la superfamille des hominoïdes, et qui est en fait le genre de l’orang outan.

Et voici donc l’arbre phylogénétique des hominidés dans l’ouvrage Classification phylogénétique du vivant de 2001 par Guillaume Lecointre   et Hervé Le Guyader, 2 biologistes systématiciens français.

Les hominoïdes sont communéments appelés les grands singes, alors que les Hylobatoïdes sont les singes inférieures, pour la plupart des Gibbons (appellation qui regroupe plusieurs genres).

 Bon, mais je m’égare. Revenons en à cette histoire de race. Dans la taxonomie actuelle, on a donc RECOFGE : Règne, embranchement, classe, ordre, famille, genre, espèce. Classe de l’homme : mammifères, Ordre de l’homme : primate, caractérisé par 1) prédominance de la vision sur l’olfaction (avec notamment yeux en position adaptée à la vision binoculaire, et développement du cortex occcipital) 2) mains préhensibles avec pouces opposables et ongles plats. La famille : les hominidés, caractérisés par le développement du cerveau. Mais pas de trace de race, dans cette classification ? Il y aurait donc un champ inférieur à l’espèce ? La race, et après la race, il y a quoi, la fratrie, puis l’individu, et enfin une classification intra-individuelle avec plusieurs scissions au sein du même individu selon qu’il fasse jour ou nuit ? Evidemment que non. Je délire. La plupart du temps, on s’arrète à l’espèce. Mais pourquoi, qu’est ce qu’une espèce ?

L’espèce

Dans les sciences du vivant, l’espèce est le taxon de base de la systématique. Il existe plus d’une vingtaine de définitions de l’espèce dans la littérature scientifique. La définition la plus communément admise est celle du concept biologique de l’espèce énoncé par Ernst Mayr (1942) : une espèce est une population ou un ensemble de populations dont les individus peuvent effectivement ou potentiellement se reproduire entre eux et engendrer une descendance viable et féconde, dans des conditions naturelles. Ainsi, l’espèce est la plus grande unité de population au sein de laquelle le flux génétique est possible.
Pourtant le critère d’interfécondité ne peut pas toujours être vérifié : c’est le cas pour les fossiles, les organismes asexués ou pour des espèces rares ou difficiles à observer. D’autres définitions peuvent donc être utilisées : morphologiques, phylogénétiques, écologiques, etc…

Le concept maître de l’idée d’espèce est donc l’isolement reproductif, que l’on va détailler un peu. On distingue 2 types de mécanismes permettant d’assurer cet isolement reproductif : précopulatoire, et post-copulatoire.

Pour le précopulatoire, c’est assez simple, imaginez tout simplement que vos gamètes fonctionneraient également avec les fourmis. Comment vous y prendriez vous pour faire un enfant avec une fourmi ? … Ce que je me demande, c’est si c’est plus dur quand on est un homme ou une femme, mais bref. Les barrières précopulatoire, seront par exemple des différences de taille, de comportements reproductifs, de période de reproduction, ou des incompatibilités entre gamètes. Bref, c’est assez simple à imaginer.

Au niveau post-copulatoire, ou post-zygotique (il faut que la fécondation ait put avoir lieu), il y a d’autres mécanismes, comme une mortalités accrue des hybrides, mais l’un des plus fréquents est la stérilité des hybrides.

Comment ça se passe ? C’est super simple à comprendre ! Faisons un peu de génétique. On peut distinguer 2 types de cellules dans le corps d’un animal : les cellules diploïdes ont 2 exemplaires de chaque chromosomes, elles ont donc 2n chromosomes (2*23 chez l’homme). Les cellules haploïdes ont n chromosome (23 chez l’homme). Les cellules haploïdes sont les gamètes, et les cellules diploïdes sont toutes les autres. Bien, maintenant, prenons un exemple, admettons qu’un âne, 62 chromosomes pour les cellules diploïdes, 31 pour les cellules haploïdes, et une jument, 64 et 32 chromosomes. On va avoir un spermatozoïde de l’âne, porteur de 31 chromosomes, qui va venir mélanger ses chromosomes aux 32 de l’ovules de la jument, et on aura donc… 63 chromosomes. Le zygote est viable, et un individu, le mulet, va même se former. Cependant cet individu n’est pas fertile : en effet, il ne possèdera pas de gamètes. Pourquoi ? Parce que lors de la méiose, nécessaire à la formation de gamète, et seulement à celle-ci (c’est bijectif), il y a quelque chose qui cloche : les chromosomes doivent s’appareiller par paire (ce qui n’est pas nécessaire à la mitose, processus de division cellulaire classique). Voici une petite illustration tirée d’un excellent site, comparant la mitose et la méiose :

