Ça ne sent pas la rose !

 

Dossier par Claire, présenté pendant l’émission radio dessinée spécial caca au palais de la découverte le 29 Mars 2017 (podcast Science # 292), à partir de 55min 39s

 

Ça ne sent pas la rose ! Ou ça ne sent pas la violette, comme vous préférez. C’est vrai qu’en général, on n’est pas particulièrement fan du bouquet olfactif de nos matières fécales. Celles des autres encore moins. Alors, le caca, a-t-il une mauvaise odeur ?

Et bien non.

Déjà, le caca ne contient pas UNE odeur, mais plusieurs ! Tout ce qui nous entoure olfactivement est mélange. A titre d’exemples plus « glamour » que nos fèces, la vanille est constituée d’environ 150 molécules odorantes, ou odeurs, différentes. Le bouquet fleuri de la rose (la fleur, pas nos fèces !) est constitué lui d’une petite centaine de molécules odorantes.

Et avant d’en revenir à proprement parler au caca, commençons par faire un point sur notre sens de l’odorat.

1. Le sens de l’olfaction

J’ai mis pour cela une coupe de profil d’une tête humaine pour qu’on puisse s’y retrouver aujourd’hui, et pour les auditeurs sur la chatroom.

Ce que l’on appelle les odeurs, ce sont en fait des molécules légères, dites volatiles,  qui vont passer facilement à l’état de gaz et ainsi s’échapper dans l’air, air que l’on va respirer par nos narines. Ces molécules odorantes vont ensuite remonter dans nos fosses nasales jusqu’à atteindre un petit tapis de cellules situé en haut de nos fosses, l’épithélium olfactif, siège de la détection des molécules odorantes. Sur le schéma, il y a un agrandissement de l’épithélium olfactif. Ce qui ressemble à des racines de poireaux en gris, ce sont en réalité des cils sensoriels, des poils microscopiques, qui sont l’extrémité d’un neurone olfactif. Ces cils sensoriels portent des récepteurs olfactifs. Une molécule odorante va venir se lier à un récepteur olfactif, et à ce moment-là tilt ! Cela envoie un message électrique qui remontera jusqu’au cerveau, où il sera finalement interprété par le centre de la mémoire et des émotions, et c’est là qu’on se dit « tiens, ça sent bon la rose ! » ou « tiens, ça sent le caca ! »

Là où ça se complique un peu pour le sens de l’odorat par rapport à d’autres sens, c’est que l’on n’est pas tous équipés pareils. L’être humain est équipé d’environ 350 types de récepteurs olfactifs différents, mais nous ne sommes pas tous équipés des mêmes. Et en plus, nous n’avons pas tous le même vécu, les mêmes souvenirs, ce qui fait que chaque perception olfactive nous est propre. C’est la nôtre.

2. Le bouquet de nos fèces

Donc déjà, on ne peut pas dire que nos étrons ça ne sent pas bon, mais on dira plutôt que l’on n’aime pas. Chacun son opinion sur ce bouquet olfactif !

Et que trouve-t-on justement dans ce bouquet olfactif matière fécale jugé bien souvent malodorant ? Une petite centaine de molécules odorantes. J’ai trouvé plusieurs articles de recherche où ils se sont amusés à faire des analyses olfactives de fèces humains (juste après défécation) et des analyses olfactives de latrines de différents pays. Bon je dis amusés, mais en réalité cela a été mené fort sérieusement, et dans un but tout aussi sérieux : étudier les odeurs généralement perçus comme déplaisantes dans le but de trouver des solutions pour les prévenir, les éliminer ou les masquer.

Quelques grands noms maintenant ?

 

Attention, ça va sonner bougrement chimiste ! Dans l’analyse olfactive du caca, on trouve surtout des composés sulfurés comme du methylmercaptan, du diméthyl mono/di et trisulfure, et du sulfure d’hydrogène. Ajoutez à cela de l’ammoniac, un soupçon de triméthylamine, une belle variété d’acides comme l’acide acétique ou l’acide propanoïque, quelques aldéhydes comme du formaldhéhyde, et une pincée d’autres molécules comme la pyridine ou le pyrrole. Et contrairement à une idée largement répandue visant à les incriminer, l’indole et le scatole ne seraient finalement que fort peu responsable pour l’odeur du caca frais, c’est-à-dire juste après défécation.

Par contre, on retrouve bien ces deux molécules dans le bouquet olfactif des latrines, celui émis par le charmant bouillon de culture fait des eaux usagés des toilettes contenant l’urine et les matières fécales plus ou moins putréfiés.

Indole et scatole qu’on retrouve aussi dans les cadavres en putréfaction d’ailleurs. Accompagnés d’autres molécules comme la cadavérine ou la putréscine, putréscine qui est aussi présente en cas de mauvaise haleine et de vaginose bactérienne, et cadévérine qu’on retrouve aussi dans l’urine et la semence humaine.

Mais laissons de côté salive, semence, urine et autres excréments pour nous refocaliser sur le thème du caca.

3. Bon ou mauvais ? 

Et si ce mélange olfactif matière fécale vous parait déplaisant, ce n’est pas forcément le cas de ses odeurs ou molécules odorantes prises au cas par cas. En réalité il n’y a pas de bonne ou de mauvaise molécule odorante car notre perception olfactive encore une fois elle est très personnelle, est la résultante de tout un tas de facteurs, notamment environnementaux et culturels. Prenons l’exemple de la civette. Pour les courageux auditeurs présents dans la salle, je vous ai amené les flacons !

