On peut sauver des vies par simple transplantation de matière fécale. Info ou intox?

» Ça démarre à 18 min 46 sec.

Dessin signé Puyo pour Strip-Science

 

Quand j’ai lancé le quiz, je ne savais pas que l’Apéro du Captain en avait parlé dans son épisode 71 (ça démarre à 1h00 pile).

Du coup, flop…

Pour une fois que mon quiz était une « info », toute la podcastosphère le savait déjà, grâce à une source fiable et au-dessus de tout soupçon.

 

1. Extrait_1_ADC_71     

 

Eh oui, c’est bel et bien une info !

Nous allons donc parler transplantation fécale. Ou « infusion probiotique fécale » ou « bactériothérapie fécale » ou encore « greffe fécale » si on veut être un peu moins dégoûtant.

La flore intestinale

Commençons par poser le décor. Nous avons tous entendu parler de flore intestinale. Cette appellation poétique pourrait presque donner à penser qu’un joli papier floral tapisserait les parois de notre intestin tel un tea-room britannique.

Cette flore, en réalité, n’a rien de décoratif. On commence seulement à comprendre ce qu’elle est, comment elle fonctionne, et l’importance cruciale qu’elle joue dans plusieurs aspects de notre vie.

Dessin signé Puyo pour Strip-Science

Qui êtes-vous, vraiment ?

Pour vous donner une idée des proportions : saviez-vous que seules 10% des cellules de votre corps contiennent votre propre ADN ? Eh oui… Pour 10 cellules dans un corps humain, 1 seule est humaine et 9 ne le sont pas ! L’ensemble de ces cellules non-humaines constitue ce qu’on appelle le microbiote.

Des bactéries partout !

Et ce n’est pas une question d’hygiène ; que vous sortiez de la douche propre comme un sou neuf ou que vous ne vous soyez jamais lavé de votre vie,

  • Quelque 8’000 espèces de bactéries colonisent votre langue. (Oui, je sais, voilà qui va rendre votre prochain baiser moins glamour… Si cela peut vous aider à retrouver un peu de votre romantisme perdu, dites-vous que ces échanges de bactéries sont très utiles pour la bonne marche de votre système immunitaire 😉 ) ;
  • Plus de 4’000 espèces ont élu domicile dans votre gorge et (roulement de tambour) ;
  • Près de 34’000 espèces font tourner la baraque dans vos intestins !

Selon l’excellent blog Sweet Random Science – dont je ne vous recommanderai jamais assez la lecture -, qu’elles se baladent dans vos oreilles, votre nez, le pli de votre coude, votre vagin ou ailleurs, ce sont plus de 54’000 espèces de bactéries qui vous accompagnent en bonne intelligence. Et dire qu’il nous arrive de nous sentir seuls…

Si vous vous demandez combien de monde ça fait, en tout, cellules humaines et bactéries comprises, rendez-vous chez David Louapre sur le non-moins excellent Science Etonnante : aux dernières nouvelles, nous parlerions de 100’000 milliards de bactéries par être humain (pour un petit 10’000 milliards de cellules humaines, donc).

Concentrons-nous maintenant le kilo et demi de bactéries qui nous squattent les intestins. Vous pensiez que ce sont de vilains parasites qui profitent sournoisement du chauffage et des restes ? Détrompez-vous…

Un deal win-win

C’est un contrat gagnant-gagnant. Si on leur offre effectivement le logis, nos bactéries intestinales nous permettent de métaboliser des aliments que nous ne pourrions pas traiter nous-même et de tirer un maximum d’énergie de tout ce que nous ingérons.

Chez l’humain, comme chez les autres mammifères, l’intestin est cliniquement stérile à la naissance. Ce qui constituera la base de la flore intestinale est transmis par la mère, via le lait maternel dès les tous premiers jours de la vie. Du coup, on a pu faire l’essai avec des souris, qu’on a maintenues en environnement stérile après la naissance et qui sont restées vierges de toute bactérie intestinale. Résultat : elles devaient ingérer 30% de calories en plus pour atteindre le même poids que leurs frères et sœurs pourvus d’un microbiote efficace. Ah, et si vous vous demandez si le coup du lait maternel est le vecteur de choix pour tous les mammifères, vous vous sentirez particulièrement heureux d’être nés Homo Sapiens en apprenant que les bébés éléphants, hippopotames, koalas et pandas, notamment, arrivent au même résultat par d’autres moyens : ils ne font pas de chichis mangent les crottes maternelles. Spontanément. En toute simplicité. Bon appétit !

