Retranscription de l’interview de Jean-Pierre Luminet sur les trous noirs

 

 

Retranscription de l’interview de Jean-Pierre Luminet, réalisée dans l’épisode 211. Retranscription réalisée par Stephanie. Un immense merci à elle, c’était vraiment un gros boulot.

 

 

Johan : Terry Pratchett nous a quitté il y a deux semaines. J’ai découvert à cette occasion que cet auteur reconnu de fantasy avait aussi écrit des livres de vulgarisation, avec un humour certain. Ainsi, en parlant de la célébre formule d’Einstein, sans l’écrire, il précise en note de bas de page :

* On dit que chaque formule scientifique divise les ventes d’un livre de vulgarisation scientifique par deux. Foutaises ; si c’était vrai, il ne se serait vendu qu’un huitième d’exemplaire de “L’esprit, l’ordinateur et les lois de la physique” de Roger Penrose, alors qu’on parle en réalité de plusieurs centaines de milliers.

Toutefois, au cas où la légende aurait un fond de vérité, nous avons choisi de décrire cette formule ainsi pour doubler nos ventes potentielles. Vous la trouverez écrite sous forme symbolique à la page 37 d’“Une brève histoire du temps” de Stephen Hawking – d’ailleurs, si la légende est vraie, il aurait pu en vendre deux fois plus, ce qui donne le vertige.

Ce soir nous recevons Jean Pierre Luminet, pour parler de son livre sur les trous noirs (en particulier) «Le destin de l’univers » écrit sans aucune formule. Nous sommes les 24 Mars 2015, c’est l’épisode 211 et vous êtes sur podcast science.

Nico : Bonsoir et bienvenue à tous, pour l’occasion, ce soir, Podcast science s’est délocalisé à Marseille pour se rapprocher de notre invité, du coup on a une vraie table physique à Marseille et autour de notre table on est réuni avec Julie qui elle ne vient pas de très loin, de Nice. Johan qui a fait le déplacement depuis Baltimore (pas que pour ça il faut l’avouer) et donc Jean-Pierre Luminet (JPL). Autour de la table virtuelle : Robin depuis Paris et Irène depuis Santa Barbara. Au programme de l’émission de ce soir : c’est une interview de JPL principalement au sujet de son dernier livre et plus précisément autour des trous noirs. Pour commencer, Johan va nous présenter JPL.

Johan : Jean Pierre Luminet, vous êtes directeur de recherche au CNRS, vous avez fait la majeure partie de votre carrière au Laboratoire Univers et Théories de l’observatoire de Paris-Meudon. Vous êtes maintenant au laboratoire d’astrophysique de Marseille. Pour résumer rapidement votre carrière et tout ce que vous avez fait en recherche : vous avez beaucoup étudié les trous noirs et leur environnement, simulant notamment l’image d’un disque de poussière orbitant un trou noir ou son effet sur une étoile passant à proximité. Enfin vous étudiez plus particulièrement maintenant la topologie de l’univers en particulier par l’étude du fond diffus cosmologique. Cependant, votre brillante carrière de chercheur vous a aussi laissé le temps d’écrire plusieurs livres de vulgarisation scientifique [et pas que], parmi lesquels

Le destin de l’univers, Tome 1

C’est un exploit d’écrire ce livre sans aucune formule, surtout les équations de Penrose, surtout que vous décrivez quasiment l’histoire de la plupart des grandes théories scientifiques depuis Galilée, car chacune à son importance l’une après l’autre pour la description de ces objets que sont les trous noirs. Le livre est extrêmement complet. Mais comme Nico et moi avons un train dans 12h, on va se limiter aux trous noirs seulement ce soir et en particulier sur ce que l’on peut apprendre dans Le destin de l’Univers.

Nico : On va rentrer tout de suite dans le sujet sur les trous noir. Avant de commencer à lire la première version de votre livre sur les trous noir, j’avais un peu ce qu’on peut appeler une connaissance “grand public” de ces objets que sont les trous noirs, voir même, après avoir lu votre livre, une connaissance Newtonienne du trou noir. Je savais qu’il y avait une vitesse minimale pour quitter une planète, une vitesse de libération, et que les trous noir étaient des astres tellement massifs que cette vitesse de libération était plus grande que celle de la lumière ce qui faisait que rien ne pouvait en sortir, ils étaient donc noirs, vraiment noirs. J’avais aussi entendu parler de “Singularité” sorte de point de masse infinie, souvent représentée par un trou tendu à l’extrême dans la nappe de l’espace-temps. A la lecture de vos livres je vois que ce n’est pas tout à fait ça, voir pour certains éléments pas du tout et donc pour commencer, comment est-ce que vous présenteriez et définiriez un trou noir ?

Déformation de l’espace-temps par un trou noir.

JPL : C’est vrai qu’il est toujours intéressant de se plonger dans l’histoire d’ailleurs l’un de mes plaisirs dans l’écriture de ce gros livre “Le destin de l’univers” c’est également de développer beaucoup d’aspects historiques et également des aspects culturels, littéraires etc. autour de l’imaginaire qu’on peut avoir sur les trous noirs. Pour en revenir directement aux aspects historiques, comme vous l’avez rappelé, l’idée d’un astre dont la gravité est suffisamment forte pour emprisonner éventuellement les rayons lumineux n’est pas une idée relativiste. C’est une idée purement Newtonienne puisqu’elle a été émise dès la fin du XVIIIe siècle par des astronomes qui ont fait le raisonnement selon lequel : si la lumière est influencée par la gravitation, ce que Newton croyait, au dessus d’une certaine masse ou d’une certaine densité en tout cas, la vitesse de libération, à la surface d’un astre qui est facilement définissable en mécanique classique, dépasse la vitesse de la lumière. Auquel cas les rayons lumineux restent piégés ou en tout cas ils ne peuvent pas s’échapper ou ils retombent un peu comme les jets d’eau d’une fontaine. C’est une vision qui parait aujourd’hui un peu naïve, mais malgré tout elle permettait déjà à l’époque d’imaginer un peu le profil typique d’un astre capable de retenir les rayons lumineux. Ce profil c’est soit un astre extraordinairement massif ou soit éventuellement un astre extrêmement dense. Il a fallu attendre la relativité générale d’Einstein pour réellement donner un peu plus de matière, de chair et de corps à cette idée d’astre invisible, qui d’ailleurs avait été un peu oubliée pendant deux siècles. Je rappelle qu’entre temps les théories sur la lumière de nature plutôt ondulatoire avaient exclu l’idée que la lumière puisse être influencée par la gravitation. Il a fallu attendre la relativité générale pour revenir sur cette idée et à partir de là, imaginer l’existence d’astres pouvant retenir les rayons lumineux. Cette fois-ci ce n’est plus directement la gravitation Newtonienne qui agit, c’est la courbure de l’espace-temps puisque vous savez très bien qu’en relativité générale on décrit la gravitation non plus comme une force d’attraction mais comme une manifestation naturelle de la courbure de l’espace et du temps qui est engendrée par la distribution des corps massifs. Lorsque l’on veut transposer sans les écrire et visualiser les équations d’Einstein, vous prenez un tissu élastique, je le fais régulièrement dans mes conférences, je découpe un petit morceau de bas résille et je mets des boules dedans et on voit bien que lorsque la boule est plus dense, la maille du bas symbolisant le trajet des rayons lumineux est plus étirée, la déformation du bas est plus grande. Le cas extrême c’est un corps qui va atteindre une taille ou une masse critique qui sera donc le trou noir, qui va creuser un véritable puits dans le tissu élastique de l’espace-temps qui est une zone de non retour. La grosse différence entre le trou noir et les astres effondrés que sont les naines blanches et les étoiles à neutrons qui sont bien connues comme stades terminaux de l’évolution des étoiles, cette différence c’est que les astres ordinaires ont une surface solide et matérielle alors que le trou noir n’en a pas, c’est réellement un puits et l’on a seulement ce qu’on appelle la frontière d’un trou noir, ou horizon des évènements : horizon parce qu’on ne peut pas voir les évènements de l’espace-temps qui se passent au delà [pour un trou noir sans charge et sans rotation, on parle aussi d’Horizon de Schwarzschild et le rayon de cet horizon est appelé rayon de Schwarzschild]. Cette frontière est immatérielle, c’est une zone de l’espace-temps dans laquelle si on rentre, on est capté, capturé par la courbure d e l’espace-temps irréversiblement, même si on est un rayon lumineux. C’est ça le trou noir, il y a d’ailleurs souvent une confusion sur l’idée qu’un trou noir est une singularité. La première question qui se pose naturellement lorsqu’il y a un effondrement gravitationnel de ce type là, c’est comment se comporte la matière ? Est-ce que tout s’écrase en un point de densité infinie ? Le premier raisonnement, les premiers calculs un peu naïfs disent que oui. Mais en fait le trou noir, en tant que zone de l’espace-temps qui va fonctionner comme un piège à matière et lumière, se forme avant cette singularité puisqu’il forme un horizon des évènements qui, je le répète, est une frontière immatérielle, géométrique, de l’espace-temps. Vu de l’extérieur, c’est par exemple une région délimitée par une sphère, si le trou noir n’est pas en rotation, il est statique, il est parfaitement sphérique et donc cet horizon des évènements est délimité par une sphère, si on rentre dans la sphère on ne peut plus en sortir, en tout cas par le chemin direct.

Coupure de son dans le podcast, par Inti

Nico : Il y a deux choses que je relève dans ce que vous venez de dire, commençons par la fin : on ne peut pas en sortir par le chemin direct. C’est à dire qu’il n’y a rien qui sort du trou noir ?

JPL : J’anticipe des questions qui vont arriver immanquablement par la suite. Il y a deux aspects, d’abord les mathématiques du trou noir puis l’astrophysique que l’on peut en tirer. Que peut-on tirer comme informations du trou noir lorsque l’on est à l’extérieur du trou noir et après que se passe-t-il si on plonge à l’intérieur ? La deuxième question est plus difficile que la première. La première avait intéressé notamment les astronomes et les astrophysiciens, elle intéresse aussi les physiciens théoriciens puisque l’une des propriétés extraordinaires de ces objets fascinants que sont les trous noirs, c’est que vu de l’extérieur, lorsqu’ils sont à l’équilibre, toutes leurs propriétés se résument à seulement trois paramètres. Ce qui est extraordinaire, si vous voulez décrire exactement la configuration totale de n’importe quel objet naturel, ne serait-ce que pour un simple morceau de sucre par exemple, il vous faut des milliards de paramètres.

Nico : Et puis même les autres étoiles etc. ont beaucoup plus de paramètres.

JPL : Bien entendu. Avec le trou noir, tout se simplifie d’une certaine façon, et ça amène à des considérations extrêmement profondes de physique sur la quantité d’informations qui est avalée dans un trou noir. L’essentiel de toutes les propriétés et informations que l’on a sur la matière qui constitue un trou noir ou qui forme un trou noir ou qui tombe dans un trou noir une fois le trou noir formé est perdue et il ne subsiste que trois paramètres qui sont : la masse, ce qu’on appelle le moment angulaire qui est relié à une quantité de rotation et une charge électrique, ça c’est sur le plan théorique, parce que dans les situations réelles très vraisemblablement les trous noirs astrophysiques sont électriquement neutres et donc les trous noirs naturels ne dépendraient  que de deux paramètres, la masse et le moment angulaire, on appelle ça des trous noirs de Kerr. Ca c’est pour l’extérieur, on verra après de quelle façon les astronomes peuvent détecter indirectement des trous noirs. Pour répondre très brièvement, parce que je pense qu’on y reviendra, à la première partie de la question, que se passe-t-il à l’intérieur d’un trou noir ? De deux choses l’une, soit la matière s’entasse indéfiniment dans une singularité de courbure, une sorte de nœud de l’espace-temps, c’est la solution la plus simple. Il existe une solution mathématique fascinante qui s’appelle la solution du trou de ver (wormhole en anglais), dans lequel le fond d’un trou noir n’est pas bouché, mais est une sorte de connexion qu’on appelle un pont dansant, enfin il y a plusieurs dénominations de cela parce que ça a été beaucoup étudié sur le plan théorique.

Le trou de ver d’Interstellar

Nico : Sur le plan fictionnel aussi.

