Rocket Science

Dossier réalisé par notre invité Frédéric et diffusé dans les épisode #268 et #269 de Podcast Science.

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Décollage d’une fusée Saturn V pour la mission Apollo 15 (source)

 

Dans la 1er partie de ce dossier, nous allons voir comment aller dans l’espace puis on verra que tout le monde peut facilement concevoir une fusée, d’un point de vue théorique. Dans la seconde partie nous allons voir comment se passe concrètement un lancement. On va parler de la trajectoire de la fusée, du fonctionnement des moteurs et pour finir on essayera de revivre instant par instant le décollage de la reine des fusées, la Saturn V.

Comment aller et rester dans l’espace ?

Où est l’espace ?

Déjà, commençons par rappeler le but du jeu. Une croyance répandue est que le but des fusées est d’aller très haut vers le ciel pour arriver dans l’espace. Une fois dans l’espace il n’y a plus de gravité donc on peut laisser son satellite y léviter.

En fait tout ça est faux.

Premièrement il ne faut pas aller très haut, loin de là. La limite de l’espace est floue. Elle n’est pas facile à définir avec exactitude car l’atmosphère ne s’arrête pas d’un coup mais voit sa densité décroître petit à petit avec l’attitude. La limite de l’espace est définie arbitrairement à 100 km pour les traités internationaux. À cette altitude les effets aérodynamiques peuvent être considérés comme négligeable pour de courtes périodes. En réalité, à part Spoutnik et quelques satellites éphémères, rien n’est placé à moins de 400 km sous peine de retomber sur Terre en quelques mois. La Station Spatiale Internationale se trouve à 400 km et les satellites de télécommunications ou d’observations terrestre sont habituellement placé entre 600 et 800 km d’altitude. On appelle habituellement cette plage d’altitude l’orbite basse.

100 km ce n’est pas si grand pour l’espace. À titre de comparaison, la terre fait 6300 km de rayon. La Lune, elle, est à 384 000 km en moyenne. La distance à l’espace, en proportion, c’est donc seulement à 1.5 % du rayon de la terre et 0.026 % de la distance terre lune.

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Limite de l’espace (en bleu) à l’échelle par rapport à la taille de la terre.

Ensuite, il y a de la gravité dans l’espace. À 100 km d’altitude, la gravité est encore 93 % de la gravité à la surface de la Terre. Si on lance la fusée vers le haut jusqu’à atteindre 100 km ou plus, une fois le carburant épuisé elle va finir par retomber.

Orbite

Donc on peut se demander pourquoi les satellites ne tombent pas ? En fait ils tombent, ils tombent même sans cesse.

Imaginez la situation suivante :

Vous montez à une échelle de 100 km de haut et on va mettre de côté l’atmosphère de la Terre. Vous lancez une balle à l’horizontal. La balle va s’éloigner de vous, mais attirée par la Terre elle va finir par tomber au sol. Si vous lancez la balle plus fort, elle retombe, mais elle a le temps de franchir plus de distance.

Comme la Terre est ronde et qu’elle attire toujours vers son centre, et si on lance la balle assez fort, elle va suivre une ellipse et la balle va revenir au point de lancer, à la vitesse de lancer après avoir fait un tour. Cette trajectoire en ellipse est appelé une orbite. La balle ne va alors jamais toucher le sol : elle va rester dans l’espace.

À une vitesse précise, l’altitude minimale de la trajectoire va être exactement l’altitude du lancer. La trajectoire sera alors un cercle : On appelle cela une orbite circulaire.

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Exemple de trajectoires à différentes vitesses. En rouge une orbite circulaire.

La solution pour rester dans l’espace est donc d’avoir une très grande vitesse horizontale. Cette vitesse est appelé vitesse orbitale. En orbite basse à 200 km d’altitude,  par exemple, il faut aller à environ 7800 m/s, soit 28 000 km/h ! Il faut bien se rendre compte que cette vitesse est vraiment très très grande. Un vaisseau en orbite à 200 km fait le tour de la terre en seulement 88 minutes.

Ce qui se passe quand un cargo entre à 28000 km/h dans l’atmosphère

Pour résumer pour aller et rester dans l’espace, le but n’est pas d’aller uniquement d’aller vers le haut, mais surtout d’aller très vite horizontalement.

Article sympa sur le sujet  : https://what-if.xkcd.com/58/ 

Concevoir une fusée : la théorie

Delta-V

En orbite, la position importe peu mais la vitesse est essentiel. À chaque attitude correspond une vitesse orbitale et modifier sa vitesse va modifier son orbite. Pour aller en orbite ou modifier son orbite la seul chose à faire est d’accélérer, ou autrement dit gagner ou perdre de la vitesse. Pour les manœuvres orbitales on utilise couramment une unité appelée delta-v, soit “différence de vitesse”.

Si une manoeuvre pour passer d’une orbite à une autre nécessite d’accélérer de 300 m/s on dit que la manoeuvre consomme 300 m/s de delta-v. Comme il n’y a pas de frottement, ou presque dans l’espace, garder sa vitesse ne consomme rien, par contre gagner 300 m/s ou perdre 300 m/s demande la même quantité d’énergie. Une fois lancé, un vaisseau spatial peut parcourir des millions de km, sans allumer ses moteurs. L’autonomie  d’un vaisseau n’est donc habituellement pas exprimé en km mais dans sa capacité à modifier sa trajectoire ou son orbite, et donc en delta-v.

La manoeuvre pour atteindre une orbite basse de 200 km d’altitude, depuis la surface nécessite un delta-v d’environ 10 km/s. Cela inclut 7,8 km/s pour atteindre la vitesse orbital, et le reste est utilisé pour monter et compenser quelques pertes dont je parlerais plus tard. Cela signifie que la fusée doit avoir la capacité d’accélérer suffisamment pour passer d’une vitesse de 0 à 10 km/s. Aller en orbite basse terrestre est une des partie les plus coûteuse en delta-v pour voyager dans l’espace.

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Carte de delta-v entre la Terre, la Lune et Mars (source)
Carte de delta-v dans le système solaire (source)
Carte de delta-v dans le système solaire (source)

Une fois les 10 km/s de delta-v “payés”, on peut dépenser du delta-v pour aller à différents endroits. Depuis l’orbite basse, il faut par exemple 4,8 km/s pour aller en orbite lunaire. En payant 3,8 km/s de delta-v, on peut se poser sur Mars, et on ajoute 6,3 km/s pour revenir.

Comment accélérer ?

Maintenant que l’on sait que pour aller en orbite et se balader dans l’espace il faut du delta-v,  ou autrement dit de la capacité à accélérer, il faut trouver comment accélérer.

Dans sa 2ème loi de la mécanique, Newton nous dit que pour accélérer il faut appliquer une force. D’autre part, la 3ème loi de la mécanique  de Newton dit que si on applique une force à un objet, il nous applique en réaction la même force dans la direction opposée. Cela veut dire que si vous poussez un mur en étant sur un skateboard, le mur va exercer une force sur vous et vous allez accélérer. Le mur va aussi accélérer mais la Terre est lourde donc ça ne se verra pas trop. 

Il faut toujours 2 corps pour accélérer . Un piéton ou une voiture va s’appuyer sur le sol qui va le pousser en retour pour avancer ou pour s’arrêter. Un avion à réaction va s’appuyer sur les gaz qu’il pousse derrière lui pour être poussé, en retour, vers l’avant.

Les fusées n’ont pas de chance. Sauf au tout début de son vol, une fusée passe la majorité du temps dans le vide, ou dans une atmosphère très peu dense.

