Les plantes versus le monde : une guerre millénaire

Ce dossier a été réalisé par Cloé Villard, doctorante en biologie au laboratoire Agronomie et Environnement de Nancy, et présentée par elle dans l’épisode Podcast Science #365.

Partie 1 : L’information est le nerf de la guerre

      I.         Introduction sur la badassitude suprême des plantes

Aujourd’hui, on va donc parler de plantes.
Mais si je vous parle de plantes, il y a des chances pour que la première image qui vous vienne à l’esprit soit celle d’un petit machin vert avec de belles fleurs colorées qui sentent bon. Un petit truc qui ne bouge pas, qui ne fait pas de bruit et dont le seul intérêt serait de mettre un peu de couleur au fond de votre jardin. Bref, un truc passif qui n’intéresse que quelques illuminées comme Eléa ou moi ! Pourtant, quand on prend le temps de les examiner d’un peu plus près, on se rend compte que les plantes ne sont pas si inintéressantes que ça, bien au contraire : d’abord, les plantes sont à la base de notre alimentation, ce qui n’est pas négligeable. Ensuite, elles maîtrisent des technologies de pointe comme l’exploitation de l’énergie solaire via la photosynthèse, ou encore le clonage, qui leur permet de se reproduire de façon asexuée.

Mais malgré ça, les plantes ont une image qui leur colle à la chlorophylle : comme elles ne se déplacent pas et qu’elles se présentent sous des formes fines et délicates, on a souvent tendance à penser qu’elles sont faibles et vulnérables, à la merci de la première chenille qui voudra les grignoter.

Image réalisée par Cloé Villard

Eh bien, laissez-moi vous dire que cette idée ne pourrait pas être plus fausse : les plantes ne sont pas de petits êtres innocents et vulnérables, ce sont des vétérans rompus aux arts de la guerre qui n’ont aucune pitié pour leurs attaquants. Ainsi, la chenille qui voudra mettre une plante à son menu à intérêt de bien se préparer si elle ne veut pas que son petit déjeuner ait raison d’elle.

Vous en doutez ? Revenons un peu en arrière : les premières plantes terrestres sont apparues il y a quelques 470 millions d’années tandis que la terre s’est mise à grouiller d’insectes il y a 320 millions d’années. Cela fait donc des centaines de millions d’années que les plantes sont prises pour cibles par de nombreux herbivores. Mais malgré ces millions d’années d’attaques acharnées, les plantes n’ont pas disparu. Elles sont toujours là, très nombreuses, sous des formes très diverses et dans des environnements très différents ! Cette explosion végétale montre bien que, même si elles ne peuvent pas prendre leurs jambes à leur cou quand un attaquant pointe le bout de son nez, les plantes ont trouvé des moyens pour survivre et résister à tous ceux qui essaient de les dévorer, encore… et encore… et encore ! Elles ont même survécu aux attaques de gros dinosaures herbivores, c’est dire. Mais ce qui est encore mieux, c’est qu’après ces millions d’années à être confrontées à des ennemis variés, les plantes ont développé des défenses impressionnantes qui sont un savant mélange entre fortifications, armes physiques, armes chimiques, ou même alliances de guerre. Oui, oui, vous avez bien entendu. Fortifications, armes et alliances.

Image réalisée par Cloé Villard

Car contrairement à ce que l’on pourrait penser, cette guerre qui se déroule au quotidien entre les plantes et le reste du monde est une succession de combats épiques et acharnés dignes des plus grands films Hollywoodiens. Ainsi, si vous êtes prêts à oublier vos idées reçues selon lesquelles les plantes seraient frêles et vulnérables, je vous souhaite la bienvenue dans ce monde fascinant mais ô combien dangereux qu’est le royaume végétal.


Vous l’aurez compris, je vais vous présenter un dossier sur la défense des plantes, mais comme il y a énormément de choses à dire là-dessus, ce dossier va être découpé en deux émissions. Et ça tombe bien puisque deux choses sont indispensables quand on veut survivre à une bataille : bien sûr, il faut être équipé d’armes et d’armures suffisamment efficaces pour résister aux coups portés par l’ennemi et pour le mettre en déroute… Mais disposer des meilleurs équipements est complètement inutile si l’on ne dispose d’aucun système d’information et de surveillance. Par exemple, vous aurez beau posséder l’arme ultime vous permettant de repousser n’importe quel attaquant, si vous n’entendez pas votre ennemi s’approcher en douce derrière vous, il pourra vous trancher la gorge avec un simple couteau avant même que vous n’ayez eu le temps de réaliser ce qui vous arrive. Et bien pour les plantes, c’est pareil : l’information est le nerf de la guerre.


Aujourd’hui, je vais donc vous présenter les attaquants des plantes et vous parler des systèmes d’information, de surveillance et d’alerte qui sont impliqués dans les défenses végétales. C’est-à-dire qu’on va sonner le branle-bas de combat et rassembler les troupes pour préparer la plante à l’affrontement brutal que je vous prépare pour la prochaine fois. Au passage, petit teaser : le prochain épisode devrait satisfaire les esprits les plus sadiques puisqu’on se concentrera sur les mécanismes qui permettent à la plante, non seulement de résister aux assauts de l’ennemi, mais aussi de le repousser, de le torturer, de l’engluer, de l’empaler, de l’empoisonner, de le droguer, ou de le piéger de milles autres façons… Bref, que des réjouissances, car vous allez voir : les plantes sont des organismes ultra-badasses qui ne laissent rien au hasard.

II. Avant de commencer :  bases et enjeux liés à la défense des plantes

OK. Avant de rentrer dans le vif du sujet, j’aimerai commencer par vous sensibiliser rapidement aux enjeux liés à la défense des plantes. En agronomie, la protection des cultures est un sujet primordial car même si les plantes savent se défendre par elles-mêmes, les conditions dans lesquelles on les cultive en font des proies faciles pour leurs attaquants. Pourquoi ? Deux raisons : Déjà, parce que les conditions de culture visent à optimiser la croissance et la production, ce qui peut se faire au détriment de la défense. Mais aussi parce que généralement, quand on plante un champ de blé, on ne veut que du blé à cet endroit-là. Voire, qu’une seule variété de blé. Voire, que des blés avec le même matériel génétique. C’est-à-dire, un champ entier de plantes qui ont toutes plus ou moins les mêmes défenses. Et ça, c’est une véritable aubaine pour les ravageurs, puisque la bébête qui réussira à surmonter les défenses d’une plante pourra venir à bout de n’importe quelle plante de ce champ. Et une culture qui ne réussit pas à se défendre, ça se traduit par des réductions de rendement et une qualité de récolte altérée qui peut conduire à des risques sanitaires. Autrement dit, vous risquez de ne plus rien avoir à manger car ce qui n’aura pas été englouti par les herbivores sera abimé par la maladie au point d’en devenir impropre à la consommation.

Protéger nos cultures et les aider à se défendre de façon efficace et durable est donc essentiel, mais ce n’est pas une chose facile, au contraire, c’est tout un art. Et pour y arriver, il est très important d’étudier et de comprendre les mécanismes de défense des plantes.

Ceci étant dit, je vais fermer cette parenthèse sur l’agriculture, parce que je ne vais pas vous présenter la défense des plantes vue par un agriculteur qui essaie de protéger ses cultures… mais plutôt vous présenter la défense des plantes… vue par les plantes elles-mêmes. Et pour vous permettre de mieux comprendre tout ce qui va suivre, on va faire une petite expérience immersive, dans la peau d’une plante.

Je vais donc vous demander de fermer les yeux un instant. Fermez les yeux et imaginez que vous êtes une plante, au milieu d’un champ. Ou plutôt, imaginez que vous êtes le maître d’une petite forteresse solidement enracinées au milieu d’un champ de bataille – C’est la même chose.

Image réalisée par Cloé Villard

Au cœur de votre plante-forteresse se cachent des trésors qui doivent être défendus à tout prix contre les ennemis qui veulent s’en emparer. Ces trésors, ce sont des ressources et de l’énergie, des « briques élémentaires du vivant » dont ont besoin tous les organismes pour se développer. Les plantes, en réalisant la photosynthèse, sont capables de produire ces ressources à partir d’énergie lumineuse et d’éléments minéraux. Mais tous les organismes ne sont pas capables de le faire, loin de là. Alors, pour obtenir les ressources et l’énergie dont ils ont besoin, les organismes qui ne savent pas les fabriquer eux-mêmes choisissent de s’attaquer à ceux qui les possèdent… pour leur dérober… Les plantes, par exemple. Ainsi, si une vache broute de l’herbe, c’est pour récupérer les ressources et l’énergie contenue dans cette herbe… Mais, vous vous en doutez bien, la vache n’est pas le seul ennemi des plantes, loin de là : il y a des armées entières d’herbivores qui guettent, tapis dans nos villes et dans nos campagnes.

