Aux sources de la bière

Dossier présenté par Vincent dans l’émission spéciale bière #313

Dans le bain !

Plongeons ensemble allègrement aux sources de la bière, dans un bain aussi salvateur qu’instructif. Comme on disait tout à l’heure il y a des échanges constants entre bière et progrès technique depuis les origines de ce doux breuvage. La bière est si intimement liée aux anciennes civilisations qu’on finit par se demander si elle a pas joué un rôle dans leur essor !

Avant d’explorer ces racines historiques j’aimerais faire un hommage aux travaux de Patrick Mc Govern. Il est archéologue au muséum d’archéologie de Pennsylvanie, et c’est en quelque sorte l’Indiana Jones de la picole. Le temple maudit et le crane de cristal en moins. Il fait référence en matière d’archéo-alcoolisme. Lui et son équipe ont publié en 2004 dans la revue américaine Proceedings of the National Academy of Science, un article qui a fait grand bruit. Ils y décrivent des tessons de poteries vieux de 9000 ans, trouvés sur le site de Jiahu aux abords du fleuve jaune, dans le centre de la Chine. Sur la paroi de ces tessons, ils ont détecté quelques molécules, à l’état de traces, dont l’étude a permis de donner une idée du liquide contenu dans ces poteries il y a des millénaires… Ils ont trouvé sur ces tessons les traces de la plus ancienne boisson fermentée à base de céréale connue à l’heure actuelle. La plus vieille trace de picole vient de Chine !  Cette boisson ne devait pas avoir grand-chose en commun avec nos bières modernes. Il semblerait qu’elle était plutôt un hybride de bière, d’hydromel et de vin, car ils ont trouvé ce qui semble être des résidus de riz, de miel et d’un fruit – potentiellement de l’aubépine et/ou du raisin.

Les origines

Il y a donc un foyer d’apparition de boissons fermentées en Chine. Mais la découverte de la fermentation est un phénomène qui a du se produire indépendamment de nombreuses fois au cours de l’histoire, et dans des lieux différents. Là où ça prend vraiment fière allure c’est dans la grande région de domestication des céréales, la Mésopotamie, le foyer de l’antique civilisation de Sumer. Avec la seconde révolution agricole, l’apparition du tour de potier, les premières cités états, il y a tout ce qui faut de technique et d’organisation sociale pour passer à l’échelle supérieure.

Et ils n’ont pas raté le coche ! Ca a du picoler sec d’Uruk à Babylone. La boisson est carrément devenue part intégrante de la vie quotidienne. Un des signes les plus reproduits en écriture cunéiformes, sur les tablettes d’argiles, c’est le symbole de la bière. Elle est quasi omniprésente. Il faut reconnaitre qu’elle a quelques avantages sur l’eau : l’ébullition et l’alcool limitent les potentiels p pathogènes, et puis c’est nutritif. Et pour couronner le tout ca rend joyeux !

Ce dernier élément a d’ailleurs du conférer à cette boisson une teinte un peu mystique. Comment, avec les connaissances de l’époque, ne pas imaginer qu’un esprit magique s’y cache, nous insufflant cette chaleur, cette ivresse ? (ça n’est pas pour rien qu’on dit « spiritueux »). Assez logiquement, la bière s’est vue associée à leur mythologie. Il y a des passages surprenant dans certains de leur récits fondateurs, par exemple, dans le poème “Inanna et Enki” qui date d’il y a 5000 ans environ.

Mythologies

Plantons le décor. Enki est le dieu de la sagesse, le big boss du panthéon, et Inanna c’est l’Ishtar des Akkadien, elle ressemble un peu à la Vénus des romains. C’est la déesse notamment de l’amour et de la guerre. Et dans ce texte, il est raconté comment elle a dérobé à Enki les « meh » sacrés, c’est-à-dire les décrets sacrés qui règlementent les institutions sociales. C’est la base, les textes cardinaux, le fondement du fondement de la civilisation, quoi. Et comment s’y prend-elle ? Elle rend visite à Enki et au cours d’un genre de banquet, elle le provoque dans une battle de descente de bière, Enki finit par être complètement ivre, et elle en profite pour lui dérober les meh, et les livrer aux hommes ! Je sais pas trop quelle morale en tirer mais il y a chez eux un lien fort entre bière et organisation sociale.

