Les Aliens verts venus d’ailleurs : Perruches à Collier

L’Alien vert de nos contrées

Aujourd’hui petite chronique des Zozios colorée. On va parler d’un oiseau qui, pour les occidentaux, vient d’ailleurs. Un oiseau tout vert. Un alien de nos contrées. Je vous présente la Perruche à Collier, de son nom latin Psittacula krameri. Psittacula voulant dire perruche, ou plus particulièrement perroquet. Mais là on va pas faire la différence sinon on part pour un sacré débat. Disons que ça fait référence aux oiseaux colorés à bec crochus qui savent imiter notre parler. Et krameri fait référence à un naturaliste allemand du XVIIIème siècle. Un certain Wilhelm Heinrich Kramer. Aujourd’hui, cette perruche toute verte, pullule en nombre dans nos villes. Pourquoi ? Bah parce que l’être humain on a laissé échapper quelques-unes. Et puis comme elles s’y sont plu et se sont installées dans nos contrées.

Et pas qu’un peu hein. On parle de plus de 87 000 individus en Europe. 87 000 (Le Louarn & Clergeau, 2017 ; Strubbe & Matthysen, 2017). France, Belgique, Suisse, Royaume-Uni, Italie, Espagne et j’en passe. Tout le monde est touché. Même l’Iran, l’Australie, les États-Unis, Singapour ou le Japon.

Origine des aliens

À l’origine, cette perruche verte vient d’Afrique et d’Asie. Plus particulièrement d’Afrique sub-saharienne du Sénégal au Centrafrique en passant par le Ghana, le Togo ou le Bénin par exemple. Ça c’est du côté africain. Mais aussi grossièrement de toute l’Inde du côté de l’Asie. Et puis, il y aurait quatre sous-espèces à différencier mais là on va pas s’en soucier.

Pour vous représenter visuellement la Perruche à Collier, elle est toute verte de la tête aux pieds. Et pas un vert foncé. Un bon vert clair presque fluo comme on pourrait l’imaginer pour n’importe quel perroquet coloré. Son bec est rouge pétant en plus. Le pourtour de ses yeux aussi. Enfin, le mâle à la gorge noire qui s’étale en fin collier autour du cou. Un collier noir donc, doublé d’un léger rose.

Alien de compagnie à Oiseaux sauvages

C’est pour ces couleurs vives, et sa curiosité d’imiter les sons humains, que cette perruche est arrivée sur nos contrées. L’humain le voulait comme animal de compagnie. Et le veut toujours d’ailleurs, comme bon nombre de perruches et perroquets. Un marché qui vaut des milliers de milliards de dollars, de Singapour au Qatar. Par année, ce serait 4 millions de perroquets déportés de leur milieu naturel. Ce qui représenterait 2/3 des perroquets du monde ! (Menchetti et al., 2015) Alors au milieu de tous ces convois, pas étonnant qu’il y en ait un ou deux qui s’échappent pour de nouveaux espaces à coloniser. Parmi toutes ces espèces, la Perruche à Collier est celle qui s’est le plus rapidement éparpillée.

Sur Paris, la première sortie viendrait d’Orly, en 1974. Et rebelote dans les années 90, sans compter les accidents d’oiseaux libérés ici et là par je ne sais qui (P.Gensel, Le Monde, 25 Août 2021). Du côté de Bruxelles, bien qu’il y ait eu des rapports de l’espèce en 1966, on garde en tête l’événement de 40 individus échappés du Zoo de Bruxelles en 1974 (Meli Park Heysel ; Strubbe & Matthysen, 2017). Coïncidence… 1974 : colonisation à la fois de Paris et Bruxelles la même année. Y-aurait-il un complot de perruches et perroquets ?

Invasions des aliens

Sur Paris ou Bruxelles, d’une cinquantaine échappée, on en est donc arrivé à des milliers aujourd’hui. Alors ouais c’est sûr… dans les villes où il n’y a que des pigeons gris ou des moineaux marrons, voir un tel oiseau exotique coloré, ça peut faire rêver. Mais… en plus d’être particulièrement bruyant… c’est qu’il est train de pulluler… En Île-de-France, autour de Paris donc, on en comptait un peu plus de 1000 en 2008.  2700 en 2012. 3000 en 2013. À plus de 5 000 en 2016. Aujourd’hui en on dénombrerait 8 000 tout comme autour de Bruxelles. (Lenancker & Clergeau, 2014 ; LPO, Mars 2021).