La civette, je vous ai mis une photo pour la chatroom, sorte de chat sauvage avec un petit côté belette, produise de la civettone, substance odorante contenue dans un liquide produit par les glandes anales de l’animal. Donc pour récupérer la molécule odorante civettone, qu’on appelle aussi plus simplement civette, comme l’animal, on cure les glandes anales de cette pauvre bête… ou alors on recrée plutôt en labo de la civette de synthèse maintenant. La civette lorsqu’elle est seule et concentrée possède une odeur très forte, avec des relents d’excréments, mais une fois diluée elle peut dégager une odeur qui évoquera plutôt quelque chose de fleurie. Et c’est dans ces conditions qu’elle va être utilisée dans des parfums cette molécule odorante, et aussi dans des cigares.

Puis pour rester dans le thème des excréments, ceux de la civette asiatique, le luwak, sont utilisés dans la confection d’un café fortcoûteux, le Kopi luwak, car l’animal ne digère quasiment pas ses aliments. Il est incapable de digérer les graines de café qu’il mange, qui seront donc déféquées intactes, ou presque. Les sucs gastriques auront quand même débarrassé les graines de son amertume pendant son séjour dans l’estomac. La graine de café épurée grâce aux sucs gastriques sera gentiment restituée à la terre lors de la défécation de l’animal, prête à être ramassée, et vendue. Miam.

Donc en fait bonne et mauvaise molécule odorante, cela peut notamment dépendre du mélange dans lequel elle se trouve, (la civette seule, bof, mais la civette dans le mélange chanel numéro 5, ba on l’achète une fortune), et puis dépendre aussi de sa concentration. Une molécule odorante qui nous paraissait plaisante peut devenir dérangeante lorsqu’il y a une variation de la concentration.

Si on revient sur l’humain et l’indole présente dans nos toilettes, pareil j’ai le flacon pour les curieux présents, idem. C’est également une molécule odorante qui est en plus d’être présente dans le bouquet olfactif de nos toilettes est présente dans le jasmin, les narcisses et la fleur d’oranger. Son appréciation hédonique va changer en fonction de sa concentration. Faiblement concentrée, elle évoque les fleurs, trop fortement présente, elle évoque plutôt les excréments.

Et si je reste sur ma recette olfactif du caca de toute à l’heure, on peut continuer les exemples, je ne vais pas tout faire, mais : le methylmercaptan est une molécule odorante également présente dans l’ail et dans des fromages. Alors vous me direz on n’est pas tous fan du fromage n’est-ce pas Vincent. Le sulfure de diméthyl lui c’est dans le chou et dans la truffe.

Alors non, on ne dira pas que le caca ça ne sent pas bon. Et puis, ça dépend aussi de où et quand on le sent. Notre sens de l’odorat est en plus influencer par nos autres sens. Notamment la vue. Au centre de la Chimie des sens à Philadelphie, ils ont fait des tests olfactifs dans différents contextes visuels. Résultats : il y a une vraie variation de l’appréciation hédonique. Si on fait sentir le bouquet olfactif « caca » à quelqu’un en lui faisait défiler sous les yeux des images de champs, de nature, des choses perçues comme « propre » et positive dans notre société… le cobaye supporte beaucoup mieux que lorsqu’on y associe des images de toilettes.

Et cela rejoint cette idée qu’une odeur est toujours associée à un contexte global et émotionnel. Notre perception dépend donc de notre vécu, de nos souvenirs, de notre culture, de notre éducation en fait. Education sociétale et parentale. Nous n’apprécions par le bouquet olfactif du caca car on nous l’a APPRIS. Avant deux ans, un enfant n’a pas de notion de bonnes ou mauvaises odeurs. Deux ans c’est aussi l’âge de la propreté, celui où on dira à l’enfant que « bouuuh ça pue, ne touche pas ton caca, c’est sale ».

Exemple du camembert en France ? Pas tous fan mais associé aux fromages. Dans d’autres cultures (américaines par exemple) où l’on ne mange pas de fromage, cela évoque plutôt les pieds.

Enfin moi je vous dirais pour finir de vous convaincre que malgré ma très bonne éducation, il y a quand même un type de caca que j’aime bien sentir, parce qu’il est associé chez moi au fait que « le cheval c’est génial ! ».

Mais si après tout cela, vous n’êtes toujours pas convaincu et que ce bouquet olfactif si particulier continu de vous horrifier, je finirais mon dossier en vous rappelant que l’odeur de vos excréments est fonction de ce vous consommez. Donc vous pouvez toujours repenser un peu vos habitudes alimentaires si vous n’êtes pas satisfaits de l’odeur de vos étrons. Et si jamais ça ne suffit pas, certains vous en propose toujours plus, avec des compléments alimentaires à consommer sous forme de gélules pour parfumer subtilement vos pets et vos étrons !

Du côté des pets, vous pourrez retrouver ça assez facilement sur le grand internet mondial, en tapant « pilules pour parfumer vos pets », et là deux choix s’offrent à vous, à la rose ou à la violette ! Alors je vous vois déjà gagné par l’enthousiasme, mais en fait quand on regarde la composition d’un peu plus près, c’est surtout du charbon actif, qui est en fait quelque chose de très poreux, qu’on va utiliser pour piéger les gaz et donc réduire les flatulences. Plus d’autres bricoles qui vont venir calmer l’acidité gastrique et activer la flore microbiot. Rien de bien révolutionnaire dans la composition, et du coup je crois qu’au niveau des résultats ce n’est pas probant non plus. Je me souviens en avoir offert une boite à un pote vers la fin du lycée, et de mémoire ce n’était pas foufou.

Pour parfumer l’étron, un super documentaire diffusé sur Arte qui s’intitulait « la fabuleuse histoire des excréments, au nom de la rose » mentionnait une équipe de chercheurs japonais qui bossait sur des pilules pour parfumer le caca au thé vert, par contre je n’ai pas retrouvé quoi que ce soit dessus en cherchant.

Les dessins du dossier

 

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