Retranscription : Des comètes et de l’eau

Retranscription écrite de l’épisode 465 – Des comètes et de l’eau avec Yves Marocchi interviewé par Eléa !

Éléa : Est-ce que ça vous arrive de vous réveiller le matin avec en tête des grandes questions philosophiques du genre : D’où vient l’eau qui me sert à prendre ma douche ? Je ne parle pas des canalisations hein, mais vraiment de l’eau. Pourquoi l’eau ? Sur Terre ? Dans notre galaxie ? Voire dans l’Univers ? L’eau ne tombe pas du ciel me direz-vous ! Mais est-ce qu’on en est si sûr ? Rassurez-vous si ça vous arrive de vous poser toutes ces questions : vous n’êtes pas seuls. Aujourd’hui nous recevons Yves Marocchi, qui va répondre à toutes nos interrogations sur l’eau qui nous entoure. Nous sommes le mercredi 26 janvier 2022, vous écoutez l’épisode 465 de Podcast Science, bienvenue !

/Générique/

Éléa : Et ce soir une grand table virtuelle nous avons Cleora avec nous depuis Perduville.
Cleora : Salut à tous.
Éléa : Alexa depuis l’autre côté de l’Atlantique à Los Angeles.
Cleora : Salut tout le monde.
Éléa : Pascal toujours fidèle à la technique depuis l’Alsace.
Pascal : Salut tout le monde !
Éléa : C’est moi Éléa qui mènerai l’interview aujourd’hui. Et on a le plaisir d’accueillir Yves Marocchi depuis Nancy.
Yves Marocchi : Bonsoir tout le monde.

Partie 1 : contexte & présentation

Éléa : Hé bien, bonjour Yves et merci beaucoup d’avoir accepter notre invitation pour cette émission. Alors en général pour débuter j’aime bien en raconter pour commencer comment j’ai rencontré les invités, parce que c’est souvent le fruit d’heureux hasards. Et en l’occurrence, là pour nous, ça se passe en en 2021 – l’été dernier – l’association que j’ai rejoint en tant que bénévole, Communicasciences avait lancé un grand projet de festival scientifique itinérant dans la région Grand Est, qui s’appelait “L’Est’ivale des Sciences”. Mes collègues et camarades Anne Vicente et Elise Helfer ont contacté des chercheurs dans tous les départements du Grand Est pour intervenir sur cette tournée ; et Yves, tu as été l’un des volontaires sur un événement intitulé “Des météorites aux océans” – et cette soirée a été une révélation tant pour moi que pour l’assemblée je pense, dans la petite ville de Darney. 
Et comme tu y as survécu, et que la soirée était vraiment chouette. Je voulais absolument que tu viennes nous raconter tout ça. Les auditeurs réguliers le savent : je parle, le plus souvent de plantes, et de biologie moléculaire et cellulaire. Ce soir, on parle de géologie et d’espace !! Incroyable. Tