Sectes et apocalypse

Dossier présenté par Xilrian dans le cadre de l’épisode spéciale fin du monde: Podcast science 113 – Don’t panic!

Aller au travail en pyjama, avoir un statut social très élevé au sein de son environnement professionnel, souvent cumuler un certain nombre d’avantages en nature, pouvoir voyager, avoir des subordonnés dévoués… Qui n’a pas un jour rêvé d’être gourou…

Or, lors de la création d’une secte, vient souvent, outre le titre pompeux et la classique communication exclusive avec une entité supérieure malheureusement totalement inaccessible aux fidèles (que celle-ci soit appelée Dieu, ange, élohim, Allah ou flying spaghetti monster ). Entité extérieure qui, si elle ne communique pas directement avec les fidèles, prend bien soin d’indiquer au gourou sa volonté que ces derniers se détournent de la tentation en confiant aux gourous un maximum de possessions bassement matérielles… En plus de tout ça donc, vient souvent une apocalypse imminente. Que ce soient les raëliens, les témoins de jéhovah, les chrétiens, personne n’y échappe… Une apocalypse proche, c’est l’assurance pour vos fidèles qu’ils vont pouvoir expérimenter le ravissement suprême et imminent que vous leur avez promis et que c’est le moment ou jamais de se préparer au jugement final en se conformant au dogme et en vous cédant toutes ces possessions matérielles dont la possession pourrait les empêcher d’accéder à la félicité dans l’autre monde.

Voyons donc comment bien choisir son apocalypse. Il faut sans doute en distinguer deux grandes catégories assez évidentes :

  • celles qui se produisent, qui débouchent sur une réalisation concrète
  • et celles, plus nombreuses, qui finalement n’ont pas lieu

 

Les apocalypses qui se produisent


Commençons par la première catégorie (qu’il est assez déconseillé de pratiquer puisqu’en tant que gourou on termine généralement mort ou emprisonné):

Bien sûr souvent, l’apocalypse ou l’illumination finale ne se produit pas naturellement; il faut donc la déclencher. Mais là encore, il existe plusieurs variantes; commençons par celles qu’on garde pour soi, que l’on se limite à partager avec nos fidèles, c’est la méthode dite du suicide collectif:

Elle a été adoptée, par exemple, par l’ordre du temple solaire, une secte ésotérique inspirée par la mystique autour de la mythologie des roses croix et d’autres sociétés secrètes.. Même si le doute subsiste sur l’acceptation du suicide par nombre de suicidés dont la mort fut quelque peu assistée… Je ne prétends pas être un expert de l’affaire, mais au vu de ce que j’ai lu, la thèse conspirationo-mafieuse ne semble pas pour une fois forcément à écarter d’office. Mais il est vrai que citer Charles Pasqua donne à tout événement un côté politico-mafieux. Dans tous les cas, suite à des disputes au sein de la secte, deux enfants furent déclarés respectivement Christ et Antéchrist, et bon nombre d’adeptes dont deux des trois dirigeants de la secte périrent par le feu au cours de trois suicides collectifs successifs. On retrouve un schéma très similaire avec le massacre de la secte Heaven’s Gate que je ne détaillerai pas ici.