Il y a un autre texte célèbre, un tout petit peu plus récent : l’hymne à Ninkasi. Rien de moins que la plus ancienne recette de bière. C’est écrit sous la forme d’un poème dédié à la déesse de la bière, Ninkasi. Plutôt qu’une vraie recette, on peut la considérer comme une chanson qu’on chante pour se donner du courage, de l’entrain, comme autrefois dans les champs pendant la récolte. Ca donne quelque chose comme :

« Ninkasi tu es celle qui melange la pâte à pain avec de doux aromates à l’aide d’une grande pelle
Ninkasi tu es celle qui cuit le pain dans un grand four », etc.

Elle met le pain à tremper dans de l’eau, ajoute du miel fait chauffer et refroidir le tout, la fermentation se produit… Et à la fin de la fermentation, c’est joli, ils comparent la bière qui jaillit de la cuve aux flots du Tigre et de l’Euphrate.

Ce qui est intéressant dans cette recette c’est qu’ils se servent de pain pour faire leur moût. Apparemment ils préparaient un pain spécial, mais on peut imaginer que c’était aussi une manière de récupérer, recycler le pain dur. Il y a d’ailleurs une brasserie bruxelloise qui s’est inspiré de la recette, ils font le tour des boulangeries, récupèrent le pain rassis et en font de la bière. De l’upcycling ! (C’est la brasserie « Brussel Beer Project » et la bière s’appelle Babylone). Tout cela a donné naissance à débats sur les rôles respectifs du pain et de la bière dans la sédentarisation. Est-ce qu’on s’est sédentarisés pour assurer un approvisionnement plus régulier en nourriture ou en boisson ? Est-ce qu’on a décidé de se sédentariser un lendemain de cuite ? Qui est arrivé le 1er, qui a entrainé l’autre ? La question reste ouverte.

Le codex Hammourabi

Face avant de la stèle du Code de Hammurabi (Musée du Louvre)

On trouve également des mentions originales à propos la bière dans le codex Hammourabi, il y a 3800 ans. C’est un texte juridique babylonien, le plus complet code de lois de Mésopotamie. Au milieu du texte, on trouve les premières mentions juridiques sur la bière, 4 petites lois qui rêglementent sa production et sa consommation.

La loi 109 dit « si des conspirateurs se réunissent dans une taverne, et que ces conspirateurs ne sont pas capturés et livrés aux autorités alors le patron sera mis à mort » mis à mort, oui, mais pas n’importe comment : par noyade, dans un tonneau de bière ! (apparemment y’a rien à voir avec l’expression « mettre en bière », il semblerait que ça soit deux étymologies bien distinctes)

La loi 110, elle, stipule qui si une prêtresse est prise à boire de la bière, elle doit être brulée vive !! Heureusement pour le commun des mortels, on pouvait se murger peinard, pas de loi par exemple sur la conduite en état d’ivresse…

En Egypte, c’est à peu près la même chose, ça s’industrialise même encore un peu plus. Tout le monde picole de l’ouvrier au pharaon. C’est carrément un moyen de paiement, une bonne part du salaire des ouvriers est payé en bière, ce qui fait dire à certains : « pas de bibine pas de pyramides ». Vous imaginez les mutineries s’ils n’avaient pas leur ration quotidienne ? C’est comme priver un poilu de son litron !

De la Grêce antique à nos jours

Malheureusement ça se dégrade en Grèce, ou la bière est un peu méprisée. (L’orge est principalement réservée à l’alimentation.) C’est une boisson de pauvre, d’esclave, de barbare… On connait l’amour des peuples Greco-Romains pour le vin. On peut se demander si c’est à cause de son goût, qu’ils prennent pour supérieur (il faut dire que la bière de l’époque devait avoir une drôle de tronche… fermentation mal maitrisée, grumeaux de pain mal filtrés qui flottent, ça ne fait pas rêver). Ou bien parce que le vin une excellente une marchandise de luxe ? A l’époque la bière se gâtait vite, on n’aurait pas pu en exporter des amphores pleines aux quatre coins de l’empire !… le modèle économique impérial en aurait pris un coup.

Tout bascule avec le nouveau testament : « ceci est mon sang ». C’est sûr que s’il avait choisi la bière la sécrétion aurait été moins classe. Heureusement, le christianisme n’a pas eu raison de la bière, elle a survécu notamment chez les peuples germaniques, sous la forme de cervoise. Ironiquement les moines sont au Moyen-Age devenus des spécialistes du brassage, et on pourrait encore gloser longtemps sur les bières trappistes, sur l’invention de l’india pale ale, l’invention du porter, de la stout, de la lager, sur la révolution des microbrasseries qui a contaminé le monde il y a une vingtaine d’années… Mais le mieux est de vous inviter à découvrir, avec modération, le résultat des ces siècles d’affinage.

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