Au cœur du royaume végétal, vous êtes donc une petite plante-forteresse qui abrite de précieux trésors derrière ses murailles. Vos trésors sont convoités par des hordes d’ennemis qui vont tenter de vous piller en utilisant des stratégies variées : d’abord, il y a de gigantesques dragons capables de détruire un pan entier de votre forteresse d’un simple coup de griffe – ces dragons, on le verra juste après, ce sont par exemple de grosses vaches. Ensuite, il y a des armées de soldats qui utiliseront leur nombre pour créer une brèche dans vos murailles. Et enfin, il y a des espions qui tenteront de s’introduire dans votre forteresse et de subtiliser le plus de ressources possibles sans laisser la moindre trace de leur présence. Ces agresseurs peuvent lancer l’assaut à tout moment et attaquer de façon répétée, jour après jour, sur plusieurs fronts et avec plusieurs armées… ou alors, ils peuvent se cacher quelque part, pendant des mois, pour peaufiner de nouveaux plans d’attaques qui vous prendrons au dépourvu. Face à ces dangers multiples qui peuvent vous tomber dessus n’importe quand, comment survivre ? Comment empêcher l’ennemi d’envahir votre forteresse, de la piller, et de vous laisser pour mort ? La réponse est simple : il faut vous défendre. Il faut vous défendre en surveillant vos ennemis et en préparant une riposte foudroyante. Pour ça, placez des guetteurs qui verront approcher les armées ennemies. Quand cet ennemi est repéré, sonnez l’alarme dans toute la forteresse pour regrouper vos troupes et préparer votre défense. Niveau riposte, tous les moyens sont bons : renforcez vos murailles pour les rendre impénétrables, affûtez vos lames, faite bouillir de l’huile à verser sur vos ennemis et surtout, n’ayez aucune pitié, pas même pour la progéniture de vos ennemis, car lorsqu’ils décideront de lancer l’assaut contre vous, les batailles seront rudes, acharnées, et mortelles. Vous l’aurez compris, si vous espérez avoir la moindre chance de survie dans ce royaume où tout veut votre peau, rien ne devra être négligé.

Appliqué à une forteresse gorgée de trésors, ce plan défensif vous semble sans doute très logique. Voire peut être même un peu simplet. Mais certainement très éloigné de ce que vous savez des plantes. Pourtant, si j’ai pris du temps pour vous raconter cette histoire à base de forteresse et que j’insiste lourdement là-dessus, c’est vraiment parce que toute la logique et la mécanique défensive des plantes, parfois très complexe, peut être expliquée en suivant ce plan très simple.


On va donc tout de suite commencer à mettre cette analogie en application.

La première chose à savoir, c’est que les plantes disposent de deux types de défenses directes : les défenses dites constitutives, et les défenses induites. Les défenses constitutives sont des défenses toujours actives qui assurent une protection basale à la plante ; elles correspondent en quelque sorte aux murailles de la forteresse : au début, c’est long de construire une muraille bien fortifiée, mais une fois en place, cette muraille ne bouge plus et s’avère plutôt efficace pour retenir la plupart des agresseurs au dehors. Les défenses constitutives sont donc assez efficaces mais elles ont un inconvénient majeur : elles ne visent pas à lutter contre un ennemi particulier, elles ne sont donc pas spécifiques et sont peu économiques. Si une meute de loups ou une armée de cavaliers arrive devant vos murailles, ils auront probablement du mal à les franchir et à rentrer dans votre forteresse… Mais si un dragon décide de vous attaquer, il survolera votre muraille d’un seul coup d’aile. Il va donc vous falloir mettre en place des défenses plus adaptées pour lui survivre, et c’est là qu’entre en scène la seconde catégorie de défense des plantes, qui sont les défenses dites induites. Les défenses induites ne sont activées qu’après un stress, quand la menace a été repérée et identifiée, elles sont donc bien plus spécifiques et économiques puisqu’elles visent à répondre à un attaquant donné et qu’elles ne sont activées que lorsque la plante a repéré cet attaquant. Par exemple, si vous voyez un dragon qui se dirige sur votre forteresse, vous allez courir chez votre maître-empoisonneur et lui demander de préparer un poison foudroyant ; poison dont vous pourrez enduire vos flèches pour abattre le dragon. En temps normal, vous ne fabriquez pas ce poison parce que, non seulement il n’est efficace que sur les dragons, mais en plus, il est très difficile à fabriquer et demande des ingrédients rares et chers… Mais là, vous n’avez pas le choix, il y a un dragon, alors vous déliez votre bourse et vous faites préparer le poison. Et normalement, si vous avez été attentif, c’est là que vous comprenez tout l’intérêt des systèmes de surveillance de la plante : vous n’allez décider de préparer votre poison anti-dragon que lorsque vous savez qu’un dragon est dans les parages… Et de la même façon, l’activation des défenses induites de la plante ne se fait qu’après détection d’une attaque. Pour bien défendre votre plante-forteresse, il est donc indispensable de commencer par faire un tour du côté des guetteurs et des services secrets qui permettent de repérer les attaquants afin de régir au bon moment et avec les défenses appropriées. Et pour être un bon guetteur, il est indispensable d’apprendre à connaître ses ennemis car ce n’est qu’en sachant qui ils sont, à quoi ils ressemblent et comment ils attaquent qu’on va pouvoir les débusquer, les identifier, et déployer contre eux les défenses les plus adaptées.

On va donc enfin attaquer le cœur du sujet et faire un petit tour d’horizon du côté des ennemis des plantes. Et pour ça, je vais vous faire participer un peu : Est-ce que vous avez une idée de qui sont les ennemis des plantes ? Qui sont ces attaquants contre lesquels les plantes vont devoir se défendre ?

III. Quand le monde entier veut vous croquer : les attaquants

A.   Les animaux

Alors, on va commencer par la catégorie la plus simple et la plus évidente car c’est celle qui nous est la plus familière : les plantes se font attaquer par des animaux, que ce soient des mammifères comme les vaches, ou des insectes comme les chenilles.

On va commencer par les mammifères herbivores.


Photo de Photo de Dakota Langlois

Vaches, lapins, chèvres ou même éléphant, chaque espèce a ses préférences culinaires, met différentes espèces végétales à son menu et ne s’attaque pas aux mêmes parties des plantes : certains, comme les vaches, s’attaquent aux parties aériennes, c’est à dires aux feuilles, tiges, fleurs et fruits tandis que d’autres s’attaquent aux parties souterraines. C’est par exemple le cas de petits rongeurs qui adorent grignoter des racines ! Pourtant, tous ces mammifères attaquent de la même manière : que ce soit en une bouchée pour une vache ou en 50 coups de dents pour un rongeur, ils ingèrent des parties entières de la plante – des organes entiers – sans faire le tri entre les différents tissus végétaux. Pour une plante, l’attaque d’un herbivore ressemble un peu à une attaque de dragon sur notre forteresse : rapide, brutal et foudroyant. Des pans entiers de la forteresse sont détruits en quelques coups de dents.

Mais les mammifères ne sont pas les seuls animaux dont la plante doit se méfier… Bien plus petits mais tout aussi dangereux, il y a de nombreux arthropodes herbivores : des insectes, bien sûr, mais il y a aussi des acariens et des myriapodes herbivores. Les acariens, ce sont ces bébêtes microscopiques que l’on retrouve un peu partout, y compris dans nos draps de lits. Les myriapodes, ce sont les millepattes et autres bestioles grouillantes avec beaucoup beaucoup trop de pattes.  Contrairement aux mammifères, les arthropodes attaquent les plantes de façon plus ciblée. Le cas le moins original est celui des bébêtes comme les chenilles, qui macèrent les tissus foliaires.


Photo de Daniel Mietchen

Une chenille, ça grignote des morceaux entiers de feuille et ça les avale sans grand discernement… Les chenilles attaquent donc plus ou moins comme les mammifères, mais à échelle réduite, ce qui fait d’elles des mini-dragons ! Encore une fois, il ne faut pas oublier les attaquants qui viennent du sol puisque de nombreuses larves de coléoptères s’attaquent aux racines. Mais si on veut un peu plus d’originalité, on peut se tourner vers les araignées rouges, aussi appelées tétranyques.


Photo de Gilles San Martin

Alors contrairement à ce que leur nom laisse penser, les araignées rouges ne sont pas des araignées ; ce sont des acariens. Elles font moins d’un mm de long et elles se nourrissent exclusivement du contenu des cellules épidermiques des plantes. Elles ne grignotent donc pas de feuilles entières et ne mangent même pas les cellules dans leur intégralité : elles se contentent de percer une cellule à la surface de la plante et de siroter son contenu. C’est exactement la même chose quand vous plantez une paille dans une brique de jus de fruit : vous percez juste un petit trou à la surface et vous buvez tout le jus grâce à votre paille. Et d’autres insectes comme les pucerons et les cicadelles ont poussé le concept de la paille encore truc plus loin car ils se nourrissent exclusivement de la sève élaborée de la plante, qui est riche en sucres.


Photo de  Shipher Wu et Gee-way Lin

Pour se nourrir, un puceron perce la surface d’une feuille et déroule une espèce de trompe qu’il utilise pour fouiller dans les tissus végétaux, en se déplaçant entre les cellules, jusqu’à localiser un vaisseau conducteur de sève élaborée. Une fois le vaisseau localisé, il le perce et n’a plus qu’à boire jusqu’à plus soif. Et pour un puceron, « plus soif », ça peut représenter des heures et des heures de sirotage ininterrompu si la plante ne parvient pas à le déloger. En gros, les pucerons font passer nos moustiques pour de simples amateurs…


Mais il nous manque encore quelques animaux herbivores : d’abord, des gastéropodes comme les escargots et les limaces…


Photo de Dcschmidt

Rien de neuf avec eux ; ils mangent des organes végétaux entiers. Petit fun-fact au passage, pour se nourrir, les escargots et les limaces râpent les plantes grâce à leur langue dentée qu’on appelle la « radula ». Un peu comme une râpe à fromage sur du parmesan, quoi. Voilà, c’était cadeau.