A gauche, lors de la mitose, on voit que tous les chromosomes de la cellule s’alignent, et l’étape suivante, là on la voit pas, c’est qu’ils se séparent au milieu (en 2 chromatides). A droite, dans la méiose, on voit que les chromosomes doivent former des paires, et ensuite chaque chromose de la paire va se répartir de chaque côté de la cellule… Revenons à notre mulet : il possède 32 chromosomes de sa maman, et 31 de son papa l’âne., soit 63 chromosomes. Et là, ça coince ! La méiose bloque, car la cellule détecte que les chromosomes ne forment pas de paires ! Donc pas de méiose, pas de gamètes. Pas de gamètes, pas d’hybride. Pas d’hybride, pas d’hybride.

Voilà pourquoi il est plus facile d’hybrider des espèces qui ont le même nombre de chromosomes : le tigre et le lion, qui ont 38 chromosomes, forment un hybride fertile a 38 chromosomes également, le ligre (lion + tigresse) ou le tigron (tigre + lionne), dont seules les femelles sont fertiles, car les mâles ne font jamais leur puberté, pour des raisons que l’on ignore encore ! Cependant, le nombre de chromosomes n’est pas le facteur clé : c’est principalement la similitude entre les chromosmes qui est importante, d’où l’existence du cochonglier qui est un hybride de porc domestique et de truie sauvage, et qui est fertile malgré la différence de nombre de chromosomes entre les deux espèces (36 et 38).

Ce concept biologique de l’espèce semble donc clairement défini par la notion d’isolement reproductif.

Néanmoins, le concept biologique de l’espèce possède certaines limites. L’isolement reproductif ne peut pas être déterminé dans le cas des fossiles et des organismes asexués (par exemple, les bactéries). De plus, il est difficile d’établir avec certitude la capacité d’un individu à s’accoupler avec d’autres types d’individus. Dans de nombreux groupes de végétaux (bouleau, chêne, saule…), il existe beaucoup d’espèces qui se croisent librement dans la nature sans que les taxonomistes ne les considèrent comme une seule et même espèce pour autant. De nombreuses autres définitions ont donc également cours pour passer outre les limites du concept biologique de l’espèce.

Autres concepts
En réalité, c’est le concept morphologique de l’espèce  qui est le le plus généralement utilisé en pratique. Il consiste à identifier une espèce d’après ses caractéristiques structurales ou morphologiques distinctives.

 

Une autre définition repose sur la notion de ressemblance (ou au contraire de degré de différence), concept encore très utilisé en paléontologie, où il n’y a pas d’autre option.
L’étude de l’ADN permet de rechercher des ressemblances non visibles directement sur le plan physique (phénotype). Mais le critère quantitatif (nombre de gènes identiques) masque le critère qualitatif, par définition non mesurable. Ainsi, la classification des Orchidées de type Ophrys fait ressortir un grand nombre d’espèces, visiblement différentes (donc du point de vue phénotype) alors que leurs génotypes se sont révélés très proches.

Le critère de ressemblance génétique est utilisé chez les bactéries (en plus des ressemblances phénotypiques).

On sépare les espèces de manière à ce que la variation génétique intraspécifique soit très inférieur à la variation interspécifique.
L’espèce biologique est aujourd’hui le plus souvent définie comme une communauté reproductive (interfécondité) de populations. Si cette définition se prête assez bien au règne animal, il est moins évident dans le règne végétal, où se produisent fréquemment des hybridations. On associe souvent le double critère de réunion par interfécondité et séparation par non-interfécondité, pour assurer la perpétuation de l’espèce.
Il existe aussi le concept d’espèce écologique, à relier à la notion de niche écologique. Une espèce est censée occuper une niche écologique propre. Cela revient à associer une espèce à des conditions de vie particulière.
Une question mérite d’être posée : est-ce que la notion d’espèce constitue une simple commodité de travail ou bien est-ce qu’elle possède une réalité indépendante de notre système de classification ? Possède-t-elle une véritable signification dans l’absolu ? L’espèce est-elle une classe logique à laquelle des lois sont universellement applicables, ou a-t-elle la même réalité qu’un individu (par le lignage) ?

Le problème se complique du fait que le critère d’interfécondité présente ou absente, n’est pas toujours applicable de façon tranchée : des populations A1 et A2, A2 et A3 … An-1 et An peuvent être interfécondes, alors que les populations A1 et An ne le sont pas. C’est le cas, par exemple, des populations de goélands réparties autour du globe (rapporté par Konrad Lorenz). On parle alors d’espèce en anneau (cf. variation clinale). La notion d’espèce se dissout alors dans une sorte de flou.