JPL : Ca a été archi utilisé évidemment pour la science-fiction puisque ces structures-là permettraient de faire communiquer une région de l’espace-temps qui serait un trou noir avec une autre région de l’espace-temps qui serait une sorte d’anti trou noir qu’on appelle un trou blanc, qu’il vaudrait mieux appeler une fontaine blanche,  c’est à dire plutôt un jaillissement spontané d’énergie hors d’un horizon des évènements. Le passage entre les deux, le trou de ver donc, ferait office de raccourci pour voyager dans l’espace-temps. C’est à dire que si on emprunte ce trajet, en admettant que l’on puisse réellement l’emprunter, que le trou de ver ne soit pas bouché, qu’on ne soit pas détruit par les forces de gravitation, etc., scénario typique pour la SF, on s’aperçoit qu’on pourrait aller d’un endroit à l’autre de l’espace et du temps, en s’affranchissant un peu de la limitation de la vitesse de la lumière que l’on connait dans l’espace-temps ordinaire. Cela ne veut pas dire que l’on dépasse la vitesse de la lumière lorsque l’on est dans un trou de ver. Il y aurait des déformations topologiques étranges de l’espace et du temps qui connecteraient, par l’intermédiaire de ces trous de ver, des régions qui dans l’espace normal hors trou noir, seraient extrêmement éloignées les unes des autres. Mais je pense que l’on développera ce sujet par la suite.

Nico : Sur les trous de ver on n’avait pas prévu de développer énormément, peut-être qu’on peut juste en dire deux mots. De ce que j’ai compris des différentes lectures etc. c’est qu’a priori les trous de ver c’est très spéculatif et qu’il y aurait de grandes chances que ce ne soit pas du tout stable un trou de ver.

JPL : Oui c’est tout le problème des trous de ver, vous savez les équations de la physique, dont la relativité générale bien entendu, sont décrites par des équations mathématiques, après vous en cherchez des solutions. En général même si on trouve des solutions exactes elles correspondent assez rarement à une réalisation physique dans l’univers.

Nico : Un exemple que vous donnez souvent c’est que dans la plupart des équations physiques on peut inverser le temps.

JPL : Par exemple oui, alors que des principes physiques tels que la causalité disent que ce genre de choses est interdit même si c’est formellement permis dans les équations . Ce pourrait être le cas de ces structures fascinantes que sont les trous de ver qui je le répète sont des solutions mathématiques parfaitement pertinentes associées aux trous noirs en rotation. Car dans un trou noir qui ne tourne pas, on sait que le trou de ver qu’il y a est forcément bouché, c’est à dire qu’il y a une singularité qui l’étrangle au milieu. En revanche un trou noir qui tourne pourrait permettre que la singularité ne soit plus un nœud ponctuel mais un genre d’anneau à l’intérieur du trou noir. Si vous avez un anneau au lieu d’un point, vous n’avez plus un point d’étranglement, vous pouvez éventuellement survoler l’anneau ou alors passer à travers et donc éviter les forces de courbure infinie c’est à dire éviter la singularité. Pour aller où ? Certains trajets suggèrent, a priori je le répète, que l’on peut ressortir dans l’espace et le temps voir même dans d’autres univers si on fait l’hypothèse de multivers, en faisant office de raccourcis. Ça c’est la solution mathématique idéalisée, dans l’univers physique, on pense que si les trous de ver peuvent réellement se former, ils sont très probablement instables, ce sont des structures gravitationnelles. Le seul fait de pénétrer dedans introduit une perturbation gravitationnelle qui va très vraisemblablement, d’après des calculs mathématiques, perturber le trou de ver au point de le fermer et le boucher. Donc il se pourrait que même dans la situation déjà un peu idéalisée où un trou de ver existe réellement et est ouvert, le seul fait d’y faire pénétrer, ne serait-ce qu’une seule particule élémentaire, on y pénètre à une vitesse qui tend vers la vitesse de la lumière. En fonction de E=mc^2 on sait que quand on tend vers la vitesse de la lumière, la masse effective, la masse de mouvement augmente, ça cause une énergie, donc ça engendre la gravitation et une perturbation gravitationnelle tellement forte que le trou de ver a spontanément tendance à se boucher avant qu’on puisse le traverser. Ce n’est donc pas très favorable, pas très positif, un peu dommage pour la SF qui rêve évidemment d’utiliser ces portes des étoiles comme dans Stargate, comme on l’utilise souvent dans les nouvelles et films de SF. Mais les gens qui ont travaillé sur le sujet, notamment Kip Thorne, et quelques autres, vous savez, les théoriciens ont toujours des idées pour échapper aux contraintes des lois physiques, ils ont imaginé qu’on pourrait éventuellement stabiliser et maintenir ouvert un trou de ver en le tapissant d’énergie négative. Qu’est-ce que cela veut dire l’énergie négative ? En fait ce sont des champs de force qui existent sur le papier, ça existe  peut-être même dans l’univers, par exemple l’énergie du vide ou les champs de quintessence ou autres qui pourraient fournir une explication à ce qu’on appelle l’énergie noire. Ce sont effectivement des champs répulsifs, c’est à dire une sorte d’antigravitation, et ce serait pour ça que l’expansion de l’univers est actuellement en accélération. Le même type de champs ayant des propriétés analogues, répulsives, injectés dans un trou de ver pourraient l’empêcher de s’effondrer gravitationnellement puisque ça introduirait de l’antigravitation. Là on est vraiment aux limites des équations très théoriques imaginant ce type de champs de force, après la manière dont on pourrait les injecter dans un trou de ver, ça relève de la SF, mais pourquoi pas !

Nico : Pour l’instant on n’a rien qui va dans ce sens mais on n’a rien qui contredit.

JPL : On a envie d’y croire, ne serait-ce que parce que quand on pense aux voyages interstellaires pour ne pas parler de voyages intergalactiques, si ce genre de structures n’existent pas, on est irrémédiablement limités par la vitesse de la lumière et les immenses distances qui nous séparent des astres lointains. On peut se dire qu’on ne sortira jamais de notre petite boîte “système solaire” et éventuellement quelques étoiles proches, parce que sinon il faudrait trop de temps pour se déplacer d’un point à l’autre de l’univers. Les trous de ver traversables représenteraient finalement le seul moyen de réellement s’affranchir de ces distances gigantesques et d’explorer déjà au moins la galaxie et peut-être  éventuellement même d’autres galaxies.

Nico : Pour revenir sur des choses qui font peut-être plus consensus…

JPL : Oui parce que ceci n’est que quelques paragraphes de mon énorme livre qui parle de choses un peu plus établies.

Nico : Un autre élément qu’on a dans notre conscient collectif sur les trous noirs c’est que le trou noir c’est une sorte d’ogre qui avale tout, or de ce que j’ai pu comprendre il y a aussi des trous noirs qui ont tendance à perdre des choses voir même à s’évaporer.

JPL : Il y a deux choses, l’idée d’ogre cosmique c’est parce qu’effectivement, je l’ai dit au début dans la définition du trou noir, quand un objet rentre dedans, en principe il ne ressort pas donc ça veut dire que le trou noir absorbe et grossit en absorbant et en plus son pouvoir d’action augmente au fur et à mesure qu’il grossit, parce qu’en fait la taille d’un trou noir est directement liée à sa masse et donc son rayon d’action l’est également. Ogre cosmique effectivement puisqu’on connait l’existence de trous noirs géants qui sont au centre des galaxies et dont les masses peuvent faire plusieurs milliards de masses solaires (masse solaire = 1,989*10^30 kg), ces trous noirs sont capables de gober des étoiles entières, ce sont d’énormes structures, parce qu’un trou noir de plusieurs milliards de masses solaires a corrélativement un rayon de plusieurs milliards de kilomètres. Un de ces trous noirs géants, que l’on a déjà détecté dans des galaxies lointaines, si on le mettait dans le système solaire, il engloberait celui-ci tout entier, et on conçoit volontiers qu’une étoile à côté c’est une petite structure et elle pourrait être avalée directement. Il y a un processus un peu plus intéressant que j’ai d’ailleurs pas mal étudié, c’est lorsqu’une étoile au lieu de rentrer directement, frôle le trou noir géant, auquel cas elle est soumise à des effets appelés effets de marée, des effets de gravitation différentielle, qui font qu’elle pénètre dans un espace-temps extrêmement déformé et donc que l’objet lui même qui est dans l’espace est déformé. L’étoile est donc étirée dans certaines directions et comprimée dans d’autres.

Nico : Elle fait une crêpe flambée c’est ça ?

JPL : J’avais développé avec mes collaborateurs Brandon Carter et quelques autres au début des années 80 le modèle qu’on avait fini par appeler la crêpe stellaire flambée puisqu’en mettant ça en équations, avant que l’on puisse observer quoi que ce soit d’ailleurs, on avait calculé que l’étoile durant son passage dans ce qu’on appelle le rayon de marée, était essentiellement aplatie dans le plan de son orbite sous la forme d’une sorte de crêpe gazeuse. Comme elle ne peut pas être indéfiniment aplatie, la température et la pression augmentent et elle finissait par chauffer et exploser. Donc on appelait ça des crêpes stellaires flambées avec la prédiction que ce genre de phénomène devrait donner lieu à des sortes d’éruptions de rayonnement qui ont effectivement été détectés 15 ans plus tard. Aujourd’hui c’est assez commun, chaque semaine les grands télescopes détectent ce genre de “flambées stellaires” dans des noyaux lointains de galaxies qui abritent des trous noirs géants et ce sont très probablement des étoiles brisées par les forces de marée. Tout ça illustre le côté ogre du trou noir, côté qu’il ne faut pas non plus exagérer parce qu’il y a quelque chose qui n’est pas connu du public mais qui est absolument fondamental en astrophysique c’est que si vous mettez un trou noir dans un milieu ambiant où il y a par exemple des étoiles, du gaz, etc., y a-t-il un frein à sa capacité d’absorption de la matière ? Et bien oui il y en a un ! Si vous prenez par exemple du gaz qui tombe dans un trou noir que ce soit sous forme d’un nuage sphérique ou sous la forme d’un disque d’accrétion de structure plutôt plate ou toroïdale autour du trou noir, évidemment il y a ce phénomène d’absorption qu’on appelle l’accrétion à un certain taux.

 

Disque d’accretion autour d’un trou noir, simulation numérique. Crédit : Jean-Pierre Luminet, Jean-Alain Marck

Mais il ne faut pas oublier que lorsque le gaz s’approche du trou noir, il est chauffé, en chauffant il émet du rayonnement, ce rayonnement sort, et il y a une pression de rayonnement sortante. Cette pression de rayonnement va modérer le taux d’accrétion, c’est à dire la quantité de matière qui peut tomber dans un trou noir. Il y a une sorte d’équilibre naturel qui s’établit, qui s’appelle la limite d’Eddington, du nom d’un astrophysicien britannique qui l’avait calculé non pas pour les trous noirs mais pour d’autres phénomènes typiquement liés à ces phénomènes d’accrétion, qui peuvent aussi se produire pour les naines blanches et les étoiles à neutrons. Un trou noir ne peut pas avaler de la matière à un rythme supérieur à une certaine limite critique, ce qui limite sa vitesse de croissance et d’augmentation. Ce phénomène est intéressant parce qu’on a très récemment découvert, d’ailleurs je n’ai pas pu en parler dans l’ouvrage parce que l’on ne l’avait pas encore découvert.

Nico : Ce sera dans le volume suivant, 2600 pages.

JPL: Voilà ! Prochaine édition. On a donc découvert un trou noir absolument gigantesque qui est situé dans une galaxie extrêmement lointaine, précisément un quasar. Je rappelle, les quasars ce sont des noyaux de galaxie extraordinairement actifs, la seule façon d’expliquer l’énergie phénoménale qui est libérée par ces quasars, c’est un trou noir géant qui absorbe de grandes quantités de gaz, par exemple plusieurs masses solaires de gaz par an. On a détecté et repéré à cause de la luminosité extrême de ce quasar, un trou noir dont on a estimé la masse à 12 milliards de fois la masse du soleil ! Le problème c’est qu’en général les quasars sont des objets plutôt lointains et celui-là est extrêmement lointain, il a été détecté à ce qu’on appelle un certain décalage vers le rouge extrêmement grand, un peu plus de 6, et quand on fait le calcul on s’aperçoit que ça veut dire que le trou noir qui est dans ce quasar s’est formé à peine 800 millions d’années après le Big Bang [Voir episode #216 de Podcast Science sur Hubble pour une description de ce que ce décalag vers le rouge veut dire]. On se pose la question suivante : comment se fait-il qu’un trou noir aussi gigantesque ait eu le temps de se former en un laps de temps aussi bref. Normalement, comme je viens de l’expliquer, le taux de croissance d’un trou noir est limité, même s’il absorbe beaucoup de matière, même s’il est dans un environnement extrêmement riche, comme c’était le cas probablement dans l’univers très jeune ou très primitif ou évidemment il y avait beaucoup plus de matière qu’aujourd’hui, en faisant le calcul on a du mal à expliquer comment un trou noir, même si initialement il peut faire quelques millions de fois la masse du soleil, peut multiplier sa masse d’un facteur mille en si peu de temps. On voit que cette histoire de taux d’accrétion limité ou pas pour les trous noirs pose des questions très intéressantes sur la formation et l’origine de ces objets.

En ce qui concerne la possibilité pour les trous noirs, au lieu de grossir, de perdre de l’énergie et de la matière, c’est un sujet absolument fascinant que je traite dans deux ou trois chapitres. On sort un peu de l’astrophysique traditionnelle parce que ça fait appel à un modèle théorique qui n’a pas encore été confirmé sur le plan expérimental, c’est l’hypothèse qu’on appelle les minis trous noirs. C’est l’hypothèse, imaginée dans les années 80 par plusieurs chercheurs, que peu après le Big Bang, des micros ou minis trous noirs, c’est à dire des trous noirs de tailles microscopiques, aient pu se former, non pas par le processus habituel normal astrophysique, c’est à dire l’effondrement gravitationnel d’une étoile massive ou d’un amas d’étoiles, mais simplement par la pression extérieure énorme. On imagine le très jeune univers comme une sorte de plasma extrêmement dense et chaud, avec des fluctuations, et on peut calculer que dans certaines conditions, la pression extérieure puisse faire s’effondrer les fluctuations. Les fluctuations ou grumeaux ne s’effondrent pas sous leur propre gravité, qui n’est pas suffisante, mais sous la pression extérieure. Ça formerait donc ce qu’on appelle des trous noirs primordiaux, quand on fait des calculs on s’aperçoit qu’on peut avoir des trous noirs primordiaux extrêmement petits, à la fois en taille et en masse, et d’autres trous noirs primordiaux qui pourraient aller jusqu’à quelques millions de fois la masse du soleil. Les trous noirs primordiaux relativement massifs pourraient être un début d’explication pour ces trous noirs géants qu’on observe et qui sont apparu si tôt dans l’histoire de l’univers. En ce qui concerne les trous noirs primordiaux microscopiques, ils posent des questions absolument fascinantes. Un trou noir microscopique c’est un trou noir qui au lieu d’avoir des masses d’étoiles ou de millions de fois des masses d’étoiles, a la masse à peu près d’un astéroïde ou d’une montagne, 10^15 grammes disons, ça veut dire que la taille correspondante est à peu près celle d’un proton. Du coup, on a des objets qui sont également quantiques, ils ne peuvent plus être  décrits uniquement par les lois de la relativité générale. C’est connu, et je le raconte dans le livre, le célèbre Stephen Hawking a commencé par faire un calcul du comportement d’un mini trou noir primordial microscopique, il a eu la surprise initialement de s’apercevoir que ce trou noir se comportait différemment des trous noirs astrophysiques normaux et notamment qu’il pouvait perdre de l’énergie et s’évaporer, c’est l’évaporation quantique des trous noirs. C’est dû à l’introduction de phénomènes typiques de la mécanique quantique pour décrire l’espace-temps extérieur au trou noir, l’influence d’un champ gravitationnel très puissant sur l’espace-temps quantique produirait ce phénomène d’évaporation d’un trou noir. Ça veut dire que par exemple un trou noir primordial de 10^15 grammes, qui se serait formé quasiment au moment du Big Bang, aurait un temps de vie limité qui est de l’ordre de l’âge de l’univers actuellement connu, c’est à dire à peu près 14 milliards d’années. Ces trous noirs là seraient en train de s’évaporer aujourd’hui. On avait donc une belle théorie qui faisait une prédiction observationnelle. L’évaporation d’un trou noir, dans le stade final, c’est un énorme déversement d’énergie, des bouffées de rayons gamma, ce genre de choses, etc. Il y a beaucoup de bouffées de rayons gamma qui sont observées dans l’univers mais aucune ne correspond aux calculs de l’évaporation quantique d’un mini trou noir. L’absence d’observation pose une contrainte très forte sur la densité de micro trous noirs, en admettant qu’ils se soient bel et bien formés au cours du Big Bang, car pour l’instant rien ne le garantit, la théorie est séduisante mais rien ne la garantit. Donc ça limite la densité de micro trous noirs dans l’univers, ça veut dire il n’y a pas à s’inquiéter sur le fait qu’un micro trou noir pourrait débarquer comme cela, à l’impromptu, dans notre système solaire, passer près de la terre, en bouffer la moitié, ou traverser la terre de part en part, traverser le soleil etc. comme parfois certains l’ont imaginé, parce que si les micro trous noirs existent, il y en a très très peu, il y en a moins d’un par année-lumière au cube par exemple, et un micro trou noir, je le répète, ça a la taille d’un proton, pas plus. Je le répète les micro trous noirs sont fascinants au moins sur le plan théorique parce qu’ils donnent une idée sur la façon dont on peut mettre ensemble la relativité générale classique et la mécanique quantique et on voit justement avec ce phénomène d’évaporation qui va à l’encontre des idées classiques sur les trous noirs que dès qu’on introduit des phénomènes quantiques, et bien on a des comportements nouveaux. Ça a suscité une quantité de travaux extrêmement importants et pertinents sur l’évaporation des trous noirs. Quand un trou noir s’évapore, restitue-t-il toute l’information qu’il a absorbée ? Je disais tout à l’heure que l’une des grandes propriétés des trous noirs, c’est qu’un trou noir à l’équilibre de l’extérieur est caractérisé par trois paramètres, c’est donc un puits gigantesque d’informations puisque toutes les informations sur la matière dont il est constitué sont confinées dans le trou noir, on appelle cela l’entropie.

Evaporation de trou noir, par Puyo

Lorsqu’un trou noir s’évapore, on se pose naturellement la question, est-ce que cette information est restituée dans le rayonnement issu de l’évaporation du trou noir ou pas ? C’est une question qui n’est pas encore complètement résolue, ça a été l’objet de grands débats et grandes disputes entre différentes écoles. Il y avait l’école de Hawking qui initialement disait qu’il y avait une partie de l’information irrémédiablement perdue. D’un autre côté il y a l’école des physiciens quantiques (en physique quantique normalement l’information ne peut pas être perdue), qui disait que forcément, on devait récupérer toute l’information. Pour résoudre le débat il faut développer des théories de gravitation quantique et on sait qu’il y a des approches encore en construction comme la théorie des cordes, la gravité quantique à boucles, je consacre un petit chapitre dans le livre, c’est un peu le chapitre “extrême”.

Nico : Vous êtes même assez critique.

JPL : Oui oui. Ces théories sont donc développées pour essayer de résoudre cette question. La tendance semble pencher actuellement en faveur d’une information qui serait entièrement récupérée lors de l’évaporation d’un trou noir mais les choses ne sont pas complètement encore jouées.

Nico : Juste deux mots par rapport à cette évaporation, vous allez peut-être me contredire, autant les micro trous noirs ne sont pas prouvés, par contre le phénomène d’évaporation peut exister aussi dans les gros trous noirs mais est extrêmement négligeable c’est ça ?

JPL : Oui à partir du moment où c’est un phénomène essentiellement quantique, dès qu’on passe au niveau macroscopique, ce phénomène a tendance à s’effacer, sauf si on dispose d’un temps suffisant. Evidemment pour les trous noirs astrophysiques, ne parlons pas des trous noirs géants, actuellement ces phénomènes d’évaporation quantique sont totalement inexistants mais on peut imaginer, spéculer, des gens l’ont fait, des gens brillants comme Penrose notamment. Si l’on est par exemple dans un univers ouvert avec un temps futur quasiment infini, à la longue, les processus quantiques, quelles que soient leurs probabilités extraordinairement faibles, finiront par se produire, y compris l’évaporation de trous noirs géants. Mais dans des temps, pas infinis, mais extraordinairement démesurés par rapport à nos échelles.

Roger Penrose montrant un schéma de trou de ver en classe

Nico : Ok, je crois qu’on va parler un peu observation et comment on prouve qu’il y a des trous noirs.

Julie : Il semble exister beaucoup de sortes de trous noirs différents. A partir d’un moment dans le livre on ne parle plus de “candidats trous noirs” mais de trous noirs. Est-ce que c’est seulement théorique et s’ils existent où les trouve-t-on? Parmi les trous noirs qu’est ce qui reste à confirmer par l’observation?

JPL : Ce sont uniquement des arguments indirects parce que évidemment par construction on ne peut pas détecter directement un trou noir mais ce qu’on observe ce sont les effets particuliers que les trous noirs vont exercer sur leur environnement, par exemple sur un disque d’accrétion ou sur des amas d’étoiles dans lesquels ils peuvent se trouver, etc. Le statut observationnel des trous noirs a beaucoup évolué au cours de ces trente ou quarante dernières années, moi je me souviens quand j’ai commencé mes travaux sur les trous noirs c’était à la fin des années 70. Moi je venais de la physique théorique et des maths, ce qui m’intéressait c’était vraiment les propriétés mathématiques et physiques des trous noirs, en débarquant à l’observatoire de Paris-Meudon je voyais bien que les astronomes attendaient quelque chose d’un peu plus consistant sur l’existence des trous noirs. La première chose que j’ai commencé à faire c’est d’abord de m’amuser à calculer à quoi pourrait ressembler un trou noir entouré de structures lumineuses, disque d’accrétion, etc., si l’on pouvait voyager dans l’espace et s’en approcher suffisamment près. La deuxième phase c’était d’étudier des situations plus astronomiques, c’est à dire à quoi est-ce que cela pourrait ressembler de loin ? Il faut savoir qu’un disque de gaz autour d’un trou noir stellaire est chauffé dans ses parties internes à plusieurs millions ou dizaines de millions de degrés, et donc doit émettre des bouffées de rayonnements X. Tout ça se met en équation, on a des modèles de disque d’accrétion, on calcule le spectre du rayonnement qui est émis, on fait des prédictions, et c’est ce qui a été observé à partir de la fin des années 70, on a embarqué des télescopes à rayons X dans l’espace, et on s’est aperçu qu’il y avait des systèmes étranges qui sont appelés sources X binaires, c’est à dire des couples d’étoiles dans lesquels on ne voit qu’une composante dans le domaine électromagnétique ordinaire. Il y a des bouffées extraordinaires de rayonnements X  qui sont émises, vraisemblablement dues à l’accrétion de gaz sur un compagnon compact. Il faut savoir faire la différence entre une étoile à neutrons, qui peut être capable de produire le même type de phénomènes, et les trous noirs. Un ensemble de méthodes et de mesures permettent d’essayer de faire la différence entre une étoile à neutrons et un trou noir, c’est essentiellement une question de masse critique. On sait que les étoiles à neutrons ne peuvent pas dépasser une certaine masse critique de l’ordre de deux à trois fois la masse du soleil, quand on arrive à peser indirectement les composantes invisibles des sources X  binaires et que cette masse dépasse deux à trois fois la masse du soleil, on appelle ça un candidat trou noir. A la fin des années 70 on appelait ça des candidats, mais aujourd’hui on a des candidats tellement bons qu’on peut dire qu’ils ont passé leur examen et que ce sont réellement des trous noirs ! Sinon il faudrait remettre la physique et l’astrophysique à zéro pour interpréter ces objets.