Et enfin, animaux un peu moins connus : les nématodes.

Alors les nématodes, ce sont des genres de vers qui peuvent se nourrir de détritus, être carnivores, ou encore être parasites. Certains nématodes parasites s’attaquent aux champignons, d’autres aux animaux et d’autres encore aux plantes. Les nématodes parasites de plantes se présentent sous la forme de minuscules vers qui ne dépassent généralement pas 1 ou 2mm de long. Ils vivent dans le sol, s’attaquent aux racines des plantes et peuvent causer des maladies. Par exemple, les nématodes à galles infestent les racines des plantes, sucent leurs nutriments, et, comme leur nom l’indique, provoquent l’apparition d’excroissances sur les racines, qu’on appelle des galles. Les galles, c’est un peu l’équivalent des tumeurs chez les humains, mais sans le côté invasif et dispersif du cancer.

Mais on va s’arrêter là avec les animaux et faire un tour du côté des ennemis des plantes qui nous sont un peu moins familiers. On va donc quitter le règne animal et s’intéresser aux microorganismes pathogènes, c’est-à-dire à ceux qui provoquent des maladies. Certains champignons par exemple.

B.  Les pathogènes : champignons, bactéries, virus

Chez les champignons, on trouve un peu de tout : certains jouent des rôles très importants pour la biosphère tandis que d’autres ont choisi la voie du parasitisme, pour le plus grand bonheur de Taupo. Certains champignons parasitent des plantes et sont responsables de maladies aux noms poétiques et imagés comme la pourriture grise, la rouille ou encore la fusariose.

Fusariose – photo de Scott Nelson

On qualifie ces champignons de « phytopathogènes » : « phytos », en grec, c’est la plante, donc phytopathogène signifie littéralement « pathogène de plante ». Un champignon, c’est un peu un ninja discret et retord qui s’infiltre en douce dans la forteresse pour mieux la détruire de l’intérieur. Par exemple, un champignon peut arriver sur une plante sous forme d’une spore, toute légère, transportée par le vent. C’est-à-dire sous une forme quasi-indétectable. Dans les bonnes conditions, la spore posée sur la plante germe et tente de rentrer dans les tissus végétaux. Pour ça, le champignon sécrète des enzymes qui endommagent la surface de la plante et il développe une structure spécialisée appelée « appressorium » qui lui permet de faire pression sur la surface de la plante.


Meng et al, 2009, Common processes in pathogenesis by fungal and oomycete plant pathogens, described with Gene Ontology terms

Si le champignon appuie assez fort avec son appressorium, il peut briser la couche externe qui recouvre la surface de la plante et donc se créer un petit trou dans lequel il va insérer ses structures. Ça y est, le champignon est rentré dans la plante, il va pouvoir la coloniser et se multiplier.

Mais une fois que notre champignon-ninja a pénétré dans la forteresse, il peut choisir, soit de semer le chaos et la destruction, soit de subtiliser en douce des ressources. Les champignons parasites de plantes peuvent en effet être séparés en plusieurs catégories. D’un côté, il y a des champignons nécrotrophes, qui se nourrissent de tissus végétaux morts. De l’autre, il y a les champignons biotrophes qui se développent à l’intérieur de tissus végétaux vivants. Et entre ces deux camps, il y a les hémibiotrophes qui ont eu du mal à choisir et ont donc une phase initiale biotrophe avant de devenir nécrotrophes. Les stratégies d’attaque de ces champignons sont très différentes : les nécrotrophes se nourrissent de tissus morts, ils ont donc tout intérêt à tuer les cellules végétales qu’ils envahissent, le plus rapidement possible, afin que la plante n’ait pas le temps de se défendre. Pour ça, ils produisent des enzymes et des molécules qui dégradent les parois et mettent hors d’action les cellules végétales : en gros, ces champignons détruisent et macèrent les cellules végétales pour récupérer les ressources qu’elles contiennent. C’est le chaos total. Exemple de champignon nécrotrophe : Botrytis cinerea, qui est responsable de la pourriture grise de la vigne.

Botrytis cinerea – photo par Olivier Colas

Alors, pour ceux qui ne peuvent pas voir les images dans la chatroom, les grappes de raisins attaquées par ce champignon brunissent et pourrissent, les feuilles aussi montrent des symptômes comme le brunissement… Bref, c’est pas très ragoutant.

A l’inverse des champignons nécrotrophes, les champignons biotrophes ne peuvent survivre que dans des tissus végétaux vivants, c’est-à-dire que si la plante meurt, eux aussi. Ils vont donc développer des structures spécialisées qui leur permettent de prélever les nutriments des cellules végétales tout en les maintenant en vie. Ils vont donc affaiblir la plante, mais ne la tueront pas : ce sont des parasites obligatoires : si la forteresse s’écroule quand ils sont dedans, ils n’en réchapperont pas. Côté champignon biotrophe, il y a par exemple les rouilles, qui provoquent l’apparition d’espèces de pustules orange, ou encore les oïdiums qui font apparaître un feutrage, une sorte de poudre farineuse blanc-grise à la surface des plantes.


Carvalho et al. (2011): Cryptosexuality and the Genetic Diversity Paradox in Coffee Rust, Hemileia vastatrix. PLoS ONE 6(11): e26387.
Photo par Rasbak


Autres microorganismes qui peuvent s’attaquer aux plantes : les bactéries. Toutes les bactéries ne sont pas des ennemis des plantes, au contraire, elles ont souvent des rôles importants et bénéfiques dans les écosystèmes, comme par exemple la fixation d’azote qui est quelque chose de très utile pour le métabolisme de la plante. Pourtant, quelques bactéries sont des parasites qui s’attaquent aux plantes et leur causent des dommages sévères. Pour s’infiltrer dans une plante, une bactérie doit trouver un point d’entrée, qu’il s’agisse d’une ouverture naturelle comme un stomate, ou encore d’une blessure. Une fois dans la plante, les bactéries agissent comme les champignons nécrotrophes : elles utilisent des enzymes pour casser la paroi des cellules végétales, ainsi que des molécules toxiques pour mettre hors d’action la machinerie de la plante. Si vous vous demandez à quoi peut bien ressembler une plante attaquée par une bactérie, on peut prendre l’exemple de Pectobacterium carotovorum : chez la pomme de terre, cette bactérie cause des symptômes de pourriture molle, c’est-à-dire que la pomme de terre est transformée en bouillie liquide de nutriment pour la bactérie.

Pourriture noire – Gérald Holmes

Concrètement, votre patate devient noire, toute molle et franchement dégoutante.


On passe aux attaquants suivants : les virus et les viroïdes. Encore plus petits que les bactéries, ces agresseurs sont à la limite de la définition du vivant : un virus, ce n’est même pas une cellule complète, c’est juste un petit peu d’information génétique protégé dans une enveloppe de protéines. Certains virus s’attaquent aux plantes mais ils ne peuvent généralement pas rentrer tout seuls dans les tissus végétaux. Ils profitent donc d’hôtes comme les pucerons pour sauter d’une plante à une autre. Une fois en place, le mécanisme d’attaque d’un virus qui s’en prend à une plante est plus ou moins identique aux virus qui infectent les animaux : le virus entre dans la cellule et utilise la machinerie cellulaire de son hôte pour se multiplier et coloniser toujours plus de terrain. L’un des virus végétaux les plus classique est le virus de la mosaïque du tabac.

Mosaïque du tabac, R.J. Reynolds

Si on lui a donné ce nom, c’est parce qu’il s’attaque au tabac et provoque des symptômes parmi lesquels une coloration des feuilles très caractéristique, en mosaïque de verts. Mais encore plus petits que les virus, il y a les viroïdes. Alors eux, ils sont simplement constitués d’un peu d’information génétique. Et… C’est tout. Pas de protection autour, rien. Et malgré ça, on connaît au moins une quarantaine de maladies de plantes causées par des viroïdes. Par exemple, le cadang-cadang, qui est un viroïde répandu aux Philippines, et qui tue chaque année un million de cocotiers dans le monde. Au calme.

C.  Plantes parasites et compétition entre plantes

Mais même après les virus, on n’a pas encore fait le tour des ennemis des plantes. Il nous en manque encore un : les plantes elles-mêmes. Vous connaissez certainement ce vieil adage qui dit que l’homme est un loup pour l’homme, mais maintenant vous saurez que la plante peut aussi être un loup pour la plante. Un loup… ou plutôt un parasite puisqu’il existe des plantes qui en parasitent d’autres ! Certaines plantes parasites de plantes possèdent de la chlorophylle tandis que d’autres en sont dépourvues ; c’est par exemple le cas des cuscutes.

Cuscute – Fritz Geller Grimm

Les cuscutes sont des plantes parasites qui s’enroulent autour des tiges de leurs hôtes et développent des structures spécialisées nommées haustoriums ou suçoirs. Ces structures permettent à la plante parasite de s’insérer dans son hôte et de se lier à son système vasculaire. Une fois en place, la cuscute siphonne tranquillement l’eau, la matière organique et les autres ressources du malheureux hôte qui se fait complètement vider… Mais même sans aller dans les cas de parasitisme, les plantes se font la guerre et peuvent délibérément libérer dans le sol des molécules toxiques qui empêchent les autres plantes de pousser ; c’est un exemple de ce qu’on appelle l’allélopathie. Par exemple, le noyer libère dans le sol de la juglone ; il s’agit d’une molécule allélopathique qui est toxique pour de nombreuses autres plantes et c’est à cause de cette juglone que vous ne pouvez pas faire pousser n’importe quoi au pied d’un noyer. Cette compétition entre plante commence parfois dès la germination d’une graine : en empêchant les autres graines de pousser, la première qui se développe s’assure ainsi un accès privilégié à la lumière, à l’eau et aux minéraux, qu’elle n’aura à partager avec personne d’autre.