Même phénomène dans de nombreuses villes européennes, Londres avec des dizaine de milliers d’individus, mais aussi Lille (le millier d’individus), Nancy, Toulouse, Le Havre ou Marseille (le millier d’individus). Et ces aires de répartitions commencent à s’étaler au-delà des villes (Lenancker & Clergeau, 2014). De Paris par exemple, l’oiseau est arrivé à se nicher au fin fond de l’Oise.

On parle alors d’Invasive Alien Species (IAS) ;
Ou bien d’Espèce Exotique Envahissante (EEE).

Espèce Exotique Envahissante

Espèce dite « Alien » parce qu’elle vient d’ailleurs. Donc exotique dans le sens d’espèce exogène, d’espèce étrangère par rapport à l’environnement. On parle de populations férales pour décrire ce genre d’êtres vivants normalement en captivité mais introduits dans la nature artificiellement.

Donc si vous voulez en voir, au lieu de s’en doter un pour quelques dollars, il suffit d’aller à la plus proche grosse ville et de traîner dans les bars… enfin… je veux dire dans les parcs. Parcs, jardins, tant qu’il y a des arbres. Visez les lieux à mangeoires. Ou bien les gros platanes. Suffit aussi de tendre l’oreille. Ils font un boucan très typique à coup de « kiak kiik kiik ». Et ça y est, vous voici arrivé dans une forêt tropicale africaine.

Espèce Exotique Envahissante

On a rapidement évoqué ce qu’est être « exotique », mais qu’est-ce qu’être « envahissant » pour une espèce animale ? Genre elle prend toute la place ? Bah oui, c’est un peu l’idée. Même si le terme envahissant peut porter à confusion. Car si on devait décrire l’espèce animale la plus envahissante… ce serait l’Homo sapiens.

On définit grossièrement une Espèce Exotique Envahissante toute espèce provenant d’ailleurs qui prend place dans un environnement dont il n’est pas issu. L’exemple typique qu’on connaît en France métropolitaine c’est le frelon asiatique. L’espèce participe à la lutte pour la nourriture et la lutte pour un territoire (Strubbe & Matthysen, 2017 ; Le Louarn & Clergeau, 2017). Elle occupe donc une place qui n’était pas le cas avant, au point d’être en compétition avec d’autres espèces locales.

C’est de ça on parle, quand on parle d’espèce exotique envahissante. Et l’inquiétude est que cette espèce exotique puisse prendre à la fois l’habitat et la nourriture d’une espèce déjà locale. De prendre la place de la niche écologique au point de faire disparaître l’espèce locale. Un exemple ? Celui de l’écrevisse locale à pattes blanches qui perd du terrain fasse à l’écrevisse de Louisiane (Marie Wild, https://youtu.be/sSD95gWkWLo). En effet, les espèces exotiques envahissantes sont un des plus importants facteurs contre la biodiversité, aux côtés du réchauffement climatique et de la pollution. Et si c’était aussi le cas avec la Perruche à Collier ? Et si elle prenait la place d’autres espèces au point de les éradiquer ? Aura-t-on un jour en ville que des oiseaux tout vert à la place des pigeons et moineaux ? Ce serait ça le « greenwashing » ? On remplace tous nos oiseaux par des perruches vertes ?

Perruche à Collier

De quoi s’inquiéter pour la biodiversité ?

Ces questions sont étudiées dans plusieurs villes européennes. Je vais ici évoquer des études suivies sur Paris (Le Louarn & Clergeau, 2017) et Bruxelles (Strubbe & Matthysen, 2017). Comment on observe la place prise par les Perruches à Collier au quotidien parmi l’environnement ? Bah on regarde où elle niche en dénombrant les sites de reproduction sur plusieurs années. On note aussi, si ce sont des sites normalement prisés par d’autres animaux. On regarde aussi comment Perruches et autres oiseaux se comportent autour des sources de nourriture, notamment des mangeoires. Ouais. Les mangeoires c’est leur principale source de nourriture à nos perruches pour l’instant.