Nico : En tout cas on n’a pas de meilleure explication aujourd’hui…

JPL : Parce qu’il n’y a absolument pas d’explication alternative, bon il y en a mais elles sont extraordinairement loin d’expliquer l’ensemble des phénomènes qui sont observés. Je donne ici l’exemple de trou noir de type stellaire, il faut dire que pour les trous noirs, a priori la théorie prédit l’existence de trous noirs de toutes tailles et de toutes masses. J’ai dit un mot sur les trous noirs microscopiques qui eux ce seraient formés potentiellement uniquement lors du big bang. Ensuite dans l’univers, l’évolution des étoiles nous apprend que les étoiles extrêmement massives peuvent développer un cœur qui va s’effondrer, avec une masse supérieure à la limite de stabilité des étoiles à neutrons, et donc ce cœur qui s’effondre, pour l’instant on a pas d’autre alternative astrophysique que la formation d’un trou noir de type stellaire, c’est à dire que sa masse va faire quelques fois la masse du soleil, mais elle ne va pas dépasser 50 fois la masse du soleil. On sait que les plus grosses étoiles ne font que 100-150 fois la masse du soleil, donc le cœur de ces étoiles est un peu plus petit. Ça ce sont les trous noirs stellaires. On détecte aujourd’hui essentiellement les trous noirs stellaires, je le répète, dans ces sources X  binaires, c’est à dire dans un couple d’étoiles. Initialement vous avez deux étoiles, une étoile peu massive qui évolue lentement et reste gazeuse très longtemps, l’autre étoile éventuellement plus massive, elle explose en supernova, en hypernova, son cœur forme un trou noir, et vous avez une phase dans l’histoire de ce couple stellaire où il y a une étoile qui reste à l’état gazeux avec un compagnon qui est un compagnon compact par exemple un trou noir. Le trou noir va commencer à fonctionner comme un véritable “aspirateur gravitationnel”, il va aspirer l’enveloppe gazeuse de la partenaire. C’est ce gaz là qui, arraché à l’étoile gazeuse principale, va spiraler autour du trou noir et avant de disparaître, va être chauffé à des millions de degrés et va émettre ces rayons X qui sont observés. Il y a également des trous noirs qu’on appelle trous noirs massifs, et des trous noirs super massifs. Les trous noirs massifs c’est à partir d’un million de fois la masse du soleil, les super massifs plusieurs milliards de fois, ces derniers sont sensés exister en un seul exemplaire au centre de quasiment chaque galaxie. Par exemple au centre de notre galaxie, la voie lactée, il y a une source de rayonnements qui s’appelle Sagittarius A* qui s’interprète aujourd’hui comme un trou noir relativement massif qui produit relativement peu d’énergie parce qu’il n’a pas beaucoup de nourriture, il a pu en avoir dans le passé mais actuellement il n’en a pas beaucoup, mais autour il y a des étoiles. C’est à dire que ce trou noir, donc la masse est aujourd’hui estimée à 4 millions de fois la masse du soleil, est au cœur d’un amas d’étoiles, ces étoiles là, on les voit au télescope, et on voit ces étoiles bouger.

Image d’animation de l’observatoire montrant les mouvements des astres que l’on a identifié autour du trou noir au centre de notre galaxie. En rouge le mouvement observé d’un nuage de gaz. Crédit : ESO/MPE/M. Schartmann/L. Calçada

Cela fait plus de 20 ans qu’on suit le mouvement de ces étoiles, on les voit bouger autour d’un centre de gravité invisible, mais on soupçonne qu’il y a là une masse qui les fait bouger, parce que les vitesses mesurées de ces étoiles sont anormalement élevées. La seule façon d’expliquer la dynamique globale de l’amas, c’est la présence d’une masse de 4 millions de fois la masse du soleil. Ca c’est un trou noir massif. Il y a donc aussi des trous noirs super massifs, dont les masses dépassent plusieurs milliards de fois la masse du soleil, et ces trous noirs sont également repérés dans de nombreuses galaxies. Je le disais tout au début, aujourd’hui les trous noirs de masses records ont été détectés par leurs émissions de type quasar, c’est à dire qu’ils sont les noyaux de galaxies extrêmement brillantes. Ces objets sont aussi extrêmement lointains. Les estimations de masse sont évidemment difficiles à faire, c’est fondé sur la luminosité des quasars etc., bref, actuellement le record semble être détenu par un trou noir qui fait 40 milliards de fois la masse du soleil. Je ne sais pas si vous imaginez, c’est quelque chose d’absolument gigantesque, phénoménal !

Julie : On a du mal à s’imaginer.

La galaxie du sombrero par Hubble. Dans les années 90, une équipe de chercheurs à montré qu’un trou noir super massif (masse supérieur à 1 milliard de masses solaires) se trouvait au centre de cette galaxie. Crédits : NASA/ESA and The Hubble Heritage Team (STScI/AURA)

JPL : La question se pose justement de comment des trous noirs aussi gros ont pu être créés. Ils ont  soit été dans des environnements extraordinairement denses, ou alors ils sont le résultat de la fusion de plusieurs trous noirs géants, parce qu’il ne faut pas oublier que les grosses galaxies se trouvent dans des amas de galaxies. Ces galaxies dans leurs amas sont généralement assez serrées, elles se tamponnent et entrent en collision. On a déjà des observations de galaxies en collision et en fusion qui ont commencé à mélanger leurs trous noirs. Chacune de ces deux galaxies a déjà un trou noir central gigantesque et lorsque les galaxies fusionnent, les deux gros trous noirs peuvent se mettre en orbite l’un de l’autre et puis en perdant de l’énergie par ondes gravitationnelles, ils vont finir par fusionner. Donc on peut quand même imaginer plusieurs grosses galaxies géantes qui ont fusionné et qui ont fini par mélanger leurs trous noirs centraux pour faire des trous noirs gigantesques. Mais ça pose donc des questions intéressantes sur la formation de ces trous noirs absolument géants sur des échelles de temps nécessairement inférieures à l’âge de l’univers.

J’ai oublié un cas intermédiaire, qu’on appelle justement les trous noirs de masses intermédiaires, ce serait des trous noirs dont les masses seraient de quelques milliers de fois la masse du soleil. Ce ne sont donc pas des trous noirs stellaires, ce ne sont pas des trous noirs super massifs au sein des galaxies, on pense qu’ils pourraient se trouver au centre de certains amas d’étoiles très serrés qu’on appelle les étoiles globulaires. Les astrophysiciens ont longtemps douté de l’existence de ces trous noirs de masses intermédiaires, mais aujourd’hui on commence à avoir des observations relativement convaincantes sur les trous noirs de masses intermédiaires mais qui seraient en relativement petit nombre.

Pour résumer, dans une galaxie donnée, vous avez un trou noir géant, en général, à part pour quelques galaxies irrégulières comme les Nuages de Magellan, mais une galaxie à peu près typique a un trou noir géant au centre, un seul. Dans le reste de la galaxie, qu’elle soit elliptique ou spirale ou autre, vous avez des dizaines de millions de trous noirs stellaires, et puis dans quelques uns des amas globulaires dans deux, trois ou quelques dizaines d’amas au maximum, il y a des trous noirs de masses intermédiaires. Donc la règle commune ce sont les trous noirs stellaires, ça vous parait beaucoup plusieurs dizaines de millions de trous noirs stellaires mais ça ne représente qu’un dix-millième de l’ensemble des étoiles dans une galaxie. Ca montre bien qu’il faut quand même des conditions extrêmes pour fabriquer un trou noir, il faut qu’un cœur d’étoile dépasse la masse critique et on estime qu’il y a peut-être une étoile sur dix mille capable d’engendrer un trou noir. On sait que les stades terminaux de l’évolution des étoiles, en général c’est la formation de naines blanches, si les masses d’étoiles ne dépassent pas initialement huit à neuf fois la masses solaires, et puis entre neuf masses solaires et à peu près quarante fois la masse du soleil, c’est sensé former des étoiles à neutrons, détectables sous forme de pulsars. Il faut que des étoiles aient des masses initiales supérieures à quarante masses solaires pour avoir la possibilité de développer un cœur qui va s’effondrer pour former un trou noir stellaire et donc on estime que peut-être qu’une étoile sur dix mille dépasse cette masse là.

Vue d’artiste d’un pulsar aspirant la matière de son étoile compagnon. Crédits: NASA-Dana Berry

Nico : Et finalement du coup quand même, les trous noirs ne sont pas si rares que ça dans l’univers, parce qu’on en trouve et on en trouve de plus en plus.

Julie : Et on les observe.

JPL : A partir du moment où on dit qu’il y a plusieurs dizaines de millions de trous noirs dans notre galaxie, sans compter les autres galaxies, on peut dire qu’il y a beaucoup de trous noirs dans l’univers. Mais ceci dit, statistiquement, ce sont des objets rares, ça veut dire que le trou noir astrophysique statistiquement le plus proche de nous (parce que souvent évidemment les gens se disent mais alors est-ce qu’un trou noir peut menacer le système solaire etc.), il est très vraisemblablement à plusieurs milliers d’années-lumière.

Nico : On va en venir au gros sujet du moment, c’est la singularité, ça représente forcément une partie importante du livre. Vous expliquez à plusieurs reprises dans vos livres, je dis deux livres parce qu’il y a deux tomes, mais en plus vous en parlez aussi dans d’autres libres, que la relativité générale contient intrinsèquement des “singularités”, des grandeurs qui tendent vers l’infini. En particulier, il y a les premiers instants du Big Bang, pour lequel on ne sait pas bien expliquer les tous premiers instants, parce que ce sont vraiment les limites de nos équations.  Ce sont des sortes de “trous” dans la théorie. Le centre des trous noir fait aussi partie de cette catégorie. Pire encore, dans ce cas là, il se situe derrière un horizon des évènements qui fait qu’on ne peut même pas les observer. Que pouvez vous nous raconter sur cette singularité? Y en a-t-il toujours une ? Qu’est-ce qu’on sait ? Est-ce qu’on peut parler de “savoir quelque chose” ?

JPL : Il faut savoir qu’en mathématique, il y a des fonctions qui présentent des singularités, c’est à dire essentiellement des infinis. Transposé maintenant dans le domaine de la physique, puisque la physique s’exprime forcément par des équations mathématiques, il peut également y avoir des singularités physiques, c’est le cas de la plupart des théories physiques, même de quasiment toutes les théories physiques, et c’est notamment le cas de la relativité générale. Une singularité, c’est essentiellement en fait une singularité de courbure, c’est à dire une zone de l’espace-temps où suite par exemple à un effondrement gravitationnel, la courbure devient infinie. Si la courbure devient infinie, la singularité sort du champs de la physique, non seulement la courbure devient infinie, les paramètres physique qui peuvent être associés, par exemple la densité de matière, la température, l’énergie etc., deviennent également infinis. Il est clair que les physiciens détestent les singularités, tout simplement parce qu’elles échappent au champ de la physique. Alors de deux choses l’une, soit les singularités sont une part intrinsèque des théories physiques, soit elles marquent leurs limites de validité. Ca a été un grand débat, dans les années 70, des théorèmes importants sur l’occurrence des singularités en relativité générale ont été démontrés, essentiellement par Hawking et Penrose, qui ont démontrés que dans les conditions typiques de l’effondrement gravitationnel pour former un trou noir, il y avait inévitablement une singularité de courbure qui se formait. Ça peut être une singularité de type ponctuel ou annulaire mais malgré tout, ce sont quand même des régions, des points de l’espace-temps, où la courbure devient infinie. C’est le même type de démonstration pour éventuellement une singularité qui se trouverait au tout début de l’expansion de l’univers, qui s’identifierait avec le Big Bang proprement dit. L’autre option c’est de dire que là on a extrapolé la théorie physique au maximum et au delà de ce qu’elle peut réellement décrire et on se dit que si on améliore la théorie, notamment en y introduisant la physique quantique, on devrait éliminer ces singularités qui ne seraient en fait pas physiquement pertinentes et marqueraient donc simplement la limitation des théories. La tendance aujourd’hui c’est plutôt de penser cela, et c’est l’une des raisons pour lesquelles on essaie de quantifier le champ de gravitation par ces théories nouvelles qui ont essayé de marier, un peu de force, la relativité générale et la physique quantique, et on a donc des variantes comme la théorie de cordes, la gravité quantique à boucles etc. et dans toutes ces variantes là, même si elles ne sont pas encore tout à fait théoriquement abouties, mais il y a quand même des pistes qui sont largement explorées, les singularités en tant que telles sont éliminées. On les remplace par quoi ? Par exemple la singularité du Big Bang ou la singularité du trou noir est remplacée par ce qu’on appelle le Big Bounce, un grand rebond. Par exemple vous prenez un effondrement gravitationnel, à partir d’une certaine échelle quantique, qu’on appelle l’échelle de Planck (ou à peu près l’échelle de Planck), les lois de la physiques quantiques entrent en jeu, modifient les propriétés de la gravitation, peuvent éventuellement rendre la gravitation répulsive et donc effectivement l’espace-temps ne peut pas s’effondrer indéfiniment pour créer une singularité, il rebondit et donc il n’y a pas de singularité.

Se débarrasser des singularités, par Puyo

Johan : Donc le trou noir aura une surface plane ?