Elle ne peut pas compter sur des objets extérieurs ou même l’air pour s’appuyer et accélérer. Elle doit faire tout le travail avec ce qu’elle contient. C’est un des plus grand problème des fusées : elles doivent amener avec elles de quoi se pousser.

Il n’y a pas vraiment de différence entre une fusée ou vous sur un skateboard. Imaginez que vous voulez avancer et vous n’avez pas le droit de toucher le sol avec vos pieds ou de vous aider d’un mur ou de l’air. Difficile de bouger. Une solution est de prendre quelques briques avec vous sur le skateboard et les lancer derrière vous. Quand vous lancez une brique vous appliquez une force sur la brique et elle accélère. En réaction la brique applique  sur vous la même force et vous accélérez dans la direction opposée. Dès que vous cessez de toucher la brique, l’accélération s’arrête mais s’il n’y a pas d’air ou autres résistances vous conservez la vitesse acquise pendant la courte phase d’accélération. Ensuite vous lancez une 2ème brique, puis une troisième, etc. A chaque lancer vous allez accélérer un petit peu et votre vitesse va augmenter brique après brique. Plus vous avez de brique à lancer au départ et plus vous pourrez gagner de vitesse. De plus si vous lancez les briques plus fort, elles vont partir plus vite. Le fait de lancer une brique plus fort applique une force plus grande et le gain de vitesse sera plus important. Donc pour le même nombre de brique à lancer, plus vous allez lancer vos briques à grande vitesse et plus le delta-v sera élevé.

Une fusée fonctionne pareil, elle contient de la matière à lancer derrière elle et elle essaye de lancer cette matière le plus vite possible.

Les ergols

Envoyer de la matière à grande vitesse derrière soi nécessite de l’énergie. La solution utilisée dans les fusées est de prendre une source d’énergie chimique, via une combustion. Une combustion est une réaction chimique qui met en jeu deux produits : un carburant et un comburant. Dans le moteur d’une voiture, le carburant est l’essence et le comburant est l’oxygène contenu dans l’air injecté dans le moteur. Les fusées embarquent du carburant mais aussi du comburant car l’oxygène de l’air n’est pas utilisable avec la faible densité de l’air en altitude. Dans une fusée le carburant et le comburant sont appelé des ergols. Les ergols peuvent être gazeux, liquides ou solides en fonction des réactifs utilisés ou des choix technologiques. Dans tous les cas la fusée les fait réagir ensembles pour libérer de l’énergie chimique et obtient des gaz de combustions chauds. L’énergie libérée par la réaction chimique est utilisée pour pousser ces gaz le plus vite possible. Les gaz de combustions sont la masse à éjecter que la fusée lance derrière elle pour accélérer. La vitesse de la masse de gaz éjectée dépend  principalement de la densité énergétique des réactifs choisis pour la combustion : plus ça explose fort, plus les gaz seront propulsés vite en dehors de la fusée, lui transmettant ainsi plus de vitesse en retour.

On peut voir ça avec, en exemples, les 2 couples d’ergols les plus utilisés dans les fusées, le dihydrogène liquide ou le kérosène raffiné (RP1), tous les 2 associés au dioxygène liquide.

Flamme du moteur RL-10, utilisant de l’hydrogène liquide
Flamme du moteur RL-10, utilisant de l’hydrogène liquide

 

L’hydrogène liquide brûle avec l’équation suivante :

2 H2 + O2 → 2 H2O

Cette réaction une densité énergétique de 15.7 MJ/kg. Cela signifie que un kilo de réactif aux bonne proportions génère 15.7  MJ d’énergie, et produit un kilo d’eau très chaude sous forme de vapeur. Cela représente assez d’énergie pour faire monter d’environ 3700° un litre d’eau liquide.

Le kérosène lui est un peu plus compliqué, il est composé de plusieurs hydrocarbures comme C10H22. Après réaction avec le dioxygène, il va générer de l’eau et du CO2Cette réaction a une densité énergétique de 10.2 MJ/kg  soit sensiblement moins que le dihydrogène liquide.

Le rendement n’est jamais de 100 %, mais les moteurs d’une fusée essayent de convertir le maximum d’énergie libéré pour accélérer les gaz. Un moteur fusée utilisant de l’hydrogène et de l’oxygène pourra éjecter ses gaz à environ 4 km/s, soit 16 000 km/h, alors que les moteurs utilisant du kérosène atteindront seulement 3.5 km/s environ. Le dihydrogène liquide est un carburant bien plus efficace que le kérosène. C’est même le carburant chimique le plus efficace que l’on connaisse. L’inconvénient du dihydrogène liquide est qu’il doit être maintenu à moins de –253 °C (20,28 K) pour rester liquide. Cela ajoute une complexité importante en terme d’isolation et de remplissage des réservoirs. Au contraire le kérosène peut être stocké pendant de longue période dans les réservoirs de la fusée à température ambiante.

L’équation de Tsiolkovski

On a maintenant, tout ce qu’il faut pour faire avancer la fusée : une source d’énergie extrêmement efficace et de la masse à éjecter pour s’appuyer dessus. Il ne reste plus qu’à construire la fusée. Si on ressort la 2ème loi de Newton elle dit : Force = masse x accélération. Ou dans un sens plus adapté pour nous : Accélération = Force / masse. Une fusée est principalement constitué de moteurs, de réservoirs, d’éléments structurels pour tenir l’ensemble, mais aussi de la charge utile, qui peut être un satellite, une sonde, une cargo ou un vaisseau habité. La force est fourni par l’éjection des gaz à grande vitesse par les moteurs de la fusée. À pleine puissance, ils fournissent une force globalement constante. Vu l’équation, plus la force sera grande et plus l’accélération sera élevée. La masse est celle de la fusée à chaque instant. Au décollage il faut ajouter à la masse de la fusée vide la masse des ergols contenue dans les réservoirs. Plus la fusée est massive et plus l’accélération sera faible pour la même force.

Et là  se trouve un gros problème : la fusée va devoir accélérer son propre carburant. Pour bien comprendre le problème on va reprendre notre skateboard avec un sac de briques à lancer. On va considérer qu’on est dans le vide pour ne pas être gêné par l’air. Si le sac de brique contient une seule brique, lorsqu’on lance celle-ci, la force de réaction doit accélérer uniquement le skateboard et le lanceur. Si le sac contient 2 briques, la première brique lancée doit accélérer le skateboard, le lanceur mais aussi la 2ème brique encore dans le sac. La masse à accélérer avec la même force est plus importante donc cette brique est un peu moins efficace : elle donnera moins de delta-v que la seconde brique. Si le sac contient 100 briques, la première brique lancée devra accélérer les 99 briques qu’il reste dans le sac, produisant un delta-v très faible. On sent bien que si on veut  doubler le delta-v que l’on peut atteindre en skateboard en lançant des briques, il ne va pas suffire de doubler le nombre de brique. Augmenter trop la quantité de carburant risque de devenir assez rapidement inefficace.

En 1897 Konstantin Tsiolkovsky a publié une équation qui permet de calculer simplement le delta-v généré par n’importe quelle fusée, ou skateboard lanceur de brique. Cette équation fondamentale en astronautique est appelée l’équation de Tsiolkovski ou rocket équation.