Monopolisation de la ressource

Autour de celles-ci, si une perruche arrive, bah les oiseaux présents n’ont qu’à se pousser. Une Perruche à Collier ça fait 40 cm de long. Mésanges et moineaux sont autour de 15-20 centimètres. Si on remet ça à notre échelle, c’est comme si vous mangiez au restaurant à une table tranquillement, et que tout à coup quelqu’un de 4 mètres de haut, tout vert, baraqué comme 4 fois votre poids arrivait à votre table et vous demandait de lui laisser votre place.

Genre vous mangez tranquillement et un géant vert ou un Hulk débarque en face de vous affamé. Vous faites quoi ? Vous restez ou vous courez ? Bah les petits oiseaux, eux, préfèrent s’envoler et attendre leur tour sur une branche aux alentours (Le Louarn & Clergeau, 2017). Sur toutes les interactions inter-espèces avec les Perruches à Collier, la majorité se limitent à cela. Une gêne pendant la nourriture, car le Hulk vert s’impose. Et si les petits oiseaux s’interposent, bah la ou les perruches parisiennes – car elles sont rarement seules – gagnent dans plus de 75 % des cas.

Après… Il faut toutefois souligner que ce comportement de compétition ou monopolisation de la nourriture est commun dans la nature. On retrouve ça dans chaque environnement entre différentes espèces animales. Ici, avant même que les Perruches Hulk-Verts soient là, on avait déjà les gros Pigeons, les imposantes Tourterelles ou les agaçantes Pies Bavardes. Ces plus gros oiseaux embêtent tout autant les plus petits. Si ce n’est que, en citant l’équipe scientifique parisienne, « la gêne que [la Perruche à Collier] occasionne est significativement plus longue que la gêne causée par les autres espèces. » (Le Louarn & Clergeau, 2017)

Etourneau sansonnet

L’étourneau : l’espèce la plus embêtée par la Perruche à Collier ?

En clair, a priori, rien d’alarmant. La Perruche à Collier ne semble pas être nuisance à la biodiversité. Pas plus qu’un Pigeon ou une Tourterelle. L’espèce qui devrait être la plus impactée, selon les chercheurs de Paris (Le Louarn & Clergeau, 2017), est l’Étourneau Sansonnet. Les fameux étourneaux qui font des nuées d’oiseaux. Car non seulement les étourneaux se nourrissent aux mêmes heures, mais en plus ils ont les mêmes sites de reproduction. C’est-à-dire des cavités dans les arbres. Or, mises à part quelques interactions agressives plus intensives entre les deux espèces (Le Louarn & Clergeau, 2017), aucune donnée scientifique ne montre jusqu’alors que les étourneaux soient significativement impactés par les perruches vertes (Strubbe & Matthysen, 2017).

Compétition de nidification

La seule espèce d’oiseau qui simple légèrement impactée mais de manière significative, c’est la Sittelle Torchepot (Strubbe & Matthysen, 2017). Et plus particulièrement sur les lieux de nidifications. La Sittelle Torchepot est un petit oiseau commun d’Europe qui monte et descend des les arbres le long du tronc, grâce à des pattes de compétition pour pouvoir s’agripper. Au point qu’elle puisse descendre la tête en bas. Elle est en compétition avec la Perruche à Collier, car toutes deux, comme les étourneaux sansonnets aussi d’ailleurs, utilisent des cavités déjà formées dans le tronc des arbres pour nicher.

La Sittelle est d’ailleurs dites « Torchepot » car elle fait de la maçonnerie en modifiant la taille de l’entrée de la cavité en y collant de la boue. Les Perruches vertes, elles, sont capables de comportements opposés pour élargir le trou. En plus de ça Sittelles et Perruches préfèrent tous deux des cavités assez élevées en altitude à plus de 8 mètres de haut. Beaucoup de caractéristiques pour être en compétition. Et pire encore pour nos pauvres Sittelles locales, les Perruches commencent à nicher vers fin Février alors que les Sittelles le fond plus vers le mois d’Avril. Autant vous dire qu’à cette époque, les potentiels cavités pour nicher sont déjà prisées. Bon et pour terminer, je le répète, une Perruche est un Hulk vert face à la Sittelle Torchepot, étant 4 fois plus imposant, 4 fois plus gros.

Sittelle Torchepot

Un coût économique ?

Un autre argument contre nos Perruches vertes est qu’elles font voir rouge économistes et agriculteurs. L’espèce aurait un coût économique qui s’élèverait à des milliers de milliards d’euros (Programme Européen « Parrot Net ») entre les infrastructures délabrés, les maladies que l’espèce transmet ainsi que les cultures ravagées.