D.   Ne confondez pas amis et ennemis !

Bref, vous aurez bien compris que les plantes ne vivent pas dans un monde de bisounours mais plutôt dans un monde ou de très nombreux agresseurs veulent les croquer et subtiliser leurs ressources. Ces ennemis sont de taille variable, s’attaquent à différentes parties de la plante et utilisent différents mécanismes d’attaques. Pour résumer de façon simplifiée, il y a des animaux herbivores qui croquent les plantes, des arthropodes piqueurs-suçeurs qui les sirotent grâce à une paille, et des microorganismes pathogènes qui rendent les plantes malades. Les enjeux pour la plante ne sont donc pas les mêmes et les mécanismes de défense à activer non plus. Il est donc impératif pour la plante de reconnaître et d’identifier précisément l’ennemi auquel elle est confrontée. Pire, la plante ne doit pas confondre ses amis avec ses ennemis, car j’ai peut-être un peu exagéré sur un point : la plante n’a pas que des ennemis, elle a aussi des amis qu’elle a tout intérêt à ne pas tuer par mégarde ! Côté animaux, on pensera surtout aux pollinisateurs et aux frugivores qui participent à la dispersion des graines.

Pollinisateur – Nicolas Guérin

Côté microorganismes, de nombreux champignons et bactéries établissent des symbioses très importantes avec les plantes. Un mycorhize, par exemple, est le résultat d’une association étroite entre une racine et un champignon ; ce qui permet à la plante d’étendre considérablement la surface de sol exploitée pour puiser eau et minéraux.

Magnus Manzke

De leur côté, les bactéries les plus connues pour établir des symbioses avec les plantes sont sans doute les bactéries du genre Rhizobium qui forment des petites boules sur les racines des plantes, qu’on appelle des nodosités et qui permettent aux plantes de fixer de l’azote atmosphérique.

Stdout

Et enfin, les plantes entre elles peuvent également s’entraider au lieu de se faire la guerre, mais ça, on en parlera un petit peu à la fin.

IV.         Repérer et identifier ses attaquants pour déclencher ses défenses :

A.   De l’importance de savoir où sont nos ennemis

Pour l’instant, on a donc identifié qui étaient les ennemis des plantes. Maintenant, on va passer au deuxième axe de cet épisode et apprendre à repérer ces ennemis pour activer les défenses de façon optimale. Je m’explique : une plante qui détecte la présence d’une chenille avant que la chenille ne commence à la dévorer gagne du temps pour déclencher ses défenses induites et se préparer à l’attaque imminente ! Et même une fois que l’attaque est lancée, la plante doit localiser le lieu de l’agression et identifier son agresseur afin d’activer les bonnes défenses aux bons endroits. Ça ne sert par exemple à rien de déclencher des défenses anti-chenille au niveau d’une feuille si c’est la feuille d’en dessous qui est attaquée par des pucerons.

Les plantes doivent donc repérer leurs ennemis et les identifier… sauf que les plantes n’ont pas d’yeux. Elles ne peuvent donc pas voir leurs ennemis approcher, ni les reconnaître de visu. J’ai donc une nouvelle petite question participative pour vous éviter de vous endormir : est-ce que vous connaissez quelques systèmes de détection des plantes, ou est que vous avez une idée de la façon dont les plantes réussissent à identifier leurs agresseurs, sachant que certains de ces agresseurs sont – littéralement – de grosses vaches tandis que d’autres sont de minuscules spores de champignons facilement transportées par le vent… ?

B.   Détecter des stimuli physiques ?

Alors, la grande question, c’est est-ce qu’une plante peut sentir quand on la touche et réagir en conséquence ? Et de façon plus générale, est-ce qu’elle peut détecter des stimuli d’ordre mécanique et physique ? Je vous le donne en mille, la réponse est oui. Les plantes sont capables de détecter des stimuli d’ordre physique.

On va commencer par parler des plus évidents, les stimuli mécaniques. De façon assez classique, on peut penser aux mimosas pudica, la fameuse plante sensitive, et aux plantes carnivores comme les Dionées. Si vous touchez les feuilles d’un mimosa pudica, il va les refermer. Si un insecte touche les poils sensitifs qui sont positionnés au fond des pièges des Dionées, cette plante carnivore va refermer son piège sur l’insecte. Ces plantes-là ont donc des mécanismes bien particulier qui sont parfaitement adaptés à la détection de stimuli mécaniques et qui conduisent à une réponse immédiate et visible. Mais quand est-il des autres plantes, celles qui ne bougent pas quand on les touche et qui n’ont pas l’air d’avoir de mécanisme particulièrement spécialisé dans la détection de bébêtes ? Et bien ces plantes-là aussi sont capables de détecter des stimuli mécaniques, parfois très léger, et d’y répondre en déclenchant des réactions de défense.

D’abord, les plantes ont beau ne pas ressentir la douleur au sens où on l’entend nous en tant qu’humain, elles sont capables de détecter les blessures et les dommages mécaniques qu’elles subissent… et d’y répondre en conséquence. Cette détection s’appuie sur des mécanismes chimiques que je vais détailler juste après. Pour commencer assez simplement, cela signifie que, dès qu’un attaquant blesse une plante, la plante sait qu’elle est agressée à tel endroit. Ainsi, quand une chenille croque dans une plante, elle la blesse volontairement et trahit sa présence. Mais la chenille peut aussi blesser la plante involontairement et donc se trahir avant même d’avoir commencé à manger et ce, grâce aux trichomes.

Photo de very human

Les trichomes, ce sont des espèces de petits poils qui recouvrent la surface des plantes et dont on reparlera longuement dans le prochain épisode. Ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est que ces trichomes peuvent facilement être cassés par les insectes qui marchent sur la plante. Ainsi, une chenille ou même une mouche qui se balade à la surface d’une plante peut casser des trichomes par inadvertance, ce qui équivaut pour la plante à un signal qui dit : je suis passé ici ! En fait, c’est un peu comme dans les films de cambriolage : pour arriver au trésor, le voleur doit traverser des salles avec des faisceaux lasers un peu partout. Si le voleur touche un laser, il déclenche l’alarme et les flics arrivent. Là c’est pareil, sauf que si la chenille casse un trichome, la police ne débarque pas. A la place, la plante répond en activant ses défenses induites. Ce qui est pire, du point de vue d’une chenille !  Repérer un insecte qui se balade avant même qu’il ne plante ses mandibules dans la plante, c’est donc possible, à condition que cet insecte soit un peu maladroit et pose ses grosses pattes partout…


Mais les plantes peuvent aussi se servir de stimuli mécaniques encore plus léger pour augmenter leur défense, grâce à des mécanismes différents et pas forcément très intuitifs. Certains chercheurs se sont amusés à tester la sensibilité des plantes en frottant très doucement la surface de feuilles, sans les abimer. Ces frottements ont légèrement modifié la cuticule de ces feuilles, la rendant plus perméable : la cuticule, c’est la fine couche cireuse qui recouvre les surfaces aériennes des plantes.

Cuticule, quand tu nous tiens

Là où ça devient contre intuitif, c’est que si la cuticule devient plus perméable, les pathogènes peuvent la traverser plus facilement et donc rentrer plus facilement dans les tissus végétaux… Pourtant, les plantes que les chercheurs ont gentiment frottées se sont montrées plus résistantes à l’infection par certains champignons. Pourquoi ? Parce que rendre la cuticule plus poreuse, ça correspond un peu à créer de nouvelles meurtrières dans la muraille d’une forteresse : en créant des meurtrières, on perce des trous dans la muraille, la muraille devient donc un peu moins solide et un peu plus facile à casser… Mais en contrepartie, plus de meurtrière, ça veut aussi dire plus de fenêtres sur l’extérieur, donc plus de possibilités de voir les attaquants arriver. Et c’est exactement ce qui se passe pour les plantes dont on a frotté la cuticule : la cuticule devient plus poreuse et donc un peu plus fragile mais en contrepartie, elle permet un meilleur transfert des composés chimiques qui permettent de repérer les attaquants. La plante est donc un peu endommagée par un stress mécanique, mais elle réussit quand même à en tirer un certain profit.