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Sans rentrer dans les détails, cette équation dit que le gain de vitesse de la fusée ne dépend que de 2 choses : la vitesse d’éjection des gazs et le pourcentage de la masse de carburant par rapport à la masse totale de la fusée. On peut déduire de l’équation que le delta-v est directement proportionnel à la vitesse d’éjection de la masse. D’où l’importance de prendre des ergols très énergétiques, ou de lancer les briques très fort. La masse totale de la fusée n’a aucune influence sur son delta-v, ce qui compte c’est uniquement le pourcentage de la masse de la fusée prise par les ergols. Mais contrairement à la vitesse d’éjection des gaz, le delta-v n’est pas proportionnel au pourcentage de masse. Augmenter ce pourcentage n’améliore que très lentement le delta-v : il faut ajouter beaucoup de carburant sans alourdir le reste de la fusée pour augmenter un peu le delta-v.

Pour se rendre compte de l’inefficacité de l’ajout du carburant supplémentaire pour une fusée, on va appliquer l’équation de Tsiolkovski à notre skateboard :

Imaginons que le skateboard + le lanceur fasse 70 kg : c’est la masse à vide. On commence par prendre un sac de 50kg de briques : c’est la masse des ergols. Le lanceur est capable de lancer des briques à 30 km/h : c’est l’équivalent de la vitesse d’éjection des gaz pour notre fusée.

La masse totale du skateboard chargé est de 120 kg donc les ergols représentent 41 % de la masse totale. L’équation de Tsiolkovski nous dit que cela permet d’avoir un delta-v égale à 53 % de la vitesse d’éjection de la masse.

  • Lancer les 50 kg de brique à 30 km/h permettra donc d’atteindre la vitesse de 16 km/h.
  • Avec 100 kg de brique on atteint 26 km/h, soit 10 km/h de plus.
  • Avec 150 kg on atteint 34 km/h, soit encore 8 km/h de plus.

On voit que chaque paquet de 50 kg de brique ajouté est de moins en moins efficace car les briques ajoutées doivent aussi être accélérées. Se propulser de cette façon est tellement inefficace que même si on lançait la masse de la Terre derrière le skateboard, on attendrait seulement 1 vingtième de la vitesse nécessaire pour arriver en orbite.

Un petit outil en ligne très utile pour appliquer l’équation de Tsiolkovsky : http://www.quantumg.net/rocketeq.html

Application de l’équation : fusées parfaites

Les fusées lancent leur gaz de combustion bien plus vite que 30 km/h, mais elles aussi doivent accélérer leur carburant. Une fusée avec une masse à vide de 5 tonnes plus 5 tonnes d’ergols, et une vitesse d’éjection de ses gaz de 4 km/s peut espérer un delta-v de 2.7 km/s soit moins d’un tiers de ce qu’il faut pour atteindre l’orbite. Au final l’équation de Tsiolkovski nous dit que pour atteindre les 10 km/s de delta-v nécessaire à une mise en orbite avec une vitesse d’éjection des gaz de 4 km/s, il faut un rapport de masse de 12,5. Autrement dit peu importe la taille de la fusée, si notre moteur éjecte les gaz à 4 km/s,  il faut que les ergols représentent 92% de la masse de la fusée.

Malheureusement ce n’est pas si simple d’ajouter du carburant jusqu’à atteindre le bon ratio. Le but d’une fusée est de placer une charge utile en orbite, donc la masse à vide, est au minimum la masse de cette charge utile. Si on imagine un satellite de 5 tonnes, avec une fusée parfaite dont les moteurs, réservoirs et instruments n’aurait pas de masse, la fusée devra emporter au moins 60 tonnes de carburant. Mais les fusées ne sont pas parfaites. Si en plus du satellite de 5 tonnes on ajoute 5 tonnes pour les moteurs et les réservoirs : on passe à une fusée de masse totale de 130 tonnes. En réalité on ne sait même pas fabriquer des fusées assez légères pour avoir 92 % de leur masse en carburant avec les technologies actuelles. Les réservoirs contenant ces tonnes de liquide sont gigantesque et lourds.

Par exemple le réservoir externe orange de la navette spatiale américaine qui est un simple réservoir, sans moteur ou charge utile, pèse 25 tonnes à vide à lui tout seul.

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Réservoir externe de la Navette Spatiale Américaine

 

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Assemblage d’un réservoir de Navette Spatiale

Les moteurs nécessaires pour faire décoller de telles masses sont gros et lourds. Le moteur Vulcain de la fusée Ariane 5 pèse par exemple 2 tonnes. Il faut aussi ajouter à ça toute la structure, qui tient l’ensemble, les câbles, les système électrique, etc … On ne sait pas techniquement réaliser des fusées dont 92% de la masse est du carburant avec des moteurs atteignant les 4 km/s. On ne sait pas atteindre de cette manière les 10 km/s de delta-v nécessaire à une mise en orbite.

Il se trouve qu’on arrive bien à aller en orbite.  Il y a une astuce pour augmenter le delta-v sans meilleurs moteurs ou meilleurs matériaux.

Séparation en étage

Le problème pour atteindre des delta-v élevés est que, à la fin de la mise en orbite,  alors la fusée est presque vide, elle doit tout de même accélérer de grandes masses, constitué de réservoirs vides et de moteurs puissants et lourds, dimensionnés pour pousser la fusée alors que celle-ci était pleine. Accélérer cette masse est un énorme gaspillage d’énergie et donc de carburant.

La solution est de séparer l’accélération en plusieurs petites accélérations  au lieu d’une grande. 

S’il n’est pas possible de faire une fusée qui sait aller en orbite d’un coup, on sait faire une fusée qui fait la moitié du chemin, soit 5 km/s. Si on sait faire une fusée qui fait la moitié du chemin, on peut faire une 2ème fusée, plus grosse, qui fait l’autre moitié du chemin et qui a comme charge utile la 1ère fusée. 

C’est ce qu’on appelle les fusées à étage.

La fusée du bas décolle, mais quand il n’y a plus de carburant dans les réservoirs de ce 1er étage, la fusée se coupe en deux. Les moteurs du 2ème étage sont alors allumés. Le deuxième étage pèse moins lourd que la fusée totale donc sa structure est plus légère. De plus les moteurs du 2ème étage sont aussi moins lourds car ils ont besoin d’être moins puissants,  ce qui rend l’ensemble encore plus léger et efficace. Donc chaque kilogramme de carburant du 2ème étage sera beaucoup plus rentable en terme d’accélération, qu’un kilogramme de carburant utilisé pour le premier étage. Si on sépare en 2 étages qui doivent fournir chacun 5 km/s de delta-v, le ratio de masse de chaque étage doit être de seulement 73 %, ce qui est bien plus accessible que les 92 %.

On peut ainsi empiler plus d’étage. Les étages inférieurs doivent être énorme car leur charge utile est très lourde (vu qu’il s’agit de la somme de la masse de tous les étages supérieur) mais le ratio de masse à atteindre lors de la construction de la fusée est alors raisonnable. Les fusées orbitales ont au moins 2 étages mais beaucoup ont 3 étages ou même 4 étages. Les satellites ont aussi souvent un moteur et des ergols et peuvent être considérés comme un étage supplémentaire. Chaque étage supplémentaire augmente la masse, la complexité et le coût de la fusée : il faut développer des moteurs  différents pour chaque étage, des systèmes de contrôle, des systèmes de séparation, etc. Chaque séparation est une opération risquée et il faut faire un  compromis entre le nombre d’étage et la simplicité de la fusée.

Séparation d’un booster de navette spaciale : https://youtu.be/cLl7oqdm_B8?t=2m14s

Pour finir, on peut appliquer l’équation Tsiolkovski sur un exemple réel, le lanceur Falcon 9 v1.1 de SpaceX qui est une des fusées les plus récentes :

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Lancement d’une fusée Falcon 9

Ce lanceur est simple, il n’a que 2 étages et il est capable d’emmener environ 13 t en orbite basse. L’étage supérieur pèse seulement 5 t, et doit porter les 13 t de charge utile. Cette étage content 74 t d’ergol. Le carburant représente donc 80 % de la masse de l’étage. Ses moteurs utilisent du kérosène et la vitesse d’éjection des gaz est de 3.3 km/s. L’équation de Tsiolkovski donne un résultat de 5.4 km/s de delta-v pour cet étage.