JPL : Si on imagine la formation d’un trou noir, la matière et l’énergie s’effondrent et puis au lieu d’atteindre un nœud de courbure au centre du trou noir, ça rebondit. Mais  la matière et l’énergie qui rebondissent ne peuvent pas ressortir de l’horizon des évènements donc tout ça reste caché. C’est tout le problème, ces évènements ne peuvent être décrits que par des théories, difficilement expérimentables, parce que ces choses-là restent cachées, aussi bien les singularités à l’état pur, ou ces petites suppressions de singularité avec rebond, ça reste caché derrière des horizons des évènements. Voilà un peu le statut des singularités aujourd’hui, la physique a plutôt tendance à vouloir les éliminer. Je raconte ça dans un autre livre, consacré à l’infini, et les singularités sont l’une des manifestations de l’infini parmi d’autres, il n’y a pas de singularités qu’en relativité générale, quasiment chaque théorie physique à un moment a une singularité, quand on regarde l’histoire des sciences, il y a eu des efforts considérables pour tenter d’éliminer les singularités en améliorant la théorie. A chaque fois qu’on améliore la théorie, il y des singularités imprévues qui apparaissent, un peu comme le Phoenix qui renait de ses cendres sous une autre forme et c’est finalement un des moteurs d’amélioration des théories pour éliminer les singularités. Peut-être qu’on n’y arrivera jamais parce qu’à chaque fois qu’on trouve de nouvelles théories, il y a d’autres singularités auxquelles on n’avait pas pensé. C’est un statut assez mystérieux et assez fascinant que le statut des singularités. On a quand même plutôt tendance à penser aujourd’hui qu’une vraie bonne théorie de la physique ne devrait pas avoir de singularité mais c’est peut-être le vœu pieux du physicien qui déteste qu’il puisse y avoir des régions de l’espace-temps totalement inaccessible à son entendement et à sa description, ce qui serait le cas des vraies singularités.

Johan : Ou le mathématicien jaloux qui préfère garder l’infini dans son jardin. Vous avez beaucoup parlé de prédictions théoriques comme les singularités  sur les trous noirs et donc ces prévisions ne sont pas observables. J’imagine qu’il doit y avoir des choses sur les trous noirs qui ne seront pas observables, qui ne seront pas vérifiables. Est-ce qu’on fait vraiment encore de la science quand on parle de choses comme ça qui ne sont pas vérifiables ?

Trou noir en rotation, par Puyo

JPL : On peut se questionner sur le statut épistémologique de certaines théories qui sont effectivement poussées tellement loin qu’il n’y a pas moyen de les vérifier ou de les réfuter par exemple selon les critères habituels dits “popperiens” etc.. Bon après c’est le boulot du physicien théoricien que d’extrapoler. Faisons abstraction quelques minutes des trous noirs, regardons l’histoire des sciences, regardons juste ce que l’on appelle la révolution copernicienne, le fait que la terre tourne sur elle même et autour du soleil, le double mouvement de la terre, a priori comme ça quand on regarde l’histoire des sciences on croit que c’est quasiment acquis, on sait que Copernic a eu quelques difficultés mais on se dit que ça va, avec Kepler, Galilée et Newton c’est complètement acquis mais pas du tout. Expérimentalement le double mouvement de la terre a été montré après la mort de Newton. Le fait d’abord que la terre tourne autour du soleil c’est un phénomène qui a été enfin montré expérimentalement en 1727, l’année de la mort de Newton, donc plus d’un siècle après Galilée et Kepler. Quant à la rotation de la terre, c’est la fameuse période du pendule de Foucault au milieu du XIXe siècle qui a enfin montré indubitablement par une preuve expérimentale que la terre tournait sur elle même.

Réinstallé au Panthéon en 1995, ce pendule a été initialement installé par Foucault en 1851. Il mesure 67 mètres et porte une masse de 28 kilogrammes. Une fois lancé, ce pendule oscille pendant 6h. La période (aller-retour) étant de 16,5 s, le pendule dévie de 11° par heure. Crédits : Christophe EYQUEM

Donc on voit bien que si on s’en tenait aux purs critères “une théorie n’est valable que si elle est réfutable et falsifiable”, Copernic et Galilée n’auraient jamais dû être pris au sérieux. Ce qui est d’ailleurs une des raisons du procès de Galilée, ça veut dire que les contradicteurs de Galilée n’étaient pas forcément des hommes de religion totalement obtus qui refusaient de voir la vérité, ils avaient une certaine pertinence en disant “Vous ne nous apportez pas la preuve expérimentale”, comme en plus ça heurtait les croyances religieuses de l’époque il y a eu un procès de l’inquisition, mais c’est vrai qu’il n’avait pas de preuve expérimentale. Aujourd’hui c’est un peu pareil, un grand nombre de prédictions de la physique théorique, certaines liées aux trous noirs, puis en cosmologie, les hypothèses des multivers, dimensions supplémentaires etc., tout ça c’est fascinant mais on a absolument aucune preuve expérimentale. Est-ce que c’est pour ça qu’il faut s’arrêter de travailler dessus ? Surtout pas ! Il faut continuer à travailler et puis éventuellement essayer de trouver des preuves, des traces indirectes. C’est ce qu’on a fait pour les trous noirs, au départ la théorie relativiste des trous noirs s’est construit à la fin des années trente, les premiers calculs d’effondrements gravitationnels relativistes c’était Oppenheimer en 1939. Après vraiment la théorie physico-mathématique des trous noirs s’est développée dans les années 60 donc c’est Hawking, Penrose, Carter et Wheeler et quelques autres, mais à cette époque là il n’y avait strictement aucun statut expérimental des trous noirs, comme je l’ai dit tout à l’heure, le statut expérimental des trous noirs a commencé à se profiler seulement à la fin des années 70 à partir du moment où on a commencé à être capables d’embarquer des télescopes à rayons X dans l’espace et on s’est aperçu qu’il y avait des phénomènes bizarres dans l’univers dont l’interprétation faisait très vraisemblablement appel à des trous noirs, sinon on se trouve devant un grand vide, c’est à dire une absence d’autre explication plausible.

Nico : Comme c’est important d’extrapoler, j’avais une petite question sur la toute fin du livre, où vous parler d’un “univers trou noir”…

JPL : Ah ! L’univers trou noir.

Nico : Et encore, je ne vous parle pas de l’univers “trou de ver” (se marre), et donc c’est une idée selon laquelle tout l’univers serait en fait contenu dans un trou noir géant. C’est une idée extrêmement intéressante, ce qui m’a le plus étonné en fait dans cette idée là, c’est que vous expliquez qu’elle n’est pas si farfelue.

JPL : Ca repose sur un petit calcul tout simplement. Pour qu’une masse donnée se comporte comme un trou noir, il faut que cette masse soit confinée dans un certain volume critique. Et bien on s’aperçoit que la masse estimée aujourd’hui de notre univers, disons l’équivalent  de quelques centaines de milliards de galaxies, sachant que dans chaque galaxie il y a à peu près 10^10 – 10^11 étoiles, ça fait une masse d’environ 10^23 fois la masse du soleil, quelque chose comme ça. Cette masse elle est confinée dans un volume dit de l’univers observable, dont on peut mesurer la taille en mesurant les paramètres cosmologiques (mais on ne peut pas mesurer la taille de l’univers complet), elle est de l’ordre du rayon critique correspondant à la masse. Des chercheurs dès les années 60 se sont posés la question, est-ce que notre univers ne pourrait pas être un trou noir ? Alors pour ça évidemment il faudrait que ce soit un univers fermé, fini, par exemple une hypersphère, et non pas un espace euclidien infini. Si l’univers est hypersphérique, on peut avoir un rayon de l’hypersphère de l’ordre du rayon de Schwarzschild [rayon de l’horizon des événements] associé à la masse qu’il contient, évidemment ça pose des quantités de questions, s’il s’agit d’un trou noir, est-ce qu’il y a une sorte de “méta-univers” dans lequel ce trou noir est contenu ?

Nico : Oui est c’est pour ça que j’en parle maintenant parce que, où est-ce qu’elle est la singularité si l’univers est un trou noir ?

JPL : C’est le Big Bang !

Nico : Ah ce serait le Big Bang ?

JPL : Ce serait le Big Bang, simplement le Big Bang serait une singularité nue, c’est à dire qu’on la verrait, elle ne serait pas cachée derrière un horizon, puisque si ça devait être un trou noir, on est dans le trou noir, et donc la singularité ne nous est pas cachée, puisqu’on est pas à l’extérieur du trou noir.

Nico : D’accord.

JPL : Mais bon c’est relativement peu étudié.

Nico : Oui puis je le reprécise, c’est la fin du livre, c’est un peu une ouverture, ce n’est pas dans le gros des théories développées dans le livre.

Johan : Moi j’avais une question là dessus parce qu’à un moment vous dites que quand vous êtes dans un trou noir il n’y a pas de raison que la lumière n’entre pas et donc on voit l’extérieur, et donc si l’univers était un trou noir, on verrait l’extérieur de l’univers dans ce cas là non ?

Nico : C’est les limites de l’univers observable… je sais pas…

JPL : Alors il est exact qu’une fois qu’on est à l’intérieur d’un trou noir, même si on est entraîné inéluctablement vers la singularité, on reçoit de l’information de l’univers extérieur. En fait la surface d’un trou noir c’est une sorte de membrane unidirectionnelle, c’est à dire qu’on peut passer de l’extérieur à l’intérieur mais on ne peut pas passer de l’intérieur à l’extérieur. Ca veut dire que la membrane laisse passer l’information venant de l’extérieur, l’information ça peut être tout simplement des rayons lumineux, et donc on fait des calculs et on a même fait des visualisations ! J’ai un collègue qui s’appelle Alain Riazuelo etqui travaille à l’institut d’astrophysique de Paris, il a fait des simulations extraordinaires ou il calcule le paysage de l’espace-temps dans le voisinage immédiat d’un trou noir ou carrément à l’intérieur d’un trou noir, et on voit bien qu’à l’intérieur d’un trou noir il y a des rayons lumineux qui parviennent de l’extérieur, donc on voit une partie de l’univers extérieur. Effectivement si notre univers lui-même était un trou noir plongé dans une sorte de méta-univers, on se dit mais alors on pourrait voir de la matière venir de l’horizon cosmologique, qui correspondrait plus ou moins à l’horizon des évènements d’un trou noir, ce qui n’est pas le cas.

La voûte céleste tel que la verrait un observateur situé près d’un hypothétique trou noir devant le centre de notre galaxie. À cause de la déflexion de la lumière passant près du trou noir, l’image de la Voie lactée n’est plus rectiligne, et les principales constellations sont très déformées. Simulation numérique par Alain Riazuelo /IAP.

Nico : Pour finir avant des questions d’auditeurs, on va parler un peu du titre du livre, “le destin de l’univers”. Le dernier chapitre est justement consacré à ce que l’on peut dire sur le futur. Ce qui est assez étonnant c’est qu’en fait dans un peu tous les cas, le destin de l’univers parait assez sombre, pour faire un résumé des choses les plus probables, ça se joue sur comment évolue l’énergie sombre. Si l’énergie sombre est constante,  c’est le moins pire des cas, on se met petit à petit à ne plus voir les autres galaxies et se retrouver seul au milieu de “notre” univers. Si l’énergie sombre augmente, là on se dirige vers un “Big Rip”, où l’expansion de l’univers devient infinie et je ne sais pas trop ce qu’il se passe précisément mais ça n’avait pas l’air très joyeux… Et si l’énergie sombre diminue, on se retrouve dans le cas du Big Crunch où tout se resserre sur soi-même etc. C’est assez étonnant parce qu’on est passionné en lisant le bouquin par plein de belles théories, d’imaginer parfois des voyages dans le temps etc. et puis on se retrouve à cette fin avec cette vision du futur extrêmement noire, alors c’est quoi, du pessimisme? Du réalisme?