Et enfin, il y a un dernier type de stimulus d’ordre physique dont je voulais vous parler : il s’agit des vibrations acoustiques. Les sons quoi. Quand une chenille grignote une feuille, elle génère bien malgré elle des vibrations qui sont perçues quasi-instantanément dans toute la plante. La chenille a beau n’être que sur une seule feuille, sa présence est donc *immédiatement* révélée à la plante entière qui interprète ça comme une menace : les feuilles situées loin de la chenille vont ainsi « entendre » cette chenille et répondre en déclenchant des alertes préventives et en activant des défenses chimiques : en gros, une chenille qui mange une feuille, c’est un dragon qui fait un boucan monstre en détruisant l’une des tours de la forteresse. On ne peut plus grand-chose pour cette tour, mais tout le monde dans la forteresse a entendu qu’il y avait un combat en cours. Ainsi, pour se préparer à accueillir le dragon si jamais il lui prenait la bonne idée de changer de coin, tout le monde sort ses armes et installe ses pièges…

La façon dont ces résultats ont été obtenus est assez rigolote : Appel et Cocroft, les deux chercheurs qui ont travaillé là-dessus, ont enregistré les vibrations acoustiques faites par une chenille grignotant une plante et ils ont fait écouter ces vibrations à d’autres plantes qui n’avaient jamais été en contact avec des chenilles. Bingo, en entendant ces enregistrements, les plantes ont activé des défenses chimiques. Mais le plus dingue, c’est que ces chercheurs ont aussi essayé de faire écouter d’autres sons à leurs plantes : ils leur ont fait écouter le bruit du vent, ainsi que la musique que produisent les sauterelles en été. Mais là, la plante n’a pas activé ses défenses, ce qui montre qu’elle est capable de distinguer le bruit d’une chenille qui dévore une feuille de la musique produite par un insecte qui n’essaie pas de la croquer !  

[H. M. Appel ; R. B. Cocroft (2014) Plants respond to leaf vibrations caused by insect herbivore chewing. https://link.springer.com/article/10.1007/s00442-014-2995-6].

Ce qu’on peut retenir de cette étude, c’est donc que les plantes sont mélomanes et que les vibrations acoustiques générées par une chenille qui grignote peuvent servir de signal d’alerte longue distance… ! Alors je n’sais pas vous, mais personnellement, c’est le genre de truc qui me fait rêver… Les plantes n’en finissent jamais de nous surprendre !

C.  Détecter des stimuli chimiques : DAMPs, HAMPs & co

Mais en plus des stimuli d’ordre mécanique, les plantes sont capables de percevoir des stimuli d’ordre chimique. Ces stimuli chimiques, ce sont des molécules ou des fragments de molécules qui indiquent à la plante qu’une attaque est en cours et qui les renseignent parfois très précisément sur l’identité de l’attaquant.

On va commencer par les molécules qui permettent à la plante de détecter leurs blessures, que ce soient des dommages dus à des insectes qui leur marchent dessus, qui croquent dans leurs feuilles, ou même à des pathogènes qui envahissent les cellules végétales. Les molécules impliquées dans la détection des blessures sont appelées les DAMPs, pour Dammage-Associated Molecular Pattern. En français, ça pourrait se traduire par « motifs moléculaires associés aux blessures ». Les DAMPs, ce sont des molécules qui appartiennent à la plante elle-même, mais des molécules qui ont été fragmentées par l’attaque de l’ennemi ou qui se retrouvent à des endroits anormaux à cause de cette attaque. Pour comprendre le principe des DAMPs, imaginez que vous vous baladez dans votre forteresse et que vous découvrez à vos pieds quelques blocs de pierre, complètement brisés, issus de votre muraille. Ces blocs ne devraient pas être brisés ni même être là, ils devraient plutôt être à leur place, c’est-à-dire entiers et solidement collés à d’autres blocs en haut de votre muraille. Vous arriverez donc assez logiquement à la conclusion suivante : si ces blocs – ces fragments de muraille – sont là, à vos pieds, c’est que d’une façon ou d’une autre, votre muraille a été endommagée.  

Et c’est exactement ce qu’il se passe chez la plante, quand elle subit des dommages. Ce raisonnement est assez intuitif pour les animaux herbivores qui ingèrent des morceaux entiers de plantes et génèrent donc de nombreux fragments de molécules en bordure de la zone attaquée ; mais c’est sans doute un peu moins intuitif pour les pathogènes plus discrets comme les champignons. On va donc prendre un peu de temps pour détailler cet exemple-là.

Souvenez-vous de ce que je vous ai dit tout à l’heure : quand un champignon pénètre dans une feuille, il perce la cuticule pour s’introduire à l’intérieur des tissus végétaux. Et même s’il ne fait qu’un tout petit trou, il brise quand même la cuticule, ce qui génère de petits fragments de cuticules endommagés… C’est-à-dire, des petits fragments de muraille qui témoignent qu’il y a une blessure. Sauf qu’autour de cette blessure, les cellules végétales sont intactes et vont donc pouvoir identifier ces fragments de cuticule.

DAMPs –
Martin Heil and Walter G Land, 2014, Danger signals – damaged-self recognition across the tree of life

En fait, à la surface des cellules végétales, il y a des récepteurs spécifiques qui sont capables de reconnaitre des motifs moléculaires bien précis, des motifs comme ceux des fragments de cuticules. Ainsi, quand le champignon pénètre dans la plante, les cellules végétales qui se situent autour de la zone endommagée se retrouvent au contact de petits fragments de cuticule. Ces fragments sont alors reconnus par les récepteurs des cellules et sont identifiés comme des morceaux de la plante elle-même, mais des morceaux brisés et qui ne sont pas à leur place. C’est-à-dire des DAMPs, des motifs moléculaires associés au soi endommagé. La plante en déduit donc que son intégrité physique a été mise à mal, sans doute à cause de l’attaque d’un ennemi… Elle réagit donc en conséquence en déclenchant des mécanismes de défense. Et quand le champignon continue sa colonisation de la plante, c’est la même chose ! Il n’y a pas que la cassure initiale liée à la pénétration de l’ennemi qui peut être repérée ; une fois qu’un intru est dans la place, il va forcément casser ou modifier des trucs sur son passage… Par exemple, si l’agresseur endommage la pectine, qui est un composant des parois végétales, il génère des fragments de pectines qui sont eux aussi identifiés par la plante comme étant des DAMPs. De la même façon, la présence d’ATP en dehors des cellules végétales est une preuve de dommages cellulaires. L’ATP, c’est une petite molécule énergétique qui, en temps normal, n’est absolument pas sensé sortir de la cellule, donc si cette molécule se balade dans le milieu extracellulaire, c’est que la cellule qui la contenait initialement a été endommagée.


Bon, il y a d’autres molécules qui peuvent être reconnues comme des DAMPs mais je ne vais pas toutes les citer. Pour résumer, les DAMPs ont un gros avantage : tous les herbivores et les pathogènes en génèrent à leur insu quand ils attaquent la plante… Mais ces DAMPs ont aussi un inconvénient : que ce soit un champignon, une chenille ou un puceron qui brise la cuticule d’une feuille, le signal est le même et ne permet pas d’identifier les attaquants puisque… un fragment de cuticule… bah c’est juste un fragment de cuticule, peu importe qui a brisé ladite cuticule.

C’est donc ici qu’entrent en jeux d’autres molécules qui vont enfin livrer l’identité de l’agresseur à la plante : il s’agit des HAMPs, des PAMPs, des MAMPs et des NAMPs. Alors, oui, c’est plein de nouveaux noms bizarres, mais respirez un bon coup et rassurez-vous, on va y aller doucement.

Les plantes ne sont pas seulement capables d’identifier des morceaux endommagés d’elles-mêmes, elles sont aussi capables d’identifier des molécules qui appartiennent à leurs ennemis. Les motifs moléculaires qui permettent à la plante de détecter ses propres blessures ce sont les DAMP, avec un « D » au début comme « dommage. »

Maintenant, vous enlever le D de DAMP et vous le remplacez soit par un H pour herbivore, soit par un P pour pathogène, soit par un M pour microbe, soit par un N pour nématode. Et vous obtenez les HAMPs (avec un H), les PAMPs, les MAMPs et les NAMPs. Et le « A.M.P » à la fin de ces acronymes, c’est toujours pour Associated Molecular Pattern, c’est-à-dire « motif moléculaire associé à ». Les HAMPs (avec un H), PAMPs, MAMPs et NAMPs sont donc des motifs moléculaires associés, respectivement, aux herbivores, aux pathogènes, aux microbes et aux nématodes. Là encore, l’idée, c’est qu’à la surface des cellules végétales, il y a des récepteurs qui reconnaissent certains motifs… Sauf que cette fois, ce sont des récepteurs qui reconnaissent spécifiquement des motifs moléculaires caractéristiques de certains attaquants.

Ainsi, certaines protéines présentes à la surface des bactéries sont reconnues par les cellules végétales comme étant des MAMPs – des motifs moléculaires associés aux microbes. Par exemple, la flagelline est une protéine qui constitue le flagelle des bactéries, mais comme c’est une protéine exclusivement bactérienne, elle trahit à coup sûr la présence d’une bactérie dans la plante. La détection de flagelline par certains récepteurs de la plante va donc déclencher l’activation spécifiques de défenses anti-bactéries.

Côté champignons, la cible de choix pour les récepteurs des plantes est plutôt la chitine : la chitine, c’est un constituant essentiel des parois des champignons qui n’existe pas non plus chez les plantes. Une fois reconnue par la plante, la chitine est donc associée à la présence d’un champignon, c’est un PAMP, un motif moléculaire associé aux pathogènes. De leur côté, les nématodes sont trahis par les ascarosides, des petites molécules qui leur sont spécifiques. Ce sont donc des NAMPs, des motifs moléculaires associés aux nématodes. Et là encore, la reconnaissance de ces motifs moléculaires entraîne l’activation de mécanismes de défense.


