Emmy Noether, mathématicienne de génie

A l’occasion de l’émission en Roue libre de l’épisode n°323, Irène vous propose une chronique sur l’une des nombreuses femmes scientifiques que l’on connaît trop peu : Emmy Noether.

Amalie Emmy Noether fut une mathématicienne allemande de génie, dont les découvertes ont révolutionné plusieurs domaines mathématiques et physiques.

Une enfant brillante :

Amalie Emmy Noether naît le 23 mars 1882 en Bavière. Elle est l’aînée des quatre enfants. Son père est un expert en géométrie algébrique.

Dès son enfance, Emmy fait preuve d’intelligence et d’esprit logique. Comme les fillettes de son époque, on lui enseigne la danse, le piano et les travaux domestiques. Douée en français et en anglais, Emmy passe avec succès un examen pour devenir enseignante dans ces matières et l’obtient avec une mention très bien. Alors qu’elle a la possibilité d’enseigner dans une école de jeunes filles, elle décide de poursuivre des études scientifiques à l’université.

Son parcours n’est pas facile. Parmi le millier d’étudiants de l’université, elles ne sont que deux femmes ; elles doivent, à l’époque, demander la permission des professeurs pour pouvoir accéder à leurs cours. Après avoir obtenu son examen en 1903, Emmy poursuit à l’université de Göttingen où elle étudie l’astronomie et les mathématiques. Sa décision est alors prise : elle se consacrera uniquement aux mathématiques. En 1907, elle passe sa thèse. Jusqu’en 1915, Emmy enseigne bénévolement l’Institut de mathématiques d’Erlangen.

Le théorème de Noethe

En 1915, l’université de Göttingen parvient à recruter Emmy, malgré les réticences de professeurs qui estiment qu’une femme ne doit pas enseigner. Pendant les premières années, hébergée et nourrie par sa famille, elle enseigne sans rémunération ni statut officiel. Elle fait pourtant rapidement preuve de son génie : en 1918, elle démontre ce qui deviendra le « théorème de Noether », très utilisé aujourd’hui en physique théorique et dont Albert Einstein dira qu’il s’agit d’un « monument de la pensée mathématique ».

Le titre de Maître de conférences

A l’issue de la Première Guerre mondiale et de la révolution allemande qui s’ensuit, certains droits s’ouvrent aux femmes. Après douze ans à enseigner bénévolement, Emmy passe enfin son habilitation pour donner des cours et obtient le titre de maître de conférences. Ce titre reconnaît enfin ses mérites, mais elle n’obtient de salaire qu’en devenant assistante en algèbre un an plus tard. Professeure passionnée, peu soucieuse des apparences et privilégiant les discussions à bâtons rompus avec ses étudiants aux cours traditionnels et structurés, elle ne fait pas l’unanimité parmi ses étudiants.

Très peu soucieuse des apparences et des relations sociales, elle se concentre sur ses études sans se préoccuper de la mode ni de liaisons amoureuses. L’algébriste réputée Olga Taussky-Todd racontera un repas durant lequel Noether, complètement absorbée dans une discussion mathématique, « gesticulait comme une folle » en mangeant et « renversait sans cesse de la nourriture sur sa robe, et l’essuyait, sans que cela ne la perturbe le moins du monde”. Les étudiants soucieux des apparences ont un mouvement de recul quand elle sort son mouchoir de son chemisier ou devant le désordre croissant de sa coiffure au fur et à mesure de l’avancement de son cours. Une fois, deux étudiantes essaient de l’approcher à la pause entre deux heures de cours pour lui exprimer leur sentiment à ce sujet, mais il leur est impossible d’arrêter l’énergique discussion mathématique qu’a Noether avec d’autres étudiants.

Selon la nécrologie d’Emmy Noether écrite par van der Waerden, elle ne suit pas de plan de cours pendant ses conférences, ce qui perturbe certains étudiants. Au lieu de cela, elle construit ses cours comme des discussions à bâtons rompus avec les étudiants, avec pour but d’étudier et de résoudre des problèmes pointus et importants en mathématiques.