Oui parce que pour l’instant, dans les pays colonisés, la Perruche à Collier se limite aux villes à forte densité. Les milieux urbains donc. Notamment parce qu’il y fait plus chaud, que la nourriture est présente et qu’il y ait pas mal de gros platanes avec des cavités pour pouvoir nicher (Strubbe & Matthysen, 2017). Mais si un jour, il n’y a plus de place pour y habiter, on peut craindre aussi pour que nos campagnes soient ravagées. C’est déjà le cas en Allemagne sur des pommiers. Ou en Angleterre sur les vignes et divers arbres fruitiers (Lenancker & Clergeau, 2014).

Car là où elles sont d’origine, nos oiseaux Hulks verts ravagent tout sur son passage. Elles deviennent des ogres, des Shreks. Que ce soit en Inde ou dans les pays africains, les Perruches à Collier cueillent eux-mêmes leurs fruits, ravagent les champs de tournesol et vident les champs de leur maïs (Lenancker & Clergeau, 2014 ; ONU, Manuel technique de protection du Maïs en culture au Bénin). Un oiseau géant vert qui menace la marque géant vert de son maïs…

Ainsi, cet oiseau bruyant venu d’ailleurs à beau être exotique et vert, voire même végétarien et vegan, en gros tout pour lui plaire ; il peut être un véritable fléau d’autant plus que c’est une espèce grégaire et sédentaire capable de vivre plus d’une vingtaine d’hivers. Cette espèce de Perruche pourrait, à terme – s’inquiètent certaines équipes de scientifiques – nous faire vivre une misère…

Perruche à collier

Un coût environnemental ?

Certaines autorités annoncent alors clairement vouloir les éradiquer au nom de la biodiversité (Strubbe & Matthysen, 2017). Ce fut le cas par exemple sur une île des Canaries (Saavedra & Medina, 2020). Apparue en 1997, vingt ans plus tard ils ont été éradiqués, après avoir été chassés, attrapés grâce à des nichoirs ou des pièges à leurres. Un succès qui s’explique par plusieurs choses. D’abord parce que les Perruches se limitaient à des zones restreintes, en plus d’être sur une île. Ça aide. Pensez à l’espèce envahissante des frelons asiatiques qui s’est répandue partout en Europe. Impossible maintenant de l’éradiquer. De plus, les procédures d’éliminations des oiseaux aliens venus d’ailleurs intégrait la population locale dans le processus. Insistant sur l’importance de la procédure. Ce qui limitait les résistances sociales ou manifestations pro-animales, notamment.

Des mesures radicales, donc. Alors que scientifiquement, le coût environnemental est minime. Seules les Sittelles Torchepot voire les Chauve-Souris en seraient légèrement impactées. Notamment parce que les Perruches nichent, comme eux dans des cavités. En plus de ces moindres détails, et on le sait que depuis peu, les Perruches à Collier arrive à bien être intégrées parmi les chaînes alimentaire et à être elle-même chassée par des prédateurs locaux. Sur Paris, Chouettes Hulottes et Éperviers d’Europe (P.Gensel, Le Monde, 25 Août 2021) semblent s’être habitués à voir ce gros oiseaux vert comme un potentiel repas à se faire.

Morale de ma chronique,
Exotique et charismatique,
C’est pas parce que c’est nouveau, tout beau et tout vert,
Que le monde s’en retrouvera – d’un coup – à l’envers.

Quelques liens :

– Lite des Espèces Envahissantes Exotiques par la LPO (Mars 2021)
– (Strubbe & Matthysen, 2009) Sittelle https://doi.org/10.1016/j.biocon.2009.02.026
– (Strubbe & Matthysen, 2017) Belgique https://doi.org/10.1111/j.2007.0906-7590.05096.x
– (Saavedra & Medina, 2020) Îles Canaries https://doi.org/10.1007/s10530-020-02351-0
– (Menchetti et al., 2015) « Invasion » http://dx.doi.org/10.1007/978-3-319-22246-2_12
– (Lenancker & Clergeau, 2014) La perruche à collier progresse en Ile-de-France.
– (Le Louarn & Clergeau, 2017) Compétition à la mangeoire

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