Et les derniers qu’il nous manque, ce sont les herbivores et leurs HAMPs, avec un h au début. Si je les ai laissés pour la fin, c’est parce que ça devient un peu plus gore avec les insectes. Pourquoi ? Parce qu’en fait, les motifs moléculaires qui trahissent les insectes sont bien souvent contenus… dans leurs sécrétions orales. Petit zoom sur une chenille qui dévore une feuille : en grignotant, la chenille dépose de la salive et régurgite une partie de ce qu’elle mange sur la feuille. Donc oui, je suis en train de vous dire que la chenille vomi et bave constamment sur ce qu’elle mange, et ce n’est pas le seul insecte à le faire, loin de là. Le puceron par exemple, salive beaucoup quand il enfonce sa trompe dans la feuille à la recherche d’un vaisseau conducteur de sève élaborée et, une fois qu’il l’a trouvé, il alterne son sirotage de sève avec des phases de salivation. Si les insectes salivent et régurgitent à tout va, c’est qu’ils ont leur raison : les molécules contenues dans leurs sécrétions orales peuvent faciliter l’attaque en endommageant les tissus. C’est par exemple le cas de la salive du puceron qui fragilise la paroi végétale quand il enfonce sa trompe dedans. D’autres molécules contenues dans ces sécrétions orales permettent aux insectes de supprimer la défense des plantes, mais on reviendra là-dessus un peu plus tard. Ce qui nous intéresse pour l’instant, c’est que certaines des molécules contenues dans les sécrétions des insectes sont reconnues par les plantes comme étant des HAMPs, avec un H pour herbivores. Les insectes sont donc trahis… par leur salive. C’est-à-dire que s’ils bavaient et vomissaient moins, ils passeraient un peu plus inaperçus et déclencheraient moins de défenses !

OK, on va essayer de résumer rapidement tout ce que je viens de vous dire sur les systèmes de détection et de reconnaissance des plantes : en gros, les plantes peuvent détecter leurs ennemis grâce à des indices physiques ou chimiques. Elles peuvent « entendre » les chenilles qui grignotent et repérer les insectes qui galopent à leur surface avant même qu’ils n’attaquent puisque ces gros lourdauds endommagent les trichomes des plantes. Et justement, quand une plante subit des dommages mécaniques, elle peut s’en rendre compte grâce aux DAMPs, ces morceaux de molécules brisées qui ne sont pas là où elles devraient être. Et enfin la plante peut directement identifier certaines molécules « signatures » qui appartiennent à des agresseurs précis. C’est tout bon pour vous ?

Donc si vous avez tout compris, on va pouvoir poursuivre l’histoire et passer au dernier grand axe que je voulais vous présenter : un ennemi est en train d’attaquer une partie de la forteresse mais il a été repéré, localisé et identifié par les guetteurs. Mais avant de se lancer à corps perdu dans la bataille, il reste une dernière chose à faire : il faut sonner l’alerte dans toute la forteresse pour avertir du danger !

V. Les voies de signalisation ou comment diffuser le message d’alerte

A.   Le signalement au sein de la plante elle-même

Alors, vous vous en douterez bien, mais sonner l’alerte chez les plantes, ça ne se résume pas à souffler dans une trompette… Il s’agit plutôt d’activer des voies de signalisation moléculaires, c’est-à-dire envoyer des messages sous la forme de molécules précises en proportions bien dosées. Mais je vous préviens tout de suite : quand on s’intéresse aux voies de signalement des plantes, ça peut vite devenir très compliqué, donc on va juste s’en tenir à la logique de base.

Pour ça, revenons à notre plante qui subit l’assaut d’un ennemi. Quand une cellule végétale est attaquée, ou plutôt, quand elle identifie qu’il y a une attaque, elle active certains de ses mécanismes de défenses : si vous vous souvenez de ce que je vous ai dit au début, il s’agit des défenses induites, par rapport aux défenses constitutives qui sont toujours actives. L’activation de défenses en réponse à l’identification d’un agresseur est appelée « élicitation ». Ainsi, quand une cellule végétale repère une menace, elle active des mécanismes de défense adaptées au danger qu’elle aura identifié. Mais dans les cellules voisines, celles qui n’ont pas subi d’attaque et n’ont pas repéré directement la menace, les défenses sont également activées. Et cette activation peut se propager plus loin dans la plante.

Par exemple, si on infecte les feuilles basses d’un plant de tabac avec le virus de la mosaïque du tabac, les feuilles hautes de ce plant vont devenir plus résistantes au virus alors que, concrètement, elles n’y ont jamais été confrontées ! C’est donc qu’un message a été envoyé depuis les feuilles basses, celles attaquées par le virus, vers les feuilles hautes, celles qui sont encore saines.


Savatin et al. 2014, Wounding in the plant tissue: the defense of a dangerous passage, http:// https://doi.org/10.3389/fpls.2014.00470

Ce message est un message d’alerte qui prépare les feuilles saines pour les rendre plus résistantes à l’ennemi qui sévit plus bas sur la plante – il y a donc une activation de défense généralisée à la plante entière, un peu comme une réponse immunitaire chez nous.

Alors effectivement, si un virus, une chenille ou n’importe quoi, sévit sur une feuille en bas de la plante, il semble plus prudent de défendre aussi d’autres endroits puisque le virus peut s’étendre et la chenille peut se déplacer. Pourtant, ce n’est pas la peine de déployer tout l’arsenal de défense dans les parties trop éloignées du point d’attaque initial. En effet, rien ne dit que l’agresseur ira jusque-là ! Le virus peut être éliminé tandis que la chenille peut passer sur la plante voisine ou même être mise hors combat. Ce serait donc une perte d’énergie et de moyen d’investir dans le déploiement d’un arsenal défensif qui ne servira pas ! Et justement, comme la nature est bien faite, l’induction de défenses généralisées dans tous les tissus se base sur deux mécanismes : d’abord, il y a cette activation directe de certaines défenses dans des zones éloignées du lieu initial de l’attaque… On prend ses précautions, on tend quelques pièges prêts à l’emploi, au cas où. Mais surtout, il y a un second mécanisme qui intervient : « le priming ». Le priming consiste à sonner l’alerte pour mettre les tissus éloignés de la zone de combat en garde ; ce n’est pas un appel aux armes immédiat mais plutôt un avertissement : « attention, tenez-vous prêts, il y a un ennemi qui attaque la forteresse, il pourrait arriver par ici ! » En réponse à ce message, les parties de la plante qui ont été primées ne vont pas activer immédiatement leurs défenses mais plutôt devenir plus promptes à réagir face à un hypothétique ennemi qui montrerait le bout de son nez : la réaction de défense sera ainsi plus rapide à se mettre en place mais aussi plus violente. La défense sera donc plus efficace, et ce, dès le premier signe d’attaque. Cette amélioration des défenses passe notamment par une perception améliorée des signaux ou par leur amplification, mais on ne va pas rentrer dans les détails parce que ça devient vite assez technique. Au final, activer des mécanismes de défense adaptés à un agresseur, c’est bien, mais activer une machinerie défensive depuis zéro, ça demande du temps. Or, plus le temps passe, plus l’ennemi sévit et occasionne des dégâts ! Le priming constitue donc une solution plus qu’acceptable puisque c’est un système de mise en alerte qui prépare à une activation rapide des défenses dès que l’agresseur arrive, il permet donc de limiter les dégâts dus aux délais d’activation des défenses et d’augmenter l’efficacité d’action de ces défenses.

B.  Les messagers : SA et JA

Il y a donc des messages qui circulent dans la plante pour la mettre en alerte et déclencher les défenses. Ces messages sont portés par des molécules signal, et c’est là que ça peut devenir un peu compliqué parce qu’il y a de nombreuses molécules impliquées et qu’elles peuvent interagir entre elles… Mais bon, on ne peut pas vraiment parler de voies de signalisation sans parler des molécules qui sont au cœur de ces voies… Je vais donc y aller doucement et vous présenter ça de façon très simplifiée en ne parlant que de quelques molécules signal qui sont des phytohormones. Les phytohormones, ce sont des « hormones végétales » qui assurent de nombreuses fonctions dans la plante. Les phytohormones clefs pour la défense sont l’acide salicylique et l’acide jasmonique, même si d’autres hormones comme l’éthylène et l’acide abscissique jouent aussi des rôles importants. Ces noms vous diront peut-être quelque chose, surtout pour l’acide salicylique : « acide salicylique » vient du nom latin du saule, salix, dont on utilisait l’écorce pour faire des tisanes contre les fièvres.

Salix alba

De nos jours, on utilise un dérivé de cet acide salicylique pour se soigner : il s’agit de l’acide acétylsalicylique, plus connu sous le nom d’aspirine !

Pour faire simple, on va s’intéresser uniquement aux acides salicylique et jasmonique. L’acide salicylique, c’est la molécule clef impliquée dans les défenses contre les insectes perceur-suceur et les pathogènes biotrophes, c’est-à-dire tout ce qui est puceron, araignées rouges, bactéries et les champignons qui vivent dans les tissus vivants. Au contraire, l’acide jasmonique est l’hormone clef de la défense contre les herbivores et les autres pathogènes nécrotiques : sauterelles, coléoptères, virus, et les champignons qui tuent les tissus qu’ils infectent…

Ceci étant posé, on va revenir au moment où une cellule végétale identifie une menace, et on va regarder ce qu’il se passe au niveau moléculaire. Pour ça, on va reprendre l’exemple de l’attaque d’une chenille : la chenille est un herbivore, ce sont donc les défenses médiées par l’acide jasmonique qui vont être mises en jeu. D’abord, la cellule végétale perçoit l’attaque de la chenille : l’un de ses récepteurs identifie un HAMP, un motif moléculaire associé à un herbivore… Par exemple, de la bave de chenille. Le récepteur détecte donc la bave de chenille, s’active et déclenche des évènements précoces de signalisation qui mènent à la synthèse d’acide jasmonique. Cette hormone végétale permet alors d’activer des gènes de défense efficaces contre les insectes herbivores. Une fois que les gènes sont activés, la cellule se met à produire des armes anti-chenille, et la bataille commence. Ça va, vous suivez la logique?