L’étage inférieur pèse 28 tonnes qui contient 411 tonnes d’ergols. Il doit porter les 91 tonnes de l’étage supérieur plein, qui comptent dans la masse à vide du 1er étage. Le carburant représente donc 77 % du poids de l’étage ce qui lui donne un delta-v de 4.9 km/s.

Les 2 étages mis bout à bout donnent un delta-v total de 10.4 km/s ce qui est dans l’ordre de grandeur des 10 km/s nécessaire à mettre un satellite en orbite basse.

La Falcon 9 pèse donc 530 tonnes, dont 484 tonnes d’ergols, soit 91 % de la masse totale. Sans la séparation en étage, avec les même moteurs, la fusée n’aurait fournis que 8.1 km/s de delta-v et n’aurait pas atteint l’orbite. En tous cas les 13 tonnes de charge utile ne représente au final que 2,5 % de la masse de la fusée, qui elle mesure environ 70 m de haut.

Décollage d’une Falcon 9:  https://youtu.be/csVpa25iqH0?t=15m48s  . Sur cette vidéo on voit bien la séparation à 2m40 de vol.

Au final, pour avoir des delta-v élevés, il est extrêmement important que tous les éléments de la fusée soit le plus léger possible pour réduire la masse à vide, et avoir des moteurs très performants. Sans cela la fusée devient très rapidement gigantesque.

La première fusée orbitale est la fusée russe R-7 qui a réussi à mettre Spoutnik en orbite en 1957. La R-7 pesait 270 t soit 2 fois moins lourd que la Falcon 9, mais elle ne pouvait mettre en orbite que 500 kg. Spoutnik lui ne pesait que 84 kg soit 0.03% de la masse de la fusée. La R-7 utilisait aussi du kérosène mais la différence se fait sur l’efficacité des moteurs et la légèreté de la fusée vide.

Partie théorique : conclusion

Dans cette 1er partie on a vu que d’un point de vue théorique, aller dans l’espace est assez simple. Il suffit de répartir le delta-v en plusieurs étages et d’utiliser la “rocket equation” pour dimensionner chaque étage en partant du haut.

Le problème est que la physique nous dit que les fusées chimiques pour aller en orbite seront forcément très lourde, donc chères. Même pour mettre en orbite des petites masses, il faut d’énormes fusées. Un énorme véhicule,à usage unique pour le moment, coûte cher. Les tonnes de carburants coûtent cher aussi.

Dans la 2ème partie on va voir que leur taille n’est pas le seul défis auquel doivent faire face les fusées. Si on regarde de plus près ces gigantesques machines, on se rend compte que leur lancement demande beaucoup plus de subtilités qui n’y parait.

Quelques sources et pour aller plus loin :

Quote

Citation de Konstantin Tsiolkovsky :

« Tout d’abord , inévitablement , l’idée , le fantasme , le conte de fées . Ensuite , le calcul scientifique. En fin de compte , l’accomplissement couronne le rêve. »

Tsiolkovsky est né en 1857. Il a publié sa célèbre équation en 1897 et est mort en 1935, sans avoir jamais construit de fusée et apparemment il ne pensait pas que ses idées puissent un jour être réalisés. Il avait pourtant déjà tout inventé : les fusées à plusieurs étages, les ergols liquides, les stations spatiale, les sas, les systèmes de support vie. Il s’est arrêté à la 2ème partie de son rêve.

Concevoir une fusée : la pratique

Trajectoire

Dans la 1er partie, on a vu qu’il est très important d’être le plus léger possible. Si les moteurs puissants sont lourds pourquoi ne pas mettre des moteurs plus petits et prendre son temps pour accélérer ? On a vu que lors de la mise en orbite le but était d’accélérer bien plus horizontalement que verticalement. Du coup on peut se demander pourquoi on envoie les fusées  vers le haut et pas en diagonale.

Pour le dimensionnement des moteurs, il ne suffit pas de s’arracher à la gravité mais  il y a une réelle urgence à avoir les moteurs les plus puissants possible pour que la mise en orbite soit rapide. À chaque seconde que la fusée passe à accélérer vers le haut, la gravité accélère la fusée vers le bas ce qui consomme inutilement du delta-V. Monter pendant 1 minute fait perdre presque 600 m/s de delta-v soit presque 10% de l’objectif. Ces pertes de delta-v sont appelées les pertes gravitationnelles. Plus une fusée à des moteurs puissants et plus elle pourra finir sa mise en orbite rapidement et ainsi réduire les pertes gravitationnelles. Dès que la vitesse horizontale augmente, les pertes gravitationnelles diminuent pour devenir nulles quand la fusée a atteint la vitesse orbitale. Mais il y a d’autres  contraintes :

  • Un moteur trop gros sera lourd et cette masse va réduire le delta-v de la fusée.
  • Il ne faut pas non plus faire subir trop de “g” à la fusée. La structure pourrait ne pas supporter une accélération trop importante. À 4g par exemple, les étages supérieurs sont comme 4 fois plus lourds. Une fusée Falcon 9 a été détruite en juillet 2015 car une pièce défectueuse a lâché au moment où la fusée était à son maximum d’accélération. La charge utile aussi peut être fragile, notamment quand elle est humaine.
  • De plus, au décollage, l’air est dense. Si on va très vite en étant trop bas, on est très fortement freiné par l’air. En restant bas une fusée utilise énormément d’énergie à compenser la résistance de l’air. C’est pour minimiser cette perte de delta-v que les fusées commencent par monter : pour aller au plus vite à une altitude où l’air est moins dense.
  • La résistance à l’air, en plus de faire perdre du delta-v, peut mettre en péril la fusée. En allant vite, l’air applique une forte pression appelée pression dynamique. C’est la pression qu’on sent quand on passe la main en dehors d’une voiture. Cette pression augmente avec la vitesse mais décroît avec la baisse de la densité de l’air.  Avant que la densité de l’air ne baisse trop, la fusée passe par un maximum de pression. Ce moment est appelé Max Q est c’est considéré comme le moment le plus dangereux du vol. Pour la Navette Spatiale Américaine, Max Q survient environ 40 s après le décollage, à 11 km d’altitude et à une vitesse d’environ 1000 km/h.

Au final le dimensionnement des moteurs est le compromis entre les pertes atmosphériques et les pertes dues à la gravité, en prenant en compte les contraintes de poids des moteurs et de la structure. Cet équilibre explique la trajectoire d’une fusée. Une fusée part vers le haut pour chercher une atmosphère moins dense mais très rapidement elle va s’incliner. La fusée va lentement continuer à s’incliner jusqu’à arriver, en quelques dizaines de secondes, à une poussée presque horizontale. Une mise en orbite dure environ 10 minutes.

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Profil de montée d’une fusée Delta II, mis en évidence grâce à une pose longue.