L’interfécondité ne permet donc pas de dire qu’il s’agit de mêmes espèces tandis que la non-interfécondité suffit à dire qu’il s’agit d’espèces différentes. Cette non-interfécondité doit être recherchée aussi et surtout dans les descendants : chevaux et ânes sont interféconds mais leurs hybrides (mulet, bardot) le sont rarement. Les deux populations forment donc des espèces différentes.
De même, certaines races de chiens (anciennement Canis familiaris) s’hybrident sans problème — et ont une descendance féconde — avec des loups communs (Canis lupus), tandis que leur hybridation avec d’autres races de leur propre espèce Canis familiaris reste bien problématique – dans le cas par exemple d’une femelle Chihuahua et d’un mâle Saint-Bernard !

Cela s’explique par deux faits : le chien domestique est très polymorphe et c’est une sélection artificielle à partir de loups – il y a maintenant des preuves génétiques. On le nomme donc désormais Canis lupus familiaris, c’est-à-dire une sous-espèce du Loup donc parfaitement interfécond avec lui… dans la limite de ce que permet physiquement l’utérus récepteur.

Stricto sensu, le concept d’espèce suppose implicitement une hypothèse forte qui est la transitivité des interfécondations possibles ; en d’autres termes, on suppose que si X1 est interfécond avec X2, X2 avec X3, etc., X1 sera interfécond avec Xn quelle que soit la longueur de la chaîne. Konrad Lorenz signale que cette supposition n’est pas toujours vraie, en particulier chez des oiseaux marins entre continents. Il faut d’ailleurs bien que ce genre de discontinuité existe pour qu’un phénomène de spéciation commence à apparaître lui aussi.

Évolution de la notion d’espèce

Les éleveurs en avaient vraisemblablement une notion non formalisée depuis l’origine même de l’élevage. Platon spéculera que puisque l’on voit des chevaux et des vaches, mais jamais d’hybride des deux, il doit exister quelque part une forme idéale qui contraint un animal à être l’un ou l’autre. Aristote préfèrera pour sa part éviter ces spéculations et se contenter de répertorier dans l’Organon ce qu’il observe. Albert le Grand s’y essaiera à son tour plus tard.
Concept empirique, la notion d’espèce a évolué avec le temps et son histoire a été marquée par la pensée de grands naturalistes comme Linné, Buffon et Darwin. Au xviiie siècle, les espèces étaient considérées comme le résultat de la création divine et, à ce titre, étaient considérées comme des réalités objectives et immuables. Depuis l’avènement de la théorie de l’évolution, la notion d’espèce biologique a sensiblement évolué, mais aucun consensus n’a pu être obtenu sur sa définition.
Dans un premier temps, on a considéré les espèces comme des entités fixes définies par des critères morphologiques. Cette conception typologique a trouvé son apogée avec les travaux de Linné et l’établissement de collections d’individus « typiques » de l’espèce.
Selon Cuvier, une espèce peut être définie comme la collection de tous les corps organisés nés les uns des autres ou de parents communs et de ceux qui leur ressemblent autant qu’ils ne se ressemblent entre eux.

Cette conception a évolué vers une espèce « taxinomique » pour laquelle l’analyse mathématique d’un grand nombre de critères suffirait à établir un seuil à partir duquel on pourrait dire que deux individus appartiennent à des espèces différentes. L’espèce serait alors plus un concept commode qu’une entité biologique réelle.

La spéciation est le processus évolutif par lequel de nouvelles espèces apparaissent. La spéciation est à l’origine de la diversité biologique et constitue donc le point essentiel de la théorie de l’évolution. La spéciation peut suivre deux voies : l’anagénèse et la cladogénèse. L’anagénèse est une accumulation de changements graduels au cours du temps qui transforment une espèce ancestrale en une nouvelle espèce, cette voie modifie les caractéristiques d’une espèce mais ne permet pas d’augmenter le nombre d’espèces. La cladogénèse est la scission d’un patrimoine génétique en au moins deux patrimoines distincts, ce processus est à l’origine de la diversité biologique car il permet d’augmenter le nombre d’espèces.

Les taxons inférieurs à l’espèce

La définition zoologique du terme race est la suivante : « subdivision d’une espèce qui hérite des caractéristiques la distinguant des autres populations de l’espèce. Au sens génétique une race est une population qui diffère dans l’incidence de certains gènes des autres populations, conséquence d’une isolation, le plus souvent géographique ».

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