JPL : Absolument pas, il n’y a aucune notion de pessimisme ou d’optimisme là dedans, le titre général du bouquin c’est le destin de l’univers, et des objets qu’il contient, donc l’univers dans son ensemble. C’est pour ça qu’en fait les trous noirs sont un des destins possibles de l’évolution des étoiles massives, donc une partie du contenu de l’univers ou des centres galactiques. Après il y a l’univers lui même en tant que tel et là on rentre dans le domaine de la cosmologie, on sait que l’univers est en expansion actuellement cela s’observe, et la grande question c’est de savoir si dans le futur cette expansion va se poursuivre à jamais ou est-ce qu’un jour ça peut s’inverser et donner une contraction générale de l’univers et aboutir comme vous l’avez mentionné à un Big Crunch. Dans le cas d’un Big Crunch, la fin de l’univers n’est pas si noire que ça, elle est au contraire éblouissante, c’est une sorte de retrouvailles du Big Bang initial, c’est à dire des conditions initiales de l’univers etc. C’est une fin chaude, qui n’est pas repoussée dans un futur infini, parce que ça se produirait dans un temps fini dans le futur même, si c’est plusieurs dizaines de milliards d’années. En revanche, dans le cas d’un univers dit ouvert, c’est une expansion perpétuelle, ça veut dire que l’univers se dilate perpétuellement donc se dilue, donc la densité d’énergie moyenne dans l’univers diminue, ça veut dire que la température moyenne de cet univers ouvert tend vers le zéro absolu (-273,15 °C). Il faut savoir qu’aujourd’hui déjà, la température moyenne de l’univers est mesurée, elle est de l’ordre de 2,7 kelvin, dans l’échelle absolue de température, ça veut dire -270°C, donc l’univers moyen est déjà aujourd’hui relativement froid. Mais il peut être beaucoup plus froid que ça, et pour tendre vers le zéro absolu il faudrait un temps infini. Si en plus la vitesse de l’expansion de l’univers s’accélère comme semblent le suggérer des dernières mesures avec notamment une forme d’énergie, l’énergie sombre, dont j’ai parlé tout à l’heure, et qui accélère l’expansion de l’univers, du coup le refroidissement est encore plus brutal et spectaculaire. Dans le cas d’un univers ouvert, la fin est plutôt sombre mais au sens strict du terme, pas au sens pessimiste, ça veut dire effectivement une diminution d’énergie, la température tend vers le zéro absolu, ça veut dire que sur des périodes de temps extraordinairement grandes, toutes les étoiles vont finir un jour par s’éteindre, et que la plupart des objets finiront par se transformer en trous noirs de toutes tailles, y compris des trous noirs supergéants. Dans un temps, pas infini mais extraordinairement grand, comme je l’ai dit tout à l’heure, même les gros trous noirs pourraient à leur tour commencer à s’évaporer, soumis à des phénomènes quantiques, ce qui réalimenterait un petit peu en énergie, en un bain de photons issus de l’évaporation des trous noirs, l’univers futur mais au bout du compte ça tendrait quand même vers le zéro absolu. Il n’y a rien de pessimiste là dedans parce que de toute façon c’est sur des échelles de temps sur lesquelles on peut mettre des chiffres mais qui sont absolument effarants, 10^10^70 années c’est quelque chose d’absolument faramineux, donc ça ne concerne absolument pas les échelles humaines…

Nico : Tout comme j’invite les auditeurs à lire le livre, dans le dernier chapitre justement vous faites l’exercice de préciser certains événements temporels dans le futur [se marre], dans 10^66 années etc.

Le trou noir d’Interstellar

Johan : J’avais une dernière question, moi ça m’avait intrigué,  on a parlé tout à l’heure d’Interstellar et de cinéma, vos livres sont aussi reconnaissables parce qu’il y a beaucoup de citations qui sont souvent issues de la littérature. Vous avez même écrits plusieurs romans et recueils de poésie. Est-ce que vous pensez que l’art, au sens large, et les sciences peuvent s’influencer mutuellement ?

JPL : Oui, je me suis énormément intéressé à ces interactions, ces cousinages un peu subtils de l’art et de la science, sans faire d’amalgames non plus, il est clair qu’il y a des points communs dans la création artistique et dans la création scientifique. On part forcément d’une intuition, d’une part d’imaginaire, de quelque chose, après on l’élabore. On l’élabore évidemment différemment quand on élabore un modèle de la physique, il faut obéir aux lois de la consistance mathématique, etc. Quand on élabore une œuvre d’art ça obéit à d’autres critères mais il n’empêche qu’au départ c’est un peu la même étincelle, issue de l’imagination et de la créativité. Ca c’est un premier aspect, un autre aspect c’est quand on regarde un peu en parallèle l’histoire des arts et des sciences, on voit bien que des domaines entiers de l’art, que ce soit en littérature, en poésie, s’influencent. J’ai écrit un livre entier là dessus qui s’appelle les poètes de l’univers, où je montre comment les connaissances astronomiques d’une époque, où la méconnaissance, influent la façon dont les poètes peuvent parler de l’univers, il y a des influences très nettes ! Par exemple au moment de la révolution copernicienne et galiléenne, il y a un changement de climat dans la littérature de l’époque, en tout cas chez les écrivains et les poètes qui s’intéressent à cet aspect là des choses et qui décrivent l’univers, c’est un choc culturel tel que ça ne peut pas ne pas se retrouver dans les œuvres. C’est pareil quand vous regardez la nature également, il est normal que les formes d’expressions artistiques soient influencées par les révolutions scientifiques, quand on regarde le XXe siècle, il est clair que certains mouvements artistiques du XXe siècle, comme le futurisme, le cubisme, etc., ont été en partie influencés par les révolutions relativistes et quantiques. La question peut-être plus intéressante mais plus difficile c’est à l’inverse, est-ce que certains développements artistiques peuvent influer sur le développement de modèles scientifiques. Pas vraiment, disons que c’est plutôt un climat général. Je peux en parler parce que moi-même j’ai aussi eu beaucoup d’activités artistiques, j’ai pratiqué la musique, la peinture, etc., outre la littérature et la poésie. On peut se demander chez l’individu qui pratique en même temps la science et l’art, est-ce que c’est perméable, est-ce qu’il y a des influences. Les influences elles sont plutôt à sens unique, ce sont plutôt les influences de la science vers l’art. En revanche je pense que pratiquer l’art, ou simplement être amateur d’art, sans avoir besoin de le pratiquer, est une bonne chose. Vous savez qu’il y a beaucoup de chercheurs qui ont une bonne culture artistique, qui sont mélomanes, amateurs de peintures, ils vont dans les musées etc., ça veut dire qu’ils baignent dans une sorte de climat esthétique. On aime l’esthétique et dieu sait si l’esthétique joue un rôle fondamental dans l’élaboration des théories scientifiques, et notamment en physique fondamentale, en physique théorique, les chercheurs se sont exprimés là dessus, Penrose en a parlé plusieurs fois, lui il va jusqu’à dire que les théories physiques ont plus de chances d’être justes lorsqu’elles sont décrites par des équations et des mathématiques élégantes. C’est une sorte de pari extraordinaire sur une esthétique de la physique elle-même, il faut que la façon d’exprimer cette esthétique par les formules mathématiques soit d’une certaine façon élégante pour que ça marche ! Bon c’est un pari extraordinaire qui pour l’instant ne marche pas si mal, donc c’est quand même assez troublant et c’est une question de nature un peu philosophique.

Première simulation numérique d’un trou noir entouré d’un disque de gaz, effectuée par Jean Pierre Luminet en 1979.

Nico : La déraisonnable efficacité des mathématiques.

JPL : Exactement, c’est exactement ça.

Nico : On va passer aux questions des auditeurs, du coup on a eu beaucoup de questions sur plein de sujets.

D’abord on a vu à plusieurs reprises qu’il y a quand même pas mal de preuves d’existence des trous noirs, et pourtant on a entendu récemment Stephen Hawking qui a remis en cause l’existence des trous noirs, ainsi que Laura Mersini-Houghton qui est une chercheuse en physique théorique de l’Université de Caroline du Nord à Chapel Hill (c’est Alan notre cher ami suisse qui a créé le podcast qui dit cela), qui disait détenir la preuve que les trous noirs n’existent pas [voir son papier]. Est-ce que vous pensez quelque chose de ces personnes, en particulier Hawking qui a été à l’origine de ces idées…

JPL : Dans un modèle scientifique, il n’y a pas de consensus total, il y a toujours des chercheurs qui remettent en cause le paradigme et c’est une très bonne chose. Après il faut voir le degré de sérieux de ces remises en cause. Moi j’ai tendance à penser que le statut expérimental et théorique des trous noirs est devenu suffisamment solide pour que il n’y ait pas d’alternative viable et convaincante. Voilà. Donc par exemple l’alternative proposée par Laura Mersini-Houghton, je ne peux pas l’expliquer à l’antenne mais réellement ça ne tient pas la route un seul instant quand on regarde un petit peu en détail les choses. Bon après on prend un peu plus au sérieux Hawking compte tenu évidemment de son statut et toutes les contributions extraordinaires qu’il a apportées. Il faut évidemment faire la différence entre trois choses, ce qu’il voulait dire, ce qu’il a dit réellement et la façon après dont c’est répercuté dans les médias. On se retrouve avec l’histoire que “les trous noirs n’existent pas”, ça c’est la façon dont c’est répercuté dans les médias. Il y a le caractère spécial de Hawking que je connais bien, son côté “émettre des déclarations un peu fracassantes”, qui semblent un peu contradictoires, mais avec une bonne dose d’humour derrière. C’est parce qu’effectivement comme je l’ai dit tout au début, je ne sais pas si les auditeurs s’en souviendront, il y a le problème de “l’information”. Le débat sur le fait que l’information contenue dans un trou noir, est-ce qu’elle totalement récupérée ou pas lorsque le trou noir s’évapore, et ainsi de suite. Les physiciens puis les physiciens quantiques ont élaborés des modèles qui ont un peu déstabilisé les prises de position initiales de Stephen Hawking et c’est un peu pour avouer une relative défaite théorique qu’il a dit “mais alors si c’est comme ça les trous noirs n’existent pas vraiment”. Ce qui n’existe pas, ce qu’il voulait dire, ce sont les trous noirs tels que lui les imaginait au départ. C’est à dire des trous noirs relativement classiques et pas quantiques. Je crois que cette déclaration ne va pas plus loin que cela. Maintenant le débat lui-même, le débat réellement théorique, qui est très technique, il est extrêmement profond, et extrêmement intéressant. Les physiciens quantiques ont émis l’hypothèse, je n’y crois pas trop non plus mais enfin bon c’est pas parce que je n’y crois pas que ce n’est pas bon, que les trous noirs sont entourés d’une sorte de mur de feu, on appelle ça un firewall, par des effets de phénomènes quantiques. Et qu’en fait ce mur de feu empêcherait que l’on puisse rentrer dans un trou noir, donc si on ne peut pas y entrer, c’est comme si d’une certaine façon, les trous noirs n’existaient pas, en tant justement qu’objets avec un horizon des évènements dans lesquels on pourrait rentrer. C’est dans ce sens là que Hawking a dit que les trous noirs n’existent peut-être pas, c’est le trou noir “simple” avec son horizon des évènements, sans mur de feu. Donc le statut des firewalls est discuté, à mon avis, et je ne suis évidemment pas le seul à partager cet avis, c’est que ces murs de feu qui sont prédits sont plausibles uniquement, puisque c’est un phénomène quantique, ils sont plausibles pour les trous noirs quantiques mais pas pour les trous noirs astrophysiques. Donc il n’y a pas de mur de feu pour les trous noirs astrophysiques.

Firewall, par Inti

Nico : on a une question de Superoxyde (bon tous nos auditeurs ont des pseudos évidemment) qui a propos de la fin de l’univers, se demandait si l’entropie diminuerait du coup ?

JPL : Si l’univers on le considère comme un univers unique, un système isolé,  l’entropie augmente puisque c’est une perte d’informations. Ces questions sont extrêmement compliquées à répondre.

Nico : (se marre) Ok. Pas de problème, on transmet, on préfère même quand on dit que c’est trop compliqué à répondre pour justement pas faire du “grand média” là dessus. On va retenter une question de Superoxyde mais qui a l’air compliquée aussi, que penser des hypothèses exposées par Lawrence Krauss sur un univers créé à partir de rien ? [Voir son livre Universe from nothing] Je ne sais pas si vous avez entendu parler de ça ? Moi ça ne me dit rien.