Le moteur-fusée

Le moteur-fusée est le composant qui a la lourde responsabilité de convertir les ergols en poussée. Pour cela il doit accélérer les gaz de combustion le plus vite possible en ayant le meilleur rendement. Le moteur va jouer sur le terme “vitesse d’éjection de la masse” de l’équation de Tsiolkovski, qui est proportionnel au delta-v. Contrairement à l’ajout de carburant qui s’avère inefficace, un gain de 10 % sur le rendement du moteur induit directement un gain de 10% sur le delta-v. Les fusées peuvent être très lourdes, plusieurs centaines ou milliers de tonnes. La plupart de cette masse est constitué par les ergols, et tous ces ergols doivent être brûlés en seulement quelques minutes. Donc si on résume, il faut des moteurs très puissants pour soulever la fusée, capable de brûler très rapidement des tonnes d’ergols avec un bon rendement. Il faut aussi qu’ils soient le plus léger possible.

Le principe général est simple : faire venir les ergols des réservoirs dans le moteur, les faire brûler pour libérer leur énergie puis utiliser cette énergie pour fournir une force. Dans la pratique c’est un peu plus compliqué. Je vais expliquer le fonctionnement général d’un moteur fusée, mais pour les chiffres, j’illustrerai avec le moteur RS-25, qui est le plus performant des moteurs-fusées mais qui est plus complexe. Le RS-25 est le moteur principal de la navette spatiale américaine. La navette utilisait 3 moteurs RS-25 et le futur lanceur spatial américain SLS en utilisera 4.

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RS-25 au banc de test.

 

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Schéma de fonctionnement d’un moteur-fusée classique.

Chambre de combustion

Le cœur du moteur est la chambre de combustion. C’est une sorte de cocotte-minute avec un trou en bas et dans laquelle les ergols sont injectés par le haut et brûlés. L’efficacité d’un moteur augmente avec la température et la pression des gaz dans la chambre de combustion. On essaye donc d’avoir de très hautes pressions et de très hautes températures. La pression varie de 10 bars pour les moteurs peu puissants à plus de 200 bars pour les moteurs les plus puissants comme le RS-25. La température des gaz de la chambre de combustion dépend essentiellement des ergols utilisés, et peut atteindre 3300°C, Le point d’ébullition du fer  est environ 2800°C, donc à 3300°C le fer est vaporisé, et fondu depuis longtemps. On sait sans trop de problème résister à des grosses pressions, certaines bouteilles de plongés atteignent les 300 bars par exemple,  mais la température extrême est difficile à gérer et elle peut détruire la chambre de combustion très rapidement.

Il y a pas mal de technique pour tenter de résister à cette température :

  • On peut utiliser des matériaux comme le tungstène ou le graphique qui résistent très bien à la chaleur. Ils deviennent blancs et rayonnent la chaleur pour se refroidir. Ça peut être utilisé pour des petits moteurs uniquement.
  • La technique la plus utilisé est de se servir du carburant comme fluide de refroidissement. Les chambres de combustion des premiers moteurs-fuséess avaient une double paroi. On fait passer le carburant froid dans l’espace entre les 2 parois pour refroidir la paroi intérieure. Mais au fur et à mesure que les moteurs devenait plus puissant et efficace, la température et la pression augmentait et il a fallu améliorer la solidité et la résistance à la température. Dans les années 60, les parois des chambres de combustions était constitué de centaines de tubes de carburant soudées entre eux, un peu comme les palissade en bambous. Dans les moteurs les plus récent, comme le RS-25 ou les moteurs de SpaceX, la chambre de combustion est un seul bloc de cuivre dans lequel des milliers de micro sillons sont usinés. Le liquide de refroidissement est injecté dans ces sillons pour refroidir la chambre.
  • Une autre solution est d’injecter une fine pellicule de carburant sur les bords de la chambre. Ce carburant sans comburant va mal brûler et créer un film de gaz plus froid. Cette technique gaspille un peu de carburant mais est régulièrement utilisé en complément avec la précédente pour mieux protéger les parois.
  • Une dernière solution est de tapisser la chambre de combustion d’un revêtement ablatif. Ce revêtement va brûler et en brûlant il va générer une couche de gaz pas trop chaud qui isolera la paroi du gaz très chaud. Cette technique est utilisée pour les booster à poudre, ou le carburant étant solide, il ne peut servir de liquide de refroidissement.

 

Chambre de combustion d’un moteur Merlin 1C de SpaceX On voit les sillons pour faire passer le carburant.
Chambre de combustion d’un moteur Merlin 1C de SpaceX On voit les sillons pour faire passer le carburant.

 

Structure de parois de refroidissement.
Structure de parois de refroidissement.

 

Dans la chambre de combustion les ergols arrivent via les injecteurs, ou la plaque d’injection. En effet, il s’agit d’une plaque percée de centaines de petits trous. C’est un peu comme un pommeau de douche, mais la grande différence est que les trous sont en alternance une arrivée de carburant et une arrivé de comburant. Je vous laisse imaginer la tuyauterie derrière. Ce système d’injection complexe est là pour créer la réaction la plus stable possible. Si les 2 réactifs sont mal mélangés il peut y avoir des instabilités dans la combustion. Et toute instabilité de la combustion peut détruire le moteur :

  • Par exemple, les gaz pourraient se mettre à vibrer avec une grande intensité et détruire les composants fragiles autour du moteur.
  • La combustion pourrait se transformer en une détonation ce qui provoque une onde de choc qui peut détruire la chambre de combustion
  • Et puis les instabilités des gaz peuvent perturber le fragile équilibre thermique au niveau de la paroi de la chambre et percer un trou, ce qui conduira à la destruction du moteur.

C’est donc une cocotte-minute assez complexe !

Système d’injection du RS-25
Système d’injection du RS-25

 

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Système d’injection d’un moteur F1 (Saturn V). On remarque bien la paroi de la chambre faite de tubes soudés entre eux.

Tuyère

Le bas de la chambre de combustion n’est pas fermé, c’est par là que les gaz s’échappent. Ils s’échappent en traversant la tuyère.

Une tuyère a pour but de transformer des gaz chauds sous haute pression et immobiles, en gaz moins chauds, sous basse pression mais allant très vite. En gros une tuyère convertit l’énergie thermique et élastique des gaz en énergie cinétique. On se rappelle que c’est accélérer les gaz qui, par réaction, pousse la fusée.

Les tuyères de moteur-fusée ont 2 parties. La première partie est appelée le convergent, il s’agit d’un cône coupé et ouvert dont la sortie est plus petite que l’entrée. La pression va pousser les gaz dans ce cône et la mécanique des fluides nous dit que si le diamètre d’un tuyau diminue, la vitesse du fluide augmente et la pression diminue. C’est ce qu’il se passe dans le convergent. Il se trouve que les gaz ne peuvent pas dépasser la vitesse du son avec une tuyère convergente. En vitesse supersonique certaines lois de la mécanique des fluides s’inversent : il faut augmenter le diamètre du tuyau pour augmenter la vitesse et diminuer la pression. Un autre cône dans l’autre sens, appelé divergent, est accolé au convergent. Ce cône a la sortie plus large que l’entrée. Une fois passé le col à la vitesse du son, les gaz vont continuer à accélérer en étant décompressé et refroidis.

C’est le divergent que l’on voit bien sur les photos de moteurs-fuséess, mais la tuyère complète avec le convergent ressemble plutôt à un sablier.