Du séquençage du génome à celui du microbiome

On sait également que le microbiote joue un rôle essentiel sur la santé, l’immunité et assure même des mécanismes anti-cancéreux. Mais ce n’est pas tout. Plus on s’y intéresse et plus on se rend compte que tout reste encore à découvrir… Après avoir séquencé le génome humain, pour se faire une idée de qui nous sommes vraiment, on s’intéresse désormais au microbiome. Et on découvre tous les jours des effets inattendus. Pour faire court, ça va loin, très loin au-delà des simples effets mécaniques de l’alimentation sur notre santé. On sait désormais que le microbiote a un rôle à jouer dans la dépression, l’anxiété et même l’autisme. Cela ouvrira sans aucun doute la voie à de nouvelles approches thérapeutiques.

Alors si à partir de maintenant, vous avez l’impression de commettre un génocide à chaque fois que vous prenez des antibiotiques, bienvenue au club !

Car c’est un vrai problème… Les antibiotiques ne discriminent pas entre les bactéries pathogènes contre lesquelles ils doivent lutter et les « gentilles » bactéries de votre microbiote préféré.

Vous avez le Clostridium Difficile ?

Clostridium Difficile grossi 3000x, source WikipediaEn cas d’antibiothérapie prolongée, il peut arriver qu’une espèce de bactéries, Clostridium Difficile, particulièrement résistante, profite de l’hécatombe pour squatter les lieux. Et elle, par contre, n’est pas sympa du tout… Permettez-moi un petit détour par une histoire du Dr Karl, le « Monsieur Sciences » de la radio australienne (et accessoirement ma rock star) :

Il nous raconte l’histoire de cette femme de 61 ans dont la pneumonie a été traitée par antibiotiques. Le traitement est venu à bout de la pneumonie, mais a malheureusement pulvérisé sa flore intestinale. Désormais victime d’une infection par Clostridium Difficile, elle a perdu 27 kilos en 8 mois. Confinée à la chaise roulante tant elle était affaiblie, elle devait porter des couches car elle souffrait des diarrhées violentes toutes les 15 minutes et n’avait même plus la force de se rendre aux toilettes. Tous les traitements tentés par ses médecins s’étaient soldés par un échec. Elle était mourante.

Il faut dire que le Clostridium est une vraie cochonnerie. L’incidence des maladies qui lui sont liées a augmenté de 50x au cours des 20 dernières années. La bactérie devient de plus en plus virulente et elle résiste de plus en plus aux antibiotiques.

Alors en désespoir de cause, la gastroentérologue de la dame, le Dr Alexander Khoruts de l’Université du Minnesota, a opté pour un traitement encore peu courant, la transplantation fécale. À l’aide d’un colonoscope, il a collecté 25 grammes de fèces (un mot savant pour dire « caca ») chez le mari de la dame, de 15 ans son cadet ; un homme en pleine forme. Le médecin a mixé son prélèvement avec 300 millilitres d’eau, et réinjecté le tout dans la dame, toujours à l’aide d’un colonoscope. C’est à dire par derrière. Ceci dit, il y a plein de variantes possibles… Si vous voulez savoir par quels bouts on peut attaquer le problème, je vous renvoie à un excellent article de notre ami Vincent Giudice (qui est venu nous raconter l’histoire de l’ADN il y a 15 jours).

Revenons à nos colons… Aussi étonnant que cela puisse paraître, les résultats furent spectaculaires. Dès le lendemain, plus de diarrhée. Dès le surlendemain, des selles bien tassées comme on les aime. Elle a repris des forces très rapidement. 14 jours après l’intervention, sa flore intestinale ressemblait comme deux gouttes d’eau à celle de son mari. Après 6 mois, les médecins ont cessé de la suivre, tant elle se portait comme un charme. On suppose qu’elle se porte toujours bien aujourd’hui.

Cette histoire n’est qu’un exemple. En fait, les premiers essais de bactériothérapie fécale remontent à 1958 par le Dr Eisemann et ses collègues, une équipe de chirurgiens du Colorado. Et les taux de guérison sont spectaculaires (une récente étude en double-aveugle rapporte un taux de succès de 94% pour cette technique versus 31% pour la vancomycine, un antibiotique particulièrement efficace). Le succès est tel que de nombreux médecins cessent de considérer la bactériothérapie fécale comme une solution de dernier recours. On commence même à l’utiliser pour traiter des cas de colite, de constipation, de colon irritable et même des troubles neurologiques.

Des chercheurs américains travaillent actuellement à isoler les germes intéressants de l’échantillon du donneur pour produire des pilules qui pourront simplement être avalées comme n’importe quel médicament. Ce qui facilitera grandement l’acceptation du traitement et réduira les risques car contrairement à la coloscopie, cette technique ne sera pas invasive du tout.

Nous pouvons donc fermer ce quiz en toute sérénité. C’est bel et bien une info : la bactériothérapie fécale (ou plus prosaïquement, la transplantation de caca), sauve bien des vies.

N’hésitez pas en parler à votre médecin, il va nous adorer 😉

 

Références

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 Illustrations

  • Un immense merci à Puyo pour ses illustrations originales dans le cadre de son bizutage dans le collectif Strip-Science

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