JPL : Le nom en lui même ne me dit rien mais l’univers créé à partir de rien, ça veut dire quoi ? L’univers créé à partir du vide quantique par exemple ? Ca dépend ce qu’on appelle “le rien”. (se marre) Sinon l’univers créé à partir de rien on va dans des cosmogonies primitives, mais on sait aujourd’hui qu’il existe des champs d’énergie d’origine quantique et notamment le vide, en physique classique on appelait ça le “rien”, si vous prenez une boîte, vous enlevez tout de la boîte, c’est à dire que vous faites le vide, vous enlevez les atomes, les champs de force etc., vous faites le vide. Si vous décrivez ce processus là dans la physique classique, normale, il ne reste rien, voilà, alors ce n’est pas intéressant parce que vous ne pouvez rien faire avec rien. En revanche la meilleure façon de décrire ce processus c’est la physique quantique, grâce au principe d’incertitude elle dit qu’irréductiblement, vous avez beau enlever les atomes, les molécules, les champs de force, les particules élémentaires, il restera irréductiblement quelque chose qui est l’énergie à son niveau fondamental mais qui n’est pas nulle, c’est l’énergie du vide. Et cette énergie du vide a des propriétés absolument fascinantes.

Nico : Qui ont été mesurées.

JPL : Oui, elle a été réellement observée, ce n’est pas une utopie purement mathématique. On l’a mise en évidence en laboratoire !

Nico : Oui mais je précise parce que ça a l’air d’être tellement étonnant.

JPL : Elle possède des propriétés absolument fascinantes, une fluctuation d’énergie potentiellement génératrice de matière, voir quand on fait l’hypothèse que le Big Bang lui même on va plutôt le remplacer par un état quantique, on imagine un état initial dominé par l’énergie du vide, et on se dit qu’une fluctuation de l’énergie du vide peut engendrer carrément une matière-espace-temps c’est à dire un univers. Il y a réellement des théories de cosmologie quantique qui disent que notre univers s’est formé à partir de l’énergie du vide. Si c’est ça le “rien”, moi je veux bien. En fait le rien définir comme ça, c’est plutôt potentiellement le “tout”. (l’équipe de PS se marre)

Nico : D’accord. Une question beaucoup plus simple de Mout mais c’est vrai qu’on ne l’a pas précisé, quand on parle de “trou noir”, est-ce que ça désigne la singularité (le point), ou le volume contenu dans l’horizon ?

JPL : Ah c’est très important ça comme question ! Il y a confusion entre le trou noir et la singularité. Il y en a qui disaient qu’un trou noir ne pouvait pas exister parce qu’une singularité c’est absurde. Mais j’ai expliqué que le trou noir ce n’est pas la singularité, c’est l’horizon qui se forme. C’est à dire que dans un processus vous avez une zone de l’espace-temps qui se forme et à partir du moment où cette zone est formée qui est une zone de non retour, vous avez le trou noir qui est formé. Ce qui peut se passer après, qu’il y ait une singularité ou pas, ça n’altère pas le fait que vu de l’extérieur vous avez un objet qu’on va appeler trou noir. C’est à dire avec toutes les propriétés caractéristiques des trous noirs. Donc le trou noir c’est l’intérieur d’une zone délimitée par un horizon des évènements, donc c’est un volume. Ce n’est pas une singularité.

Johan : C’est une sphère d’ailleurs, on a eu des questions aussi sur ça.

JPL : Pardon ?

Johan : C’est une sphère aussi.

JPL : Oui alors si le trou noir est statique et ne tourne pas, c’est une sphère, mais il se trouve que les trous noirs normalement tournent parce que les objets tournent dans l’univers et donc comme les objets qui tournent il y a l’équivalent de forces centrifuges, même si c’est une vision un peu classique du modèle, mais enfin bon, qui aplatissent légèrement le trou noir le long de son axe de rotation. Et donc les trous noirs dits de Kerr, qui sont les trous noirs en rotation, la forme de la surface, donc l’horizon des évènements, est légèrement aplati aux pôles donc c’est plutôt un ellipsoïde.

Johan : D’accord.

Kerr et Carter, théoriciens des trous noirs

Nico : Du coup c’était une erreur dans Interstellar où il était joliment sphérique alors qu’il était censé tourner à une vitesse…

JPL : Dans Interstellar il est censé tourner à une vitesse très proche de la vitesse critique parce qu’effectivement on ne peut pas avoir un trou noir tournant arbitrairement vite, il y a une vitesse de rotation critique, correspondant à peu près à la vitesse de la lumière à la surface de l’horizon, qu’évidemment on ne peut atteindre, encore moins dépasser. Et donc ces trous noirs sont aplatis.

Nico : D’accord. Toujours le même Superoxyde, il a fait une remarque qui va me permettre de vous poser une petite question sur une partie pas très développée dans le livre mais assez amusante. Il dit qu’il y a un mini trou noir dans l’étoile noire de Star Wars, c’est le seul moyen d’accumuler assez d’énergie pour exploser une planète rapidement. Pourquoi je cite ça aussi, c’est parce qu’il y a une partie dans le livre où vous expliquez comment il serait possible de faire des machines avec des trous noirs, de récupérer de l’énergie etc.. C’est un peu le rêve d’une presque énergie infinie comme c’est décrit.

JPL : Oui donc, les trous noirs sont non seulement des puits d’informations mais également des puits d’énergie, alors il y a une partie de l’énergie stockée dans un trou noir qui normalement est irréductible, c’est à dire qu’elle ne peut pas être extraite sauf par des processus quantiques et puis il y a une partie qui peut être éventuellement récupérable, c’est l’énergie rotationnelle. Un trou noir qui tourne a une partie de son énergie sous forme d’énergie rotationnelle, et on a imaginé des processus, notamment Penrose dont on a parlé plusieurs fois, a imaginé un processus qui permettrait artificiellement d’extraire progressivement l’énergie de rotation d’un trou noir et avoir une source d’énergie quasiment inépuisable.

Johan : Oui et cette histoire de trou noir au centre de l’étoile noire c’est  Roland Lehoucq avec qui vous avez travaillé qui développe cela.

JPL : Roland s’intéresse effectivement à tous les rapports entre les théories physiques et puis ce qu’on trouve dans la science fiction et les bandes-dessinées. Il fait un travail remarquable parce que ça permet aussi d’accrocher l’attention de tout un public qui pourrait être rebuté quand on attaque directement la physique.

Le “tunnel” du film Contact

Nico : Tant qu’on est dans la fiction, Ewi pose une question : est-ce que c’est un trou noir qui est créé dans Contact ? Le film Contact.

JPL : Oui, si je me souviens bien, ça fait longtemps…

Nico : Il me semblait que c’était un trou de ver…

JPL : Effectivement j’étais allé voir le film. Déjà dans Contact, il y avait l’idée d’utiliser les trous de vers, c’était d’établir…

Nico : Un contact justement avec…

JPL : Un contact qui normalement serait interdit dans des conditions normales, et en fait initialement avant le film, Contact c’est un livre, c’est un roman de Carl Sagan avant d’être adapté à l’écran par Zemeckis, et déjà dans le livre, Carl Sagan, qui lui était plutôt un planétologue, il ne connaissait pas les détails de la relativité générale, il avait déjà demandé conseil à Kip Thorne, qui lui avait dit qu’il y avait une possibilité théorique, précisément les trous de ver. D’ailleurs c’est à partir de là que Kip Thorne a commencé à s’interroger davantage aux trous de vers et à essayer de montrer qu’il pouvait y avoir éventuellement des trous de vers stabilisés par des formes d’énergie négative comme je l’ai dit tout à l’heure.

Nico : On a parlé du problème du firewall, dans le même ordre d’idée, qu’est-ce que vous pensez de l’hypothèse holographique du trou noir ? Qui si je ne dis pas de bêtises revient à dire que sur la surface du trou noir il y aurait toute l’information sur tout l’univers etc.

JPL : Alors j’en pense du bien pour les trous noirs et je n’en pense pas du bien pour son application à la cosmologie.

A priori c’est une jolie idée le principe holographique, c’est l’idée qu’en fait toute l’information contenue dans un volume peut être extraite à partir de la surface qui limite ce volume. Donc au lieu d’être répartie en trois dimensions, elle est quelque part distribuée en deux dimensions. Cette idée, qui vient en partie de la théorie des cordes, appliquée aux trous noirs, elle fournit l’idée intéressante que finalement toute l’information contenue dans un trou noir est d’une certaine façon sur l’horizon des évènements. Ca a permis de faire des calculs d’entropie d’un trou noir, entropie donc liée à la quantité d’informations, et de montrer, ce par un vrai calcul (et pas simplement par une analogie comme ça avait été fait initialement par Stephen Hawking et quelques autres dans les années 70, 80), que l’entropie d’un trou noir est liée par une formule physico-mathématique, à l’aire de la surface d’un trou noir. Pour ça, on fait un calcul un peu quantique, on décompose la surface d’un trou noir en unités extrêmement petites, de l’ordre de l’aire de Planck, en unités quantiques. Il faut quatre unités pour faire un bit d’information, après on fait le calcul de l’entropie complète d’un trou noir et on retrouve une formule qui avait été imaginée initialement de façon un peu intuitive par Hawking et Bekenstein dans les années 70, mais là on la retrouve par une sorte de véritable calcul, grâce au principe holographique. En revanche à l’échelle de l’univers, l’idée que l’information totale contenue dans l’univers puisse se retrouver sur une sorte de frontière ou d’horizon lié à notre univers, ça ne marche que dans un cas extraordinairement particulier qui est un modèle d’univers appelé modèle anti de Sitter, à cinq dimensions en plus, et ça ne s’applique absolument pas à l’univers dans lequel nous pensons nous trouver. Je suis en train de préparer un gros papier de revue qu’on m’a demandé là dessus, sur le principe holographique.

Nico : (rit) On pourra en savoir plus à cette occasion.

Une question, alors vous ne répondez pas si c’est indiscret, mais je trouve qu’elle est intéressante à poser à quelqu’un qui fait un livre qui s’appelle le destin de l’univers, et qui nous parle aussi des origines, quelle est votre position vis à vis de la religion ?  Etes vous croyant ? Est-ce que ça a un intérêt de poser cette question ?

JPL : (rit) Ca a toujours un intérêt de poser la question bien entendu. Moi non je ne suis pas croyant, j’ai pu l’être un moment, ne serait-ce que par mon éducation, vous savez souvent les formes de croyances elles sont aussi culturelles, etc. On est dans un milieu et on est imprégné de ce milieu là, et à mesure je me suis détaché. Je ne dirais pas que c’est ma pratique scientifique forcément qui m’a détaché de ça. J’ai adopté une philosophie matérialiste, une philosophie athée, mais je conçois absolument qu’on puisse avoir d’autres approches. Mais je n’aime pas trop en revanche que l’on mélange comme le font certains. Vous voulez écrire un bouquin de physique, vous mettez dieu dans le titre, vous êtes sûrs de vendre dix ou cent fois plus d’exemplaires que mon destin de l’univers. Simplement parce que vous semblez aborder cette question là. Ma position c’est que ça n’a pas du tout la même fonction, la science et la religion. La religion c’est un acte de foi, la science ce n’est pas un acte de foi, c’est une construction, une remise en cause permanente, donc il n’y a pas de dogme, il y a des consensus qui évoluent au cours de l’histoire. Il faut être prêt à abandonner la “croyance” en un modèle scientifique même si on travaillé trente ans dessus, dès lors qu’il y a une expérience qui va l’invalider, il faut l’abandonner. Ce n’est pas comme ça que fonctionne la religion, donc il vaut mieux séparer les choses. Dans l’histoire, je pense que les positions les plus pertinentes sont celles de personnes qui ont su réellement bien séparer les choses, comme ce fut le cas avec Georges Lemaître sur lequel j’ai beaucoup écrit par ailleurs [en particulier L’invention du Big Bang, ], il est l’inventeur de la théorie du Big Bang moderne et qui par ailleurs était un homme de religion, il était prêtre. Mais il ne mélangeait absolument pas les choses. Alors que d’autres au contraire veulent absolument soit étayer leurs croyances religieuses par la religion, soit à l’opposé, étayer leurs croyances matérialistes par la science, mais en fait je pense que la science ne dit rien sur ces choses là.

Nico : D’accord.On a une question de GPif qui peut paraître amusante mais qui à mon avis n’est pas anodine, parce que vous en parlez aussi dans le livre : si je veux faire un trou noir dans mon jardin, il me faut quoi ? Quand je dis qu’elle n’est pas anodine, c’est que vous parlez un peu du fait qu’on commence à envisager de construire des trous noirs.

JPL : Alors il faut mettre le grand accélérateur de particules du CERN dans le jardin, donc avoir un grand jardin, pour mettre 7 km de circonférence, c’est pas mal de technique et de moyens.