OK, sauf que ça… c’est la version ultra simplifiée.

Et comme je suis un peu sadique, je vais vous torturer deux minutes en vous donnant quelques explications supplémentaires pour bien vous montrer à quel point les voies de signalisation des plantes sont bordéliques et complexes : revenons au moment où la bave de chenille active un récepteur de la cellule végétale. En fait, lorsque les molécules contenues dans la bave de chenille entrent en contact et se lient avec un récepteur, celui-ci active une cascade d’enzymes. Ces enzymes libèrent alors une molécule particulière au niveau des chloroplastes de la cellule végétale : l’acide α-linoléique. Cet acide α-linoléique subit des modifications et est transporté à un autre endroit de la cellule, le peroxysome. Une fois dans le peroxysome, il est enfin transformé en acide jasmonique. Nous avons donc enfin de l’acide jasmonique, qui peut activer les gènes de défense des plantes… Oui…? Et bien en fait, non: encore une fois ce n’est pas si simple que ça puisque cette activation n’est pas directe : l’acide jasmonique n’agit pas directement sur le gène pour l’activer, ce serait bien trop simple. L’acide jasmonique l’active indirectement en déclenchant des mécanismes qui vont neutraliser des protéines qui, en temps normal, empêchent l’activation du gène. C’est-à-dire qu’en l’absence de menace, il y a des molécules qui empêchent l’activation des gènes de défense mais, une fois la menace repérée, l’acide jasmonique va conduire à la neutralisation de ces molécules. Il n’y a donc plus de répression des gènes de défense. Ces gènes s’activent donc et produisent enfin des défenses !!


Manvi Sharma and Ashverya Laxmi , 2016, Jasmonates: Emerging Players in Controlling Temperature Stress Tolerance,

Ça va, vous suivez toujours ?  Sauf qu’en fait, même là, ce que je viens de vous raconter, ce n’était encore qu’une version simplifiée de la chose… ! Mais bon, si vous préférez, vous pouvez ne retenir que la version ultra-simplifiée, ce sera déjà bien : en gros, les récepteurs de la cellule végétale sont activés par la bave de chenille et déclenchent une cascade d’évènements qui mènent à la production d’acide jasmonique. L’acide jasmonique active alors des gènes qui produisent des défenses efficaces contre la chenille. Ça y est, notre petite cellule végétale se défend activement.

Le principe est plus ou moins le même avec l’autre hormone, l’acide salicylique, à la différence près que cet acide salicylique active d’autres gènes, ceux qui sont efficaces contre les insectes piqueur-suceurs et les pathogènes biotrophes. Et aussi, à la différence près, qu’au niveau moléculaire, les mécanismes pour produire l’acide salicylique et pour activer les gènes de défense sont radicalement différent et c’est encore plus le bordel… Mais je ne vais pas rentrer dans les détails, rassurez-vous!

On vient donc de voir comment les acides jasmoniques et salicyliques étaient produits au niveau des sites attaqués et comment ils activent des gènes de défense, mais il nous manque encore un aspect important lié à ces molécules signal. Tout à l’heure, je vous ai dit que le message d’alarme était propagé depuis les sites attaqués vers d’autres parties de la plante où il déclenche un priming, c’est-à-dire la mise en garde qui prépare une défense plus rapide… Alors je ne vais pas rentrer dans les détails de la propagation du message sinon je vais vous achever… Et en plus – de ce que j’en sais – on n’a pas encore toutes les réponses. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que les phytohormones elles-mêmes ne se déplacent pas de feuilles en feuilles pour propager l’information. Ce qui permet la propagation, ce sont des intermédiaires et même des signaux électriques qui circulent à l’intérieur de la plante. Et quand ces messagers arrivent à un endroit éloigné de la zone attaquée, ils entraînent l’accumulation d’acide jasmonique ou d’acide salicylique, en fonction du message qu’ils transportaient au début, et la plante se met à se défendre en conséquence.


Ainsi, si on prend une plante qui est attaquée par une chenille à un endroit donné, on va se rendre compte qu’il y a un signal de défense fort au niveau de la zone attaquée, c’est-à-dire une concentration en acide jasmonique élevée. Alors attention, quand je dis élevée, c’est relatif puisque les phytohormones agissent à des concentrations qui n’excèdent pas quelques nanogrammes d’hormone par gramme de matière sèche de plante. Mais bon, il y a un signal fort au niveau de la zone attaquée et ce signal est transporté vers les zones distales. Dans les parties de la plante éloignées du lieu d’attaque, le signal sera plus faible, c’est-à-dire que de l’acide jasmonique s’accumulera, mais en quantités relativement faibles. Et c’est là que réside toute la subtilité de la défense des plantes : une cellule végétale donnée va réagir différemment en fonction de la quantité de phytohormones qu’elle reçoit. Le signal fort dans la zone de l’attaque va se traduire par l’activation des défenses alors que le signal plus faible des parties éloignées va plutôt mener à un priming de la zone.

De la même façon, les concentrations relatives en hormones sont très importantes puisqu’elles permettent de prioriser les menaces afin d’y répondre au mieux. Exemple : Si une chenille s’installe sur les branches basses d’une plante, la concentration en acide jasmonique va augmenter à cet endroit. Le message sera transmis au reste de la plante, mais il s’atténuera de plus en plus. Maintenant, imaginons qu’un second ennemi arrive et s’installe cette fois sur les branches hautes : cet ennemi est un puceron, c’est-à-dire un insecte suceur qui ne nécessite pas de déployer le même type de défense que pour la chenille. Cette fois, c’est donc la voie de l’acide salicylique qui est sollicitée. La concentration en acide salicylique augmente donc autour du puceron et les défenses sont déclenchées. Dans les zones distales, la concentration en acide salicylique augmente aussi un peu… Au final, on se retrouve donc avec une plante qui a beaucoup d’acide salicylique en haut à cause du puceron, beaucoup d’acide jasmonique en bas à cause de la chenille, et des gradients différent des deux hormones au milieu ! La plante ne va pas pouvoir activer toutes ses défenses à la fois, elle va donc se servir des concentrations relatives en ces deux hormones pour répondre à l’attaque prioritaire : les zones les plus proches de la chenille auront plus d’acide jasmonique que d’acide salicylique et déclencheront donc des défenses anti-herbivore tandis que dans les zones proches du puceron, l’acide salicylique sera majoritaire et activera les défenses anti-puceron. C’est tout bon? [Possibilité de questions] OK, sauf qu’encore une fois, il faut garder en tête que ce modèle est déjà très simplifié puisque les voies de signalisation interagissent entre elle de façon plus complexe… Et qu’en général, il n’y a jamais une seule chenille et un seul puceron sur une plante ! Sauf que si on commence à imaginer notre plante attaquée par tous les ennemis qu’elle peut rencontrer simultanément dans un champ… Bah ça devient tout de suite beaucoup, beaucoup, beaucoup plus compliqué.


Donc pour résumer, les voies de signalisation des végétaux sont très complexes et sont modulées très finement par de nombreux facteurs : ces voies dépendent de la nature des attaquants, de l’intensité et de la durée de l’attaque mais elles interagissent aussi entre elles : la voie de l’acide jasmonique inhibe celle de l’acide salicylique et inversement. Il y a donc des rétrocontrôles positifs et négatifs des voies entre-elles mais aussi des voies sur elles-mêmes… Et comme si ça ne suffisait pas, en recevant les mêmes concentrations de phytohormone, la réponse de défense de la plante ne sera pas la même dans une feuille, une fleur ou une racine. Bref, c’est compliqué. C’est même très compliqué. Mais ça permet vraiment à la plante de prioriser les défenses à activer en fonction des menaces et de leur dangerosité. C’est donc toute une stratégie militaire qui se met en œuvre afin de protéger au mieux les différentes parties de la forteresse en fonction de leur importance : si deux ennemis sont en train de vous attaquer, il faut choisir quelle défense est à prioriser: par exemple si vous avez un ennemi qui casse quelques murailles mais ne vous met pas vraiment en danger alors que l’autre ennemi se dirige vers votre nurserie et menace de tuer tous vos nouveau-nés, vous allez d’abord vous concentrer sur la défense de votre progéniture. L’autre attaquant fait des dégâts, certes, mais il ne menace ni votre survie, ni celle de vos bébés, il n’est donc pas prioritaire, alors vous vous en chargerez après.

