L’ocytocine, nouveau soma?

Mini-dossier publié dans le cadre de la soirée radio-dessinée “L’Amour est dans la Pipette“, enregistrée en public à Paris, à l’Espace des Sciences Pierre-Gilles de Gennes avec le collectif Strip Science le 23 mars 2013

Sur cette thématique, il était impossible de ne pas parler de l’hormone de l’amour, j’ai nommé l’ocytocine (ou oxytocine)

Alors qu’est ce que cette hormone ? Et bien, physiologiquement, elle est fabriquée par l’hypothalamus et sécrétée par l’hypophyse, et c’est plus précisemment une neurohormone, c’est-à-dire un messager chimique produit par un neurone et qui agit comme une hormone.

Mais ce qui nous intéresse ici, ce sont surtout les effets de l’ocytocine :

Elle est entre autres secrétée lors de l’accouchement, où elle aide au déclechement des contractions de l’utérus et à l’éjection du placenta… De même, elle joue un rôle lors de l’allaitement et contribuerait à renforcer le lien entre la mère et l’enfant. 

Mais tout cela est, je pense, assez loin de ce que vous entendiez lorsque je vous parlais d’hormone de l’amour… Venons-en donc aux faits et découvrons ensemble pourquoi elle suscite tant d’enthousiasme dans certaines communautés.

Déjà, sa production est déclenchée par l’activité sexuelle (ainsi que par beaucoup d’autres choses d’ailleurs, comme le massage, la danse et même la prière). Par ailleurs, elle jouerait un rôle de désinhibiteur et favoriserait les comportements altruistes et l’empathie.

Cela a été montré par un nombre important d’expériences autour de la générosité, comme donner une somme d’argent à un groupe de volontaires puis les laisser choisir le montant qu’il souhaitaient céder à un partenaire. Celui-ci reçoit alors une somme multiple du don de son camarade et peut ensuite choisir ou non d’en restituer une partie sur les mêmes modalités à son bienfaiteur (le jeu n’est pas réitéré). Les volontaires ayant consommé de l’ocytocine se montraient alors davantage généreux que ceux ayant pris un placebo.

Il y en a eu pas mal d’autres que je n’aurai pas le temps de détailler ici. Elles ont entre autre montré que cette neurohormone favoriserait aussi la fidélité et le neuroéconomiste Paul Zak en fait même la molécule de la morale dans un TED talk :

 Certaines études montrant que la quantité d’ocytocine est moindre chez les autistes et certaines personnes souffrant de pathologies psychologiques, ses partisans suggèrent qu’elle pourrait donc être utilisée pour le traitement de ces pathologies (autisme) et la prévention des tentatives de suicide.

Si jamais on ajoute qu’elle favoriserait l’orgasme (source ici paraît il mais je n’ai pas acces a l’article 🙁 http://europepmc.org/abstract/MED/14563102 ) et qu’il est possible de la synthétiser et donc de consommer de l’ocytocine, on se retrouve à ce stade face à quelque chose qui ressemble beaucoup au Soma du Meilleur des Mondes. Le soma étant la drogue utilisée pour maintenir la cohésion sociale dans la contre-utopie d’Aldous Huxley.

Et puisqu’on aborde la question de la prise ou des traitements par ocytocine, signalons qu’elle peut etre consommée de deux manières :

On en donne parfois par injection aux femmes pour faciliter l’accouchement et l’éjection du placenta. Mais la prise d’ocytocine par injection ne permet pas d’obtenir des effets psychologiques à cause de ce que l’on appelle la barrière hémato-encéphalique qui empêche le sang et le système nerveux de communiquer trop étroitement… En effet, les capillaires de notre cerveau sont quelque peu exotique car les cellules endothéliales qui composent la paroi interne des vaisseaux sanguins y sont légèrement différentes et plus serrées qu’ailleurs. Elles agissent ici comme un filtre ne permettant pas, entre autres, le passage de l’ocytocine…

Dans le cadre d’expériences sur ses effets psychologiques, elle est donc consommée sous forme de spray nasal.

Mais maintenant que je vous ai bien vendu ce produit, il est temps de très fortement relativiser tout ça :

D’abord, les effets psychologiques de l’ocytocine varient fortement d’un individu à l’autre. Elle servirait de désinhibiteur uniquement pour les personnes les plus timides par exemple.

Par ailleurs, l’ocytocine est dégradée dans le sang en à peine 3 minutes et ses effets ne dépassent pas les 90 minutes dans une vision même maximaliste… On est donc très loin du soma et l’on peut fortement douter de l’utilité pratique de la chose en termes de prévention des tentatives de suicide. Néanmoins, on peut éventuellement imaginer des saunas d’ocytocine où il serait possible d’en inhaler de manière continue.

À ce stade, vous vous demandez sans doute aussi quel est l’intérêt évolutif de cette molécule… N’est-il pas contre-productif de produire une hormone qui nous rend davantage généreux ? 

Cette objection est quelque peu résolue par les conditions de déclenchement de la production d’ocytocine : l’activité sexuelle et l’allaitement sont des situations où la propagation de nos gènes passe par une certaine générosité vis-à-vis des personnes environnantes. Mais un second point permet peut-être de régler définitivement cette question : certaines études montrent que si l’ocytocine renforce dans une certaine mesure la générosité au sein du groupe de personnes connues, elle augmenterait similairement l’agressivité envers les individus extérieurs au groupe. On se retrouve alors avec de l’ocytocine favorisant la cohésion de groupe et la communication dans une logique tout à fait compatible avec la sélection de groupe et non avec une hormone miracle de l’amour et de la morale.

Mais… Désinhibition… Augmentation de la générosité et de l’agressivité… Pour faire le lien avec l’édition précédente de notre live en public à l’Espace Pierre-Gilles de Gennes (les sciences de l’apéro): les effets de l’ocytocine ne se rapprocheraient-ils pas un peu au final de ceux de quelques verres de vin ?

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