– Toujours dans la même catégorie, il y a le cas de Jim Jones et du Temple du Peuple: on est là dans quelque chose de beaucoup moins subtil, pas vraiment d’ésotérisme ici, juste une secte américaine dans la mouvance du protestantisme évangéliste: un gourou paranoïaque, un prosélytisme visant les riches et les laissés pour comptes, des adeptes persécutés quand ils essaient de quitter la secte, une colonie isolée improvisée au Guyana, de faux paralysés qui remarchent et des tumeurs cancéreuses qu’on arrache à mains nues, enfin, une discipline interne pouvant faire regretter le sens du consensus et de la démocratie du gentil Koba quelques années plus tôt de l’autre côté du mur… Il semblait d’ailleurs que Jim Jones avait l’intention de passer à l’est. Mais suite au meurtre d’un député US venu vérifier que tout se passait bien dans la colonie et la tentative de fuite puis le massacre de certains fidèles de la secte, Jim Jones organisa un suicide collectif en signe de “protestation contre les conditions de ce monde inhumain”. Près de 1000 personnes mourront en novembre 1978.
Si Jim Jones croyait semble-t-il en l’imminence d’une apocalypse nucléaire, ici non plus, pas vraiment d’annonce de l’apocalypse dans la doctrine de la secte mais une préparation minutieuse du suicide collectif avec un certain nombre de répétitions où il était demandé aux adeptes de boire un poison qui, surprise, se révélait au final être inoffensif.

Il y a encore quelques autres massacres du même genre (comme le massacre des Davidiens) mais ils sont finalement assez rares. Si l’on peut tirer quelque chose de ces quelques exemples, c’est que l’isolement et le fanatisme de ces groupes semble favoriser des réactions extrêmes en cas de déstabilisation et que, plus qu’une doctrine annonçant une apocalypse imminente, c’est bien le niveau de dogmatisme/fanatisme des fidèles qui semble nécessaire à l’organisation d’un suicide de masse).

La seconde catégorie d’apocalypse qui se réalisent, c’est celles que l’on a envie de faire partager :

La plus connue, c’est sûrement celle de la secte Aum et de l’attaque au gaz sarin dans le métro de Tokyo en mars 95 qui fit 12 morts, ce qui est finalement peu par rapport aux deux événements mentionnés préalablement, mais surtout plus de 5 000 blessés… Cette fois-ci, la doctrine du groupe prédit bien une apocalypse imminente venant clôturer le 20e siècle.  Asahara, le gourou une fois encore paranoïaque, se présente comme le Christ et explique que sa mission consiste à déclencher cet  armageddon qui se soldera par une apocalypse nucléaire à laquelle seuls ses disciples survivront. L’homme est à la hauteur de la mégalomanie de Jim Jones. Il décidera assez logiquement de déclencher cette apocalypse lui-même, remplissant la mission qu’il s’était fixée.

Mais les cas de groupement religieux cherchant à prendre part à des actions géopolitiques dans le but d’accélérer un jugement dernier imminent sont finalement assez classiques. On peut citer les fondamentalistes chrétiens évangéliques qui forment un lobby puissant aux USA et jettent fréquemment de l’huile sur le conflit israélo-palestinien, voyant dans le retour des juifs en terre sacrée des signes mentionnés dans la bible.

Il ne sont néanmoins pas les seuls chrétiens à procéder ainsi. Bien plus tôt, des anabaptistes prirent en 1534 le contrôle de la ville de Münster en Allemagne, la déclarèrent “Jérusalem céleste” et lancèrent leur programme apocalyptique :

  1. Il faut anéantir les incroyants en vue de la parousie,
  2. Le Christ instituera une théocratie terrestre,
  3. Les « émissaires apostoliques » sont invincibles et doivent annoncer l’imminence du Royaume.

Le programme contient d’autres éléments fort sympathiques comme l’institution de la polygamie.

 

Les apocalypses qui n’ont pas lieu


Pour un dirigeant de secte, la meilleure technique consiste sûrement à annoncer une apocalypse imminente sans donner de date, comme les premiers chrétiens. Si vous avez peur de manquer de crédibilité en étant trop vague il est aussi possible d’opter pour la méthode qu’utilisent des arnaqueurs presque sympathiques tels que Raël ou Aleister Crowley : la choisir juste suffisamment lointaine pour avoir toutes les chances de ne plus être de ce monde quand la date arrivera… Néanmoins voyons ce qui se passe quand on ne respecte pas ces règles ou que l’on vie plus longtemps que prévu et que la date arrive :

L’une des histoires les plus connues est celle William Miller et des adventistes : Miller prédisait une apocalypse au cours de l’année 1843, qu’il décala ensuite à l’année 1844 prétextant avoir oublié l’an 0. Bien sûr, rien ne se produisit, et il fallut expliquer pourquoi l’apocalypse ne s’était pas produite. Miller choisit de reconnaître son erreur.