Johan : Ça tombe bien pour nos auditeurs en Suisse !

JPL : (rit) Donc il vaut mieux avoir un jardin près de la Suisse. D’autre part il vaut mieux être dans un univers avec des dimensions supplémentaires parce qu’on s’aperçoit que même avec les énergies énormes développées dans le collisionneur du CERN, dans les théories normales, relativité générale classique etc., on est incroyablement loin de développer des énergies suffisantes pour créer artificiellement des trous noirs. Je parle là évidemment de micro trous noirs, je ne parle évidemment pas de trous noirs stellaires ! La seule possibilité théorique, ce serait de se trouver dans un modèle très spécial de la théorie des cordes, c’est à dire avec un certain nombre de dimensions supplémentaires de l’espace, et en plus que la taille de ces dimensions supplémentaires soit ajustée de manière extraordinairement improbable. Malheureusement, je dis malheureusement parce que ce serait quand même chouette de pouvoir créer artificiellement des trous noirs au labo, parce qu’on pourrait les étudier du coup. Mais non.

Nico : Dans l’état actuel des connaissances a priori on ne verra pas de trou noir fabriqué artificiellement de notre vivant.

JPL : Non.

Nico : D’accord

Johan : On finit donc par une question d’Irène : comment et depuis quand vous êtes vous intéressé à la physique, est-ce que vous avez des parents scientifiques ou est-ce que c’est venu… ?

JPL : Non pas du tout, mes parents n’étaient pas du tout des scientifiques et a priori je ne me destinais pas non plus particulièrement à ça quand j’étais jeune, adolescent etc., je m’intéressais peut-être plus à la musique, à la littérature, à la peinture,  à la poésie, etc. Mais simplement j’étais bon en math, donc j’ai tout naturellement suivi une filière scientifique, je n’avais pas le goût de la physique, je le dis tout net, je n’avais pas le goût de la physique, pas parce que la physique est chiante mais parce qu’elle est enseignée de manière ennuyeuse, en général. Il y a peut-être des profs de physique qui nous écoutent et qui ne vont pas être d’accord, le fait qu’ils écoutent le podcast, ça veut dire que ce sont de bons professeurs de physique hein. Mais moi je me souviens, la physique nous était enseignée de façon ennuyeuse, je l’ai bien vu après quand mes enfants m’apportaient leurs devoirs de physique, je leur disais “mais mon pauvre, tu te retrouves exactement dans la même situation que moi, je détestais la physique”. J’adorais les maths en revanche, et ce n’est que très tardivement, à l’issue d’une maîtrise de mathématiques, que grâce à des livres de vulgarisation, et pas des cours de physique, que je me suis aperçu de la magie que pouvait représenter la physique. On avait un outil magique, les mathématiques, pour aborder après des grands problèmes fondamentaux de la physique. Donc voilà mon parcours, initialement, je ne me destinais pas à devenir un chercheur scientifique, je pensais peut-être devenir musicien, écrivain ou je ne sais quoi, et puis j’ai découvert finalement qu’il y avait une forme de créativité extraordinaire qui était permise par la recherche en physique fondamentale, on avait un bel outil, les mathématiques, et cet outil on l’utilise après pour faire de la belle physique. Si on changeait un peu l’enseignement de la physique, si déjà on mettait un peu plus d’astrophysique et ce genre de choses dans les cours de physique au lycée etc., je pense qu’il y aurait peut-être beaucoup plus de jeunes qui s’orienteraient dans des carrières dans la recherche scientifique.

Nico : Comme vous avez lancé le sujet des vulgarisations qui vous ont intéressées, peut-être un ou deux livres qui vous ont particulièrement marqués, même récemment ?

JPL : Les livres de vulgarisation ?

Nico : Oui

JPL : Il y a d’abord le livre originel qui m’a converti au métier, c’est un livre qui a été un petit peu oublié aujourd’hui, il avait été écrit dans les années 70 par un astronome qui s’appelait Jean Edman, que j’ai rencontré après à l’observatoire de Paris quand j’y suis allé. C’était un livre qui parlait de cosmologie, un peu de trous noirs, etc. De façon vulgarisée mais quand même assez solide, avec quelques équations simples. Moi je suis extrêmement content, et ça arrive de plus en plus souvent, lorsque des jeunes astrophysiciens qui viennent d’avoir un poste, viennent me trouver (surtout quand j’étais à Meudon, maintenant que je suis à Marseille je suis un peu plus isolé) et me disent “en fait c’est parce que j’ai lu votre livre sur les trous noirs de 1987 quand j’étais adolescent, que j’ai eu envie de continuer”, je pense que c’est le rôle de la vulgarisation. J’ai écrit une bonne quinzaine de livres de vulgarisation, en plus de mes romans etc. C’est à la fois parce que j’ai la passion de communiquer, d’expliquer les choses compliquées que l’on fait et parce que je pense que c’est réellement un très bon moyen d’attirer une petite partie des jeunes intéressés par ça, sur les mystère et la magie de la physique.

Robin : Moi j’ai enfin l’explication de pourquoi c’est vous qui m’avez le premier intéressé à l’astrophysique, c’est parce qu’à la base vous êtes un matheux comme moi, qui était fâché avec la physique comme moi. (il rit) (l’équipe se marre)

Nico : Oui parce que Robin quand on est allé au CERN n’est pas venu parce qu’il ne voyait pas l’intérêt… (l’équipe rit)

Robin : Non, non non non. Ca c’est pour la légende (l’équipe PS est hilare). Mais je suis assez ravi d’entendre ce que vous dites là dessus. Mais du coup si je peux me permettre une question encore, vous en avez un petit peu parlé mais du coup ça pose toute la question des belles mathématiques pour de la belle physique et le rapport au réel, qui est un débat qu’on aura jamais fini… Vous avez parlé des singularités, dont on ne sort jamais, on en récupère tout le temps, mais du coup votre position entre les théories mathématiques et ce qui pourrait exister disons ? Pardon je vais dire un truc précis comme ça ce sera plus simple (l’équipe se marre), une phrase que j’ai entendue, c’est une citation de je ne sais plus qui, je n’ai pas réussi à retrouver, qui dit “Le Big Bang n’est pas une grosse explosion mais la limite de nos équations“, qui résume assez bien l’idée. Quelle position avez-vous sur ce genre de choses ?

JPL : Il est certain que le Big Bang n’est pas une grosse explosion, puisque comme je le rappelle dans d’autres bouquins, le terme a été donné par dérision pour se moquer de l’idée que notre univers puisse être né d’une grande explosion, ce qui n’était pas du tout dans l’idée originelle de Lemaître et Friedmann qui sont les fondateurs de la cosmologie moderne. Le fait que ce soit une limite de nos équations, comme j’ai essayé de le dire à un certain moment mais je ne l’ai pas vraiment développé, la tendance aujourd’hui c’est de penser cela oui. Le Big Bang en tant que singularité j’entends, parce qu’il faut voir aussi ce que l’on met derrière le mot Big Bang, quand aujourd’hui on parle du modèle standard du Big Bang, c’est en fait le modèle complet de l’évolution de l’univers, à partir d’une configuration initiale stricto senso encore mal comprise, mais au bout de quelques milliardièmes de seconde, en admettant qu’on puisse mettre le temps zéro à ce fameux Big Bang, on a une bonne physique pour décrire ça. Après tout le reste marche assez bien jusqu’à la description de l’univers d’aujourd’hui et éventuellement l’univers de demain, maintenant y a-t-il vraiment un début absolu de cela, un temps zéro, comme je l’ai dit en fait, le Big Bang en tant que singularité, c’est une extrapolation de la relativité générale et tous les efforts théoriques d’aujourd’hui qui consistent à faire des théories de gravitation quantique c’est pour se débarrasser de cet infini et de cette singularité. Donc en ce sens là, le Big Bang en tant que singularité serait effectivement une limite de nos équations. Mais en revanche, ce qu’on appelle le récit du Big Bang, ce que l’on peut tirer à partir de la formation du boson de Higgs au bout d’un dix milliardième de seconde dans l’histoire cosmique, jusqu’à aujourd’hui, c’est quelque chose qui commence à devenir assez costaud et assez solide, parce qu’étayé expérimentalement par tout un arsenal d’expériences, de mesures et d’observations.

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Explorer un trou noir, par Randall Flagg

Robin : D’accord. Si je comprends bien c’est un peu comme ce que vous disiez sur le trou noir, entre l’horizon de ce que l’on ne voit plus et la singularité.

JPL : Oui, d’une certaine façon.

Nico : Très bien, avant de passer à la citation et dieu sait qu’on a un spécialiste en citation ce soir (rit).

JPL : (rit) Oui j’ai émaillé mon bouquin de beaucoup, beaucoup de citations.

Nico : A chaque chapitre au moins il y en a une, et parfois plus. On va juste parler rapidement du pitch de la semaine prochaine. La semaine prochaine on reçoit Nicolas Grandjean, c’est toujours un plaisir de recevoir Nicolas Grandjean, notre spécialiste de tout ce qui brille et qui tient dans la poche, parce que ce soir on a parlé de choses qui parfois brillent mais ne tiennent pas vraiment dans la poche. Après être venu nous parler des LED blanches (Podcast Science #157), et du dernier prix Nobel de physique (Podcast Science #192), cette semaine, nous parlerons des lasers à semi-conducteurs. Ça sert à lire vos CD-Roms (si quelqu’un utilise encore ça), scanner un document papier (bon ok on va essayer de trouver une application un peu plus récente) ça sert aussi à déclencher automatiquement les toilettes quand vous avez fini, voilà pour des applications récentes. Bref, ces lasers sont devenus maintenant indispensables pour beaucoup d’applications. Nicolas Grandjean va nous raconter leur histoire, leur fonctionnement, et leurs applications (avec, promis, de meilleurs exemples que ceux qu’on vient de donner là !). Venez la semaine prochaine nous écouter !

Du coup on passe à la citation.

JPL : Oui alors juste un mot, avant de dire cette citation, c’est parce que, quand on travaille comme moi et tous mes collègues, sur ces théories des trous noirs, la relativité générale, la physique quantique, la gravité,… On est inondé en permanence de courriers, de courriers, de courriers, de gens passionnés et de gens, ce qu’on appelle des amateurs, une partie sont des ingénieurs à la retraite, une autre partie des gens passionnés par cela, et qui s’imaginent avoir la clé, la solution de tous nos problèmes sur lesquels on bute. Certains d’entre eux nous disent “mais en fait vous ne racontez que des bêtises, en fait vous vous trompez depuis le début, il y a une erreur fondamentale avec la relativité donc forcément les trous noirs n’existent pas, le Big Bang n’existe pas” voilà. Ce qui m’a fait mettre en exergue de mon livre cette citation de Roland Topor que j’adore, c’est :

L’histoire qui va suivre (et donc en fait tout ce que j’ai raconté aujourd’hui à l’antenne) est véridique jusque dans ses moindres détails, à moins qu’une affreuse erreur n’ait tout faussé depuis le début.

Nico : (rit) Ca résume bien tout cela. Surtout que là, c’est vraiment le début où on ne sait pas dire… J’en ai relevé une autre dans les livres, comme on était pas sûr que vous en auriez ramené une, qui est un début de chapitre, je ne sais plus lequel exactement, un des derniers.

Qu’advient-il du trou lorsque le fromage a disparu ?

Bertolt Brecht

Je trouve qu’elle était pas mal aussi sur les trous noirs.

JPL : Oui. (rit)

Nico : Ok, on va s’arrêter là, Merci beaucoup ! On est ravis

JPL : Merci à vous !

Nico : On a eu plein de réponses, je pense que le public était ravi aussi, on a eu quelques dessins dans la chat room, on va vous les montrer juste après, de Puyo et Inti, merci beaucoup. Puyo qui a fait des gifs animés cette semaine, Randall Flagg aussi. Il y a eu beaucoup d’animation !

Vous savez maintenant que l’univers aura probablement une fin dans quelques millions, voir milliards d’années… Mais bon ça vous laisse quand même un peu de temps pour partager le podcast sur tous les réseaux : Soundcloud, Twitter, Facebook, notre site podcastscience.fm, on vous remercie encore d’être venus, pour cette passionnante interview, on se retrouve la semaine prochaine avec Nicolas Grandjean pour parler de lasers, et d’ici là, que servir la science soit votre joie !

Johan et JPL ont des conversations de geeks en douce après le générique sur une nouvelle nova dans la constellation du sagittaire.

 

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