C.  Prévenir ses voisins grâce à la communication longue distance ?

Mais pour l’instant, je ne vous ai parlé que de la communication au sein de la plante elle-même, avec des messagers qui se déplacent dans la plante en voyageant de cellule en cellule. Pourtant, les plantes possèdent aussi un système d’alerte longue-distance qui peut être capté par les autres plantes ! Ce qu’il se passe, c’est que les zones attaquées produisent des composés volatils à leur surface. Ces composés se propagent par voies aériennes et peuvent alors être captés par les plantes proches qui vont réagir par un priming : en gros, vous avez sonné la cloche qui annonce que vous êtes attaqué, les forteresses voisines sont donc prévenues qu’un dragon rode dans le coin et qu’elles feraient bien de se méfier et de se mettre elles-aussi en alerte. Et là encore, on retrouve nos hormones de tout à l’heure, ou plutôt leurs dérivés comme le méthyl jasmonate. Le méthyl jasmonate, c’est un composé volatil bien connu : il est dérivé de l’acide jasmonique et est capable de déclencher des réactions de défense chez les plantes qui le perçoivent. Le message porté par le méthyl jasmonate n’est pas spécifique à une espèce donnée ; ce qui fait qu’une plante d’une espèce, quand elle est attaquée, peut libérer des composés volatils qui se déplacent dans l’air et vont mettre en alerte les autres espèces végétales qui l’entourent.

Mais là, il y a quand même une question qui se pose : pour une plante attaquée, quel est l’intérêt de prévenir les autres plantes ? Est-ce de l’altruisme de leur part ? Et bien… pas tant que ça en fait : les composés volatils n’agissent pas sur des distances excessivement grandes, en général ils marchent seulement jusqu’à une cinquantaine de centimètres autour du point d’émission ! Ce qui est finalement très pratique pour passer des messages de branches en branches au sein d’une même plante ! Imaginez un grand arbre : l’une des feuilles au bout d’une branche est attaquée par une chenille. La feuille attaquée commence à se défendre et préviens les feuilles voisines qui sont sur la même branche qu’elle. Pour ça, elle envoie des messagers qui circulent à l’intérieur de l’arbre. Sauf que, d’un point de vu spatial, à côté de la feuille attaquée, il peut très bien y avoir une feuille qui appartient à une branche différente de ce même arbre : les signaux d’alerte qui circulent à l’intérieur de l’arbre mettrons donc du temps à partir de la feuille attaquée, à remonter la branche jusqu’à la jointure avec l’autre branche, et redescendre cette autre branche pour arriver dans la feuille qui était finalement à 3cm de la zone d’attaque. Ainsi, en envoyant aussi un signal dans l’air, la feuille attaquée prévient les feuilles les plus proches d’elles bien plus rapidement et efficacement !

Et c’est vrai qu’en bonus non négligeable, ce système permet aussi aux plantes de se prévenir entre elles, ce qui permet d’anticiper le déplacement éventuel de l’agresseur en se mettant en état d’alerte et en déclenchant des mécanismes de défense.

VI. Conclusion

Donc voilà, on arrive à peu près au bout de ce que je voulais vous dire… Alors finalement, pour résumer ce dossier et relier tous les éléments entre eux, ce qu’on peut retenir, c’est que les plantes doivent se défendre contre un environnement qui change : leurs ennemis sont variés et peuvent attaquer de façon simultanée à différents endroits. Pour lutter contre ses agresseurs et survivre, la plante a donc développé toute une stratégie martiale et elle dispose de deux types de défenses : les défenses constitutives, qui sont toujours actives mais ne sont pas particulièrement spécifiques, et les défenses induites, qui ne sont activées que lorsqu’une attaque est identifiée mais qui peuvent donc cibler précisément les attaquants. Pour activer cette deuxième catégorie de défenses, la plante doit donc détecter l’attaque et cours. Pour ça, elle utilise des indices physiques comme les sons, mais elle utilise surtout des indices chimiques. La plante est ainsi capable de reconnaître des composés et des molécules bien particulières : certains de ces composés sont des fragments de plantes endommagés, ils indiquent donc qu’il y a eu des dégâts mais ne renseignent pas sur l’attaquant qui les a causés. A l’inverse, la plante reconnait aussi des molécules qui appartiennent à l’ennemi et qui lui permettent donc de l’identifier précisément. Dans tous les cas, des voies de signalisation sont enclenchées pour activer des gènes de défense et sonner l’alerte dans toute la plante. Ces voies de signalisation font intervenir des réseaux moléculaires complexes qui interagissent entre eux afin de permettre à la plante de répondre de façon optimale en déclenchant les mécanismes de défenses les plus adaptés aux agresseurs qui ont été identifiés. Les défenses des plantes sont donc dynamiques et changent au fil du temps pour répondre au mieux aux contraintes du moment… Autrement dit, les systèmes de détection et d’alerte sont absolument indispensables aux plantes si elles veulent se défendre de façon optimale, au bon moment et contre le bon attaquant… Et ça, les agresseurs le savent bien. Au fil de l’évolution, certaines bébêtes ont donc développé des mécanismes pour tenter d’interférer avec les systèmes d’information des plantes, c’est-à-dire, pour ne pas se faire repérer et donc pouvoir grignoter en paix. Si vous m’accordez 5min de plus, je voudrais donc finir avec une dernière notion, qui est celle de la mise à mal de tous ces systèmes d’informations chez les plantes et qui s’apparente un peu à du contre-espionnage.

L’idée, c’est que si l’attaquant ne se fait pas repérer par la plante, celle-ci n’activera pas ses défenses induites. L’attaquant en question courra donc beaucoup moins de risques. Et pour ne pas se faire repérer, il existe deux grandes approches. La première, c’est de bloquer la reconnaissance ou la signalisation en produisant des molécules qui vont interférer avec les systèmes d’identification ou d’alerte des plantes. Les champignons ou les bactéries sont très forts pour ça : ils produisent tout plein de molécules qui peuvent bloquer la reconnaissance au niveau des récepteurs ou encore mettre le bordel à l’intérieur des cellules végétales de façon à inhiber la mise en place des défenses. Mais là aussi, les mécanismes mis en jeu sont assez complexes et ne sont pas très fun, je ne vais donc pas les détailler plus que ça.

Par contre, la seconde méthode qui permet de ne pas être repérée est bien plus amusante : il s’agit de faire de la désinformation en diffusant des fake-news. L’idée, c’est de se faire passer pour quelqu’un d’autres afin de ne pas attirer l’attention sur soi. Par exemple, si un insecte herbivore arrive à faire croire à la plante qu’il grignote qu’elle est attaquée par des bactéries, la plante activera ses défenses anti-bactéries. Défenses qui risquent d’avoir assez peu d’effet sur l’insecte qui est dans la place ! Et quand on est un insecte, comment est-ce qu’on peut se faire passer pour une colonie bactérienne… ? Et bien en fait, ce n’est finalement pas très compliqué, il suffit de baver beaucoup ! Prenons le doryphore de la patate, qui adore baver sur les plantes qu’il mange. Ce qu’il se passe, c’est que le système digestif du doryphore est rempli de bactéries. Ainsi, quand le doryphore croque une plante et lui bave dessus, il dépose de nombreuses bactéries et des substances bactériennes sur la plante. La plante reçoit donc un signal « attention, attaque bactérienne en cours » qui est fort et qui masque la détection du doryphore. La plante va donc mettre en place des défenses anti-bactérie… pendant que le doryphore continue tranquillement son repas.

Donc finalement, s’il y a une leçon à tirer de ce dernier exemple, c’est que rien n’est jamais acquis : les plantes ont beau développer des systèmes ultraperfectionnés pour détecter leurs ennemis, il y aura forcément un moment, au fil de l’évolution, où les agresseurs trouveront un moyen de déjouer ces systèmes de détection. Et quand cela arrive, les plantes deviennent très vulnérables : par exemple, si une plante n’est pas capable de détecter un champignon dès qu’il commence à l’envahir, le champignon va pouvoir se multiplier, coloniser les tissus végétaux et pomper toutes les ressources de la plante sans même que celle-ci n’active ses défenses. A un moment, le champignon se sera tellement développé qu’il ne pourra plus se cacher… Mais à ce moment, ce sera déjà trop tard : la plante aura beau activer des défenses en catastrophe, tenter une riposte brutale, elle sera déjà trop faible et le champignon sera déjà bien trop étendu. En clair, le combat sera perdu d’avance. Ainsi, au cours de l’évolution, quand un ennemi trouve un nouveau moyen pour pénétrer dans la forteresse sans se faire prendre, les plantes peuvent être prises au dépourvu… Elles connaissent alors des temps durs et se font grignoter à tout va… jusqu’à ce qu’elles développent elles-mêmes de nouvelles stratégies qui leur permettront d’affiner leurs systèmes de détection et de reprendre le dessus. Mais développer de nouvelles stratégies, ça demande du temps. Ça demande des dizaines, voire en centaines de milliers d’années d’évolution…

Et ce que je viens juste de vous dire pour les systèmes de détection des ennemis, ce sera aussi valable la prochaine fois pour les mécanismes de défense des plantes. Aujourd’hui, je vous ai expliqué comment les plantes se préparaient au combat ; la prochaine fois, je vous parlerai des mécanismes qui permettent aux plantes de mettre les agresseurs en déroute. Et là, c’est vraiment une course à l’armement qui s’est mise en place au cours de l’évolution : à chaque fois que les plantes inventent de nouvelles armes pour percer les armures de leurs ennemis ou qu’elles inventent de nouvelles molécules pour les empoisonner, les ennemis en question inventent de nouveaux boucliers renforcés ou de nouveaux contre-poisons. Dans cette course à l’armement, les plantes doivent donc sans-cesse diversifier leurs mécanismes de défenses, et c’est pour ça que j’aurais plein de truc bien badasse à vous raconter dans le prochain épisode !


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