– À l’inverse, il y a le cas de Dorothy Martin (plus connue sous le nom de Marian Keech) qui prédisait une apocalypse (un déluge et l’arrivée de soucoupe volante pour sauver les justes) en 1954. Lorsque finalement la date arriva, Dorothy  expliqua à ses fidèles que, par leurs prières, ils venaient d’empêcher le déclenchement de l’apocalypse. C’est aussi plus ou moins l’histoire de l’Église Chrétienne Universelle de Georges Roux.

Dans ces deux cas, les croyances survécurent à ces apocalypses manquées. Mais le petit groupe de Dorothy Martin resta soudé tandis que les adventistes se scindèrent en une multitude de groupes distincts (les témoins de Jéhova faisant partie des descendants des adventistes). On peut penser que le petit groupe de Dorothy (une dizaine de personnes) n’aurait sans doute pas survécu si elle avait reconnu une erreur dans ses prédictions (il est aussi à noter que les prédictions de Dorothy étaient supposées provenir d’une communication directe avec des entités extraterrestres, difficile donc de remettre en cause sa prédiction sans remettre en cause lesdites communications). Bilan, gourous, confrontés à vos propres mensonges, comme l’aurait dit François Miterrand, n’avouez jamais.

Néanmoins, comment expliquer que, dans ces deux cas, la plupart des fidèles n’ont pas remis en cause leur croyance au dogme malgré l’évidence ? Pour étudier ce phénomène, je vous invite à vous renseigner sur les dissonances cognitives (l’étude des réactions humaines lorsque l’on est confronté à deux croyances contradictoires) et à écouter les épisodes du podcast scepticisme scientifique sur le sujet. Néanmoins pour ne pas trop vous frustrer une petite explication. Si pour nous le choix semble évident, le fidèle confronté à deux croyances incompatibles ne va pas forcément opter pour le choix qui nous semble rationnel tout simplement, car pour lui, ces deux croyances ont la même réalité. Il va donc souvent opter pour l’explication qui lui permettra de remettre le moins possible son système de pensée. Or rejoindre une secte est un choix très engageant qui a toutes les chances d’avoir déjà produit des dissonances cognitives avec les croyances précédentes du fidèle. Dissonances qui ont elles-mêmes été résolues en créant un système explicatif où la croyance au dogme est centrale. (dit autrement, les contradictions à la croyance irrationnelle, si elles arrivent progressivement et sont résolues l’une après l’autre de manière “satisfaisante”, ont toutes les chances, au lieu de remettre en cause cette croyance irrationnelle, de la renforcer en construisant tout un système de croyances autour d’elle et en l’ancrant profondément dans le système de croyances de l’individu considéré)

Il est à noter que de tels problèmes ne se limitent aux groupes religieux, pour l’illustrer un exemple issu du dictionnaire sceptique (réaction d’un “chiropraticien” lorsqu’on lui annonce que le test auquel il s’est soumis montre que sa technique ne fonctionne pas):

Lorsqu’on a annoncé les résultats, le chef de la délégation des chiropraticiens s’est tourné vers moi et a dit: «Vous voyez, c’est pour ça qu’on ne mène plus de tests à double insu. Ça ne marche jamais!» Au début, j’ai pensé qu’il plaisantait, mais en fait, il était très sérieux. Puisqu’il «savait» que la kinésiologie appliquée marchait, et que les meilleures méthodes scientifiques montraient le contraire, il était clair, dans son esprit, que la méthode scientifique clochait.

Bon la prochaine fois, je vous explique comment créer une nouvelle médecine alternative ^_-

Derniers épisodes