Noether parle vite (ce qui reflète la rapidité de sa pensée, dit-on) et exige une grande concentration de la part de ses étudiants. Les étudiants qui n’aiment pas son style se sentent souvent perdus. L’un d’eux note, en marge de son cahier, pendant un cours se terminant à treize heures : « Il est 12 h 50, Dieu merci ! » Certains étudiants trouvent qu’elle s’appuie trop sur des discussions spontanées. Ses élèves les plus dévoués, au contraire, se délectent de l’enthousiasme avec lequel elle aborde les mathématiques, d’autant que ses conférences sont souvent fondées sur des travaux qu’ils ont menés ensemble auparavant.

Ceux qui apprécient ses méthodes d’enseignement lui sont très dévoués, et Emmy le leur rend bien. Altruiste et patiente, elle favorise par dessus tout les travaux de ses étudiants et n’hésite pas, lors de jours fériés, à donner cours dans des cafés ou même chez elle. Dénuée de vanité, il lui arrive même de laisser à des collègues ou étudiants le crédit de ses propres idées pour les aider à développer leur carrière.

« La plus grande mathématicienne de tous les temps »

Dans les années 1920, Emmy approfondit ses recherches en algèbre abstraite et publie des articles importants sur les idéaux (en mathématiques, un idéal est un sous-ensemble remarquable d’un anneau). Brillants et remarqués, ses travaux et ses publications lui valent de nombreux éloges de la part de confrères mathématiciens. Irving Kaplansky, notamment, qualifie son article de 1921, qui donne naissance au terme d’anneau noethérien, de « révolutionnaire ». Norbert Wiener considère qu’Emmy est « la plus grande mathématicienne qui a jamais vécu, et la plus grande femme scientifique vivante, tous domaines confondus, et une savante du même niveau, au moins, que Madame Curie ». A sa mort enfin, Pavel Alexandrov (célèbre mathématicien russe) dira également d’elle qu’elle était « la plus grande mathématicienne de tous les temps », quand Albert Einstein écrit au New York Times : « Fräulein Noether était le génie mathématique créatif le plus considérable produit depuis que les femmes ont eu accès aux études supérieures jusqu’à aujourd’hui. »

En 1928-29, Emmy travaille quelques temps à l’université d’État de Moscou, où elle poursuit son œuvre de recherche et d’enseignement avant de retourner en Allemagne.  Bien que la politique ne joue pas un rôle central dans sa vie, Noether s’intéresse vivement à la chose politique et, selon Alexandrov, affiche un soutien considérable à la Révolution russe de 1917. Elle est particulièrement heureuse de voir les avancées soviétiques dans les différents domaines des sciences et des mathématiques. Cette attitude lui cause des problèmes en Allemagne, jusqu’à provoquer son éviction de la pension dans laquelle elle logeait après que des responsables étudiants se furent plaints de vivre sous le même toit qu’« une Juive aux penchants marxistes ».

En 1932, elle reçoit reçoit le prix Alfred Ackermann-Teubner. Malgré la reconnaissance de ses pairs, elle n’obtient toujours pas le rang professeur à part entière, ni une juste rétribution de son travail. La reconnaissance de ses confrères s’exprime cependant en septembre de la même, lorsque Emmy est sollicitée pour une conférence plénière lors du congrès international des mathématiciens à Zurich.

En 1933, Adolf Hitler devient chancelier. Dès le mois d’avril, il promulgue une loi écartant les fonctionnaires juifs de leur position. Juive, Emmy se voit retirer sa position d’enseignante à l‘université de Göttingen . Dans un climat délétère, elle accepte la situation et poursuit malgré tout recherche et enseignement, accueillant ses étudiants dans son appartement. Ses collègues juifs licenciés et elle cherchent un emploi à l’étranger, et le Bryn Mawr College (à proximité de Philadelphie) lui propose rapidement un poste qu’elle accepte. Aux Etats-Unis, elle entame des cycles de conférence et poursuit ses recherches auprès de mathématiciens de la région.

Elle meurt d’une tumeur en 1935 à l’âge de 53 ans. Pendant les semaines suivantes, les hommages fleurissent dans le monde entier pour celle qui a été l’une des plus grandes mathématiciennes de son temps.

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