Dans l’atmosphère, l’optimal est quand les gaz de sortie ont la même pression que la pression atmosphérique, une basse température et une vitesse très élevée. La détente des gaz est d’autant plus poussée que la tuyère est longue mais attention car il est possible de trop détendre le gaz par rapport à la pression atmosphérique : dans ce cas la dépression aspire la fusée vers le bas et il y a une perte de rendement. Un problème est que la pression atmosphérique varie avec la progression du vol. Les tuyères des lanceurs sont donc souvent trop longues pour la pression au sol, elles détendent trop le gaz qui se retrouve alors en dessous la pression atmosphérique. On peut le remarquer facilement sur toutes les images de moteurs-fusées allumés au sol : la flamme converge vers le centre parce que sa pression est plus faible que la pression atmosphérique. Ce n’est pas du tout intuitif : on a un gaz très chaud, et très rapide mais pourtant la tuyère a tellement bien fait son boulot que la flamme se fait compresser par l’air ambiant ! Par contre dès que la fusée prend de l’altitude la pression atmosphérique diminue et la longueur de la tuyère devient trop faible. On le remarque aussi facilement, sur toutes les photos ou vidéos de fusées à haute altitude : la pression de la flamme est supérieure à la pression atmosphérique et celle-ci se dilate très fortement en sortie de tuyère, on a alors une énorme flamme. Dans le vide, comme la pression atmosphérique est quasiment nulle, on peut détendre les gaz bien plus que si l’on se trouve au sol. Les moteurs des étages supérieurs ont donc des tuyères bien plus grandes. La version optimisée pour le vide d’un moteur-fusée a toujours une meilleure efficacité que la version sol. Pour un même moteur il peut y avoir des grosses variations d’efficacité en fonction de l’altitude. Par exemple  le RS-25 a une vitesse d’éjection des gaz de 4.4 km/s dans le vide et seulement de 3.5 km/s au sol.

Cette variation d’efficacité de la tuyère avec l’altitude est aussi une des raisons qui fait qu’il est plus intéressant d’avoir plusieurs étages. Cela permet d’avoir des étages supérieurs utilisant des tuyères optimisées pour le vide.

Exemple du 1er étage de Saturn V en sous-expansion : la tuyère ne détend pas assez les gaz qui se dilatent à la sortie de la la tuyère.
Exemple du 1er étage de Saturn V en sous-expansion : la tuyère ne détend pas assez les gaz qui se dilatent à la sortie de la la tuyère.
Exemple de moteur en sur-expansion
Exemple de moteur en sur-expansion. Le moteur à trop dilaté les gaz qui voient leur pression plus faible que la pression atmosphérique. L’atmosphère compresse les gaz à nouveau ce qui les chauffe déclenche une nouvelle combustion du carburant non brûlé (shock diamond), ce qui dilate, mais trop vite, donc de nouveau sur expansion, puis compression, etc.

La photo du RS-25 au début du chapitre est un bon exemple. On voit une forte sur-expansion et un beau shock diamond. La vidéo de la Falcon 9 aussi. De manière général, presque toutes les fusées décollent en sur- expansion et arrêtent leur 1er étage en forte sous-expansion.

Pressurisation

On a vu tout ce qui est nécessaire pour avoir de la poussé mais notre moteur a encore un petit problème. On a dit que les ergols sont injectés dans la chambre de combustion, qui est à haute pression, entre 10 et 250 bars. Mais comment injecter des liquides dans une chambre à haute pression ? Les fluides se déplacent des hautes pressions vers les basses pressions donc il faut forcément que la pression d’injection soit plus élevé que la pression dans la chambre de combustion, sinon les gaz de combustion vont remonter dans les réservoirs, ou du moins bloquer l’injection. Donc, comment injecter les ergols sous pression ?

Pour les petits moteurs peu puissants, avec une pression de chambre de 10 bars, le plus simple est de pressuriser les réservoirs d’ergols à une pression légèrement supérieur à la celle de la chambre, 15 bars par exemple. Cette solution est très simple, et ça rend les moteurs-fusées légers et faciles à concevoir. Mais dès que la pression de la chambre devient trop importante, des réservoirs capables de contenir plusieurs dizaines ou centaines de bars de pression auraient des parois tellement épaisses qu’ils seraient bien trop lourd. Il faut une autre solution. C’est là qu’on introduit les turbopompes, la partie des moteurs-fusées la plus chère et difficile à mettre au point.

Pour résumer, on utilise des pompes pour mettre sous pression les ergols juste avant l’injection, comme ça seuls quelques tuyaux doivent résister aux hautes pressions. Ce qui rend complexe ces pompes c’est qu’elles doivent pomper des volumes de liquides énormes et fonctionner à des températures très basses tout en restant légères, compactes et avec un très bon rendement. Un moteur RS-25 doit pomper 1300 litres d’ergols par seconde. Il y a toujours au moins 2 turbopompes pour un moteur fusée : une pour le carburant, une pour le comburant, mais pour atteindre des pressions élevés, il faut parfois mettre plusieurs turbopompes bout à bouts. Ces pompes tournent à très grande vitesse. Dans le cas du RS-25, la chambre de combustion fonctionne à une pression de  205 bars. La turbopompe à hydrogène tourne à 35000 tours par minutes  (2 fois plus que le moteur d’une formule 1) pour mettre le liquide à une pression de 450 bars. L’oxygène étant bien plus dense, la turbopompe à oxygène liquide ne tourne qu’à 28000 tours par minute mais a le boulot désagréable de devoir mettre sous pression de l’oxygène liquide. L’oxygène liquide a tendance à oxyder tout ce qui rentre en contact, et enflammer tout ce qui s’oxyde au moindre échauffement. Cette pompe porte l’oxygène liquide à 300 bars.

Le problème c’est qu’il faut alimenter ces pompes. Il n’est pas possible d’utiliser des batteries, c’est trop lourd. Les pompes d’un RS-25 consomment 70 MW, soit l’équivalent de 1300 moteurs de Peugeot 206, ce qui viderait les batteries de la plus grosse voiture électrique en 6 secondes. Dans la plupart des cas, pour alimenter leurs pompes, le moteur prélève une partie des ergols qu’il fait brûler dans une petite chambre appelée le générateur de gaz. Les gaz de combustion sont utilisés dans une ou plusieurs turbines qui permettent de faire tourner les compresseurs des turbopompes. Ces gaz de combustions sont dans la plupart des cas perdu.

Les turbopompes sont réputés être extrêmement difficile à concevoir et constituent plus de la moitié du prix d’un moteur fusée.

Turbopompes d’un RS-25 sous quelques tuyaux
Turbopompes d’un RS-25 sous quelques tuyaux

Ce qui se passe quand une turbopompe foire

Bilan

Les moteurs fusée sont souvent très puissant pour leur poids et leur encombrement. Le plus puissant moteur d’avion, qui propulse le Boing 777 fournis poussée qui permettrait de soulever 52 voitures. Ce moteur pèse un peu plus de 8 tonnes. Le RS-32 ne pèse que 3 tonnes et pourrait soulever une pile de 230 voitures. Un RS-25 coûte 50 millions de dollars pièce soit le prix d’un A320.

 

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Les 3 RS-25 au décollage de la Navette Spatiale Américaine

Test d’un RS-25 : https://www.youtube.com/watch?v=GAIC4jnKl8s

Décollage de la navette spatiale avec 3 RS-25 : https://youtu.be/OnoNITE-CLc?t=1m19s (La vidéo est très impressionnante. On voit bien le choc de l’allumage, l’under-expansion, le mach cône, l’orientation des moteurs sur vérins (encore mieux à 0:56 s ) , etc. Plus loin on voit l’over-expansion sur les boosters)

Description complète du RS-25 : http://pages.erau.edu/~ericksol/courses/sp210/ssme.html

Saturn V

Contexte

Dans les années 50, les États-Unis et l’URSS sont en pleine guerre froide. Les fusées sont essentiellement des missiles nucléaires balistiques et les russes sont en avance. En 1957 l’URSS met en orbite le 1er satellite artificiel : Spoutnik 1. Il pesait 84 kg et a été mis en orbite avec le missile soviétique R-7, une fusée à 2 étages de 280 tonnes. Les américains répliquent 5 mois plus tard, mais avec un satellite beaucoup plus modeste, Explorer 1, qui pesait seulement 13 kg. Explorer 1 a aussi été lancé depuis un missile balistique, modifié, de 30 tonnes et 4 étages. En 1961 l’URSS envoie le 1er homme dans l’espace, Youri Gagarine. De même les américains répliquent quelques mois plus tard avec encore une performance modeste : seulement 3 minutes d’apesanteur contre une orbite entière de 1h30 pour les russes. Les américains sont globalement choqués par leur infériorité.

John Kennedy, récemment élu cherche alors un objectif ambitieux pour battre les soviétiques et montrer la supériorité scientifique, industrielle et idéologique américaine. Il est décidé d’envoyer des hommes sur la Lune avant la fin de la décennie. Il confirme cette décision dans un célèbre discours en 1962.

Discours de Kennedy : https://youtu.be/ouRbkBAOGEw?t=8m39s 

1. we_choose_to_go_to_the_moon     

« We choose to go to the Moon. We choose to go to the Moon in this decade and do the other things, not because they are easy, but because they are hard, because that goal will serve to organize and measure the best of our energies and skills, because that challenge is one that we are willing to accept, one we are unwilling to postpone, and one which we intend to win, and the others, too. » John Fitzgerald Kennedy

« Nous avons choisi d’aller sur la Lune. Nous avons choisi d’aller sur la Lune au cours de cette décennie et d’accomplir d’autres choses encore, non pas parce que c’est facile, mais justement parce que c’est difficile. Parce que cet objectif servira à organiser et à offrir le meilleur de notre énergie et de notre savoir-faire, parce que c’est le défi que nous sommes prêt à relever, celui que nous refusons de remettre à plus tard, celui que nous avons la ferme intention de remporter, tout comme les autres. »

Programme Apollo

Le programme Apollo est lancé. La Nasa, créé en réaction à Spoutnik 1,  va voir son budget exploser pour passer de 4 milliard de dollars en 1960 à 44 milliard en 1966. Elle va employer jusqu’à 400 000 personnes. Le but est d’aller sur la lune. Comme on l’a vu, pour aller dans l’espace et y naviguer il faut du delta-v.

On a donc besoin de :

  • 10 km/s pour aller en orbite
  • 6 km/s pour aller se poser sur la lune
  • 3 km/s pour revenir

Pour revenir, il n’est pas nécessaire de se remettre en orbite autour de la terre ou d’annuler les 10 km/s de delta-v. Il suffit de rentrer dans l’atmosphère terrestre et de l’utiliser pour freiner. Le retour est donc très économe. La somme fait tout de même 19 km/s de delta-v.

Pour cela une mission Apollo est découpée en 2 parties : la fusée et le train lunaire, qui est la charge utile de la fusée. Le train lunaire est une ensemble de vaisseaux habités qui font l’aller-retour vers la lune et qui peuvent être considérés comme une petite fusée à 3 étage. Ces vaisseaux ne doivent pas être déposés en orbite basse terrestre, mais mis sur une trajectoire qui passe près de la lune et qui demande depuis la surface de la terre, environ 13 km/s de delta-v.

Donc il faut une fusée géante pour fournir 13 km/s de delta-v à une charge utile de 47 tonnes. Cette fusée, la plus puissante jamais construite, s’appelle la Saturn V. Elle possède 3 étages et pèse 3000 tonnes au décollage (soit environ 40 Airbus A320 au décollage). Elle fait 110 m de haut pour 10 mètres de diamètre à sa base.

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Saturn V et sa charge utile
Saturn V et sa charge utile

 

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Apollo 15

Détail du delta-v d’un mission Appolo :

  • Saturn V
    • 1er étage 1 : + 2680 m/s
    • 2ème étage 2 : + 4160 m/s
    • 3ème étage – 1er allumage : +  980 m/s
    • 3ème étage – 2ème allumage : + 3000 m/s
  • Module de commande
    • 2800 km/s de delta-v
  • LEM
    • descente 2 470 m/s de delta-v
    • montée 2 220 m/s de delta-v

Liftoff

Je vais détailler le décollage et le vol d’une fusée Saturn V.  Gardez en mémoire que chaque mécanisme n’est pas gratuit : ça augmente  la masse à vide, et donc réduit le delta-v !

Profil d'accélération de la fusée Saturn V : On remarque les baisses d'accélération lié aux séparations d’étages et au arrêt de moteurs
Profil d’accélération de la fusée Saturn V : On remarque les baisses d’accélération lié aux séparations d’étages et au arrêt de moteurs.
  • t – 9 s : La séquence d’allumage commence. Les 5 moteurs F-1 du 1er étage de la fusée démarre à tour de rôle pour réduire la charge sur la structure. Ces moteurs consomment du kérosène et de l’oxygène liquide.
  • t + 0 s : La fusée est maintenue au sol. Si la poussée de tous les moteurs est bonne, la fusée est relâchée. Sinon, les moteurs sont arrêtés et le décollage annulé.
  • t + 12 s : La fusée s’est inclinée de 1° en orientant la tuyère de ses moteurs. Le but est d’éviter de retomber sur le pas de tir en cas de problème. Les 4 moteurs extérieurs sont montés sur vérins et peuvent pivoter de 6° sur 2 axes. Cela permet de contrôler la trajectoire de la fusée.
  • La poussée des moteurs du 1er étage ne permet de porter que 3400 tonnes, soit pas beaucoup plus que les 3000 tonnes de la fusée. En conséquence, la Saturn V s’élève très lentement dans les airs.
  • Les moteurs brûlent 13 tonnes d’ergols par seconde. Pour les réservoirs c’est un peu comme un piston qui descend. Si on ne fait rien, la dépression causée par la descente du niveau des ergols empêche les turbopompes des moteurs d’aspirer efficacement. Cela risque de réduire la poussée ou d’étouffer les moteurs. Pour éviter ce problème, au fur et à mesure qu’ils se vident, les réservoirs sont remplis avec de hélium ou de l’oxygène gazeux sous pression.
  • t + 1 min 20 s : Max Q atteint. La fusée est à 13 km d’attitude et atteint 686 m/s (2 fois la vitesse du son).
  • t + 2 min 15 s : Le 1er étage contient 2100 tonnes d’ergols sur les 3000 tonnes de la fusée. Les moteurs allègent la fusée de 13 tonnes par secondes et rapidement les moteurs qui étaient à peine suffisant pour faire décoller la fusée deviennent surdimensionnés. Le moteur central est arrêté pour ne pas accélérer à plus de 4G et préserver la structure et l’équipage.
  • t + 2 min 41 s : Le carburant est épuisé, les moteurs du 1er étage sont arrêtés.
  • t + 2 min 42 s : Séparation du 1er étage. Des boulons explosifs sont déclenchés pour couper les liaisons entre les 2 premiers étages.
  • 8 rétrofusées sont alors allumées sur le 1er étage pour le freiner. En effet même arrêtés, les moteurs gardent une poussée résiduelle à cause des restes de gaz chaud. Cette poussée serait suffisante pour provoquer une collision avec le 2ème étage.
Separation du 1er étage d’Apollo 11
  • À ce moment, le 2ème étage se retrouve dans une situation délicate. Il est à 67 km d’altitude donc il n’y a plus d’effet aérodynamique sensible. Et sans accélération il est en situation de chute libre. Les ergols contenus dans les réservoirs  se mettent à flotter, et se mélanger avec l’hélium de pressurisation. Au moment de démarrer, les turbopompes des moteurs du 2ème étage, vont avoir du mal à aspirer les ergols, et risquent d’aspirer de l’hélium. Pour éviter ce problème, 4 petites fusées à ergol solide accrochées sur les bords de l’étage, appelés fusées de tassement, vont s’allumer et accélérer légèrement l’étage. Cela suffit à plaquer les ergols  vers le fond des réservoirs et permet à l’allumage des moteurs de se dérouler dans de bonnes conditions.
  • Dès que les moteurs du 2ème étage ont atteint 90% de leur poussée, les fusées de tassement sont éjectées pour alléger l’étage.
Séparation Apollo 4 (https://www.youtube.com/watch?v=9DNnZ82Kg3w)
  • Les 5 moteurs J-2 du 2ème étage utilisent de l’hydrogène liquide et de l’oxygène liquide ce qui permet une bien meilleure efficacité que le 1er étage.
  • t +  3 min 20 s : La tour  de sauvetage est éjecté. C’est une petite fusée de 4 tonnes accroché tout en haut de la fusée. Elle est utilisée en cas de défaillance du lanceur pour éjecter la capsule habitée et sauver l’équipage.
  • t + 4 min 20 s : Le moteur central est arrêté pour limiter l’effet pogo. L’effet pogo est un problème récurrent des fusées à ergol liquide. Des fluctuations de poussée des moteurs se répercutent sur la structure et les ergols. L’oscillation des ergols en retour fait osciller la poussée des moteurs en jouant sur leur alimentation. Si ce phénomène entre en résonance, les oscillations peuvent détruire les structures ou les moteurs. C’est ce qui c’est d’ailleurs passé pour Apollo 13, ou le moteur central s’est arrêté avant l’heure. Les 4 autres moteurs ont dû compenser cette défaillance.
  • Au bout d’une poussée de 6 minutes et 430 tonnes d’ergol brûlés. Le 2ème étage s’arrête. La fusée est alors à 175 km d’altitude et va à 7 km/s. Elle est presque en orbite.
  • t + 9 min 10 s : Il y a un nouvel événement de séparation similaire au 1er puis l’unique moteur J-2 du 3ème étage démarre et commence à brûler les 105 tonnes d’ergols restant.
  • t + 11 min 40 secondes : Au bout de 2 min 30, le moteur s’arrête alors qu’il est loin d’avoir  brûlé tout le carburant.
  • En fait la fusée est arrivée en orbite terrestre. Elle est en orbite très basse, 190 km d’altitude et va à 7.8 km/s. Une pause est prise pour vérifier l’état du vaisseau et préparer l’injection lunaire.
  • t + 2 h 44 min : le moteur du 3ème étage de la fusée est rallumé. On a le même problème d’ergols en apesanteur qui ont eu beaucoup de temps pour se balader dans les réservoirs. Or on a déjà utilisé les  mini-fusées lors de la précédente séparation. Un autre problème est qu’il faut orienter la fusée dans la bonne direction avant d’allumer le moteur. 2 modules sont accrochés en bas de l’étage. Chaque module contient 4 moteurs-fusées miniatures, des réservoirs d’hydrazine et de peroxyde d’azote, un carburant et un comburant stable à température ambiante. Ces moteurs sont très simples et peuvent s’allumer pour seulement 70 ms. L’ensemble de ces systèmes permet de contrôler la rotation de l’étage selon les 3 axes et fournir la poussée nécessaire à plaquer les ergols au fond des réservoirs.
  • Le moteur va alors être allumé pendant 6 minutes pour amener le train lunaire sur une trajectoire d’injection lunaire, à 11.2 km/s.

Le train lunaire arrive 4 jours plus tard à proximité de la lune.

Décollage de Saturn V pour la mission Apollo 11 : https://www.youtube.com/watch?v=GXTaiQZWHWs

Von Braun devant les moteurs F1 du 1er étage de la fusée Saturn V
Von Braun devant les moteurs F1 du 1er étage de la fusée Saturn V

 

Bilan

Au final le programme Apollo aura permis à 6 équipages de se poser sur la lune et coûta 163 milliards de dollar. L’objectif d’impressionner le monde est remplis, mais le désintérêt rapide du public et la guerre du Vietnam change les priorités, et la Nasa voit son budget fondre. Les dernières missions sont annulées.

Pendant ce temps, l’URSS avait aussi son programme lunaire habité. Il n’a pas abouti à cause de désaccords internes et de problèmes de développements. Il fut abandonné en 1974. La fusée N1, équivalente soviétique de la Saturn V, pesait 2700 tonnes et mesurait 110 mètres de haut. Ses 4 étages utilisaient du kérosène contrairement aux 2 étages supérieurs de la Saturn V, ce qui la rendait moins efficace. Le 1er étage avait 30 moteurs et le réseau de tuyaux pour les alimenter était très complexe, et les vibrations mal maîtrisés. Les 4 tirs d’essais ont tous été des échecs à cause d’explosion de turbopompes, de l’effet pogo ou de perte de contrôle.

  • Lors du 1er tir, après 6 secondes, l’effet pogo détruit un tuyau d’alimentation en oxygène du moteur #2. 20 secondes plus tard, un tuyau de kérosène casse, les 2 réactifs provoquent un incendie. Le calculateur panique et arrête tous les moteurs.
  • Lors du 2ème tir, une petite pièce métallique passe dans la turbopompe à Oxygène du moteur #8 qui explose juste avant le décollage. Cela endommage pas mal de canalisations autour et provoque un incendie. Tous les moteurs sont  arrêtés sauf 1 et la fusée s’écrase sur le pas de tir. C’est la plus grosse explosion non nucléaire d’origine humaine.
  • Lors du 3ème tir, la fusée se met rapidement à tourner sur elle-même et la fusée échappe à tout contrôle avant de se désintégrer.
  • Lors du 4ème tir, après 107 secondes de vol l’effet pogo détruit la turbopompe à oxygène du moteur numéro 4. La fusée est à nouveau détruite.

Le programme lunaire russe restera confidentiel et nié par l’URSS jusqu’en 1985.

Perspectives

Sans budget conséquent et un gros enthousiasme de l’opinion publique il n’y a peu d’espoir de voir les états financer à nouveau des fusées aussi grosses. Le renouveau arrivera peut-être d’entreprises privées soutenues par des milliardaires motivés par la passion plutôt que par l’argent. La société privée SpaceX est particulièrement ambitieuse et est en train de révolutionner le domaine du lancement spatial. Elle vise à terme à construire une fusée plus grosse que Saturn V pour aller sur Mars, et mise sur la réutilisation complète pour réduire le coût de l’accès à l’espace. Depuis décembre 2015, SpaceX a réussi à récupérer en bon état six 1ers étages et prévoyait d’en faire revoler un avant la fin de l’année 2016.

Ce dossier ne parlait que des lanceurs, pour atteindre l’orbite. Une fois dans l’espace la problématique de delta-v reste, mais il y a plein de piste pour faire mieux que la propulsion chimique. Mais pour atteindre l’orbite les alternatives relèvent actuellement de la science-fiction.

Quote

Citation de Wernher von Braun :

« Our two greatest problems are gravity and paper work. We can lick gravity, but sometimes the paperwork is overwhelming.»

« Nos deux problèmes sont la pesanteur et la paperasse. On peut vaincre la pesanteur, mais parfois la paperasse est écrasante. »

Von Braun est un ingénieur allemand qui a entre autre dirigé le programme des fusées V2 pendant la 2ème guerre mondiale. Récupéré après la guerre par les américains il a été le concepteur de la fusée Saturn V.

Quelques sources pour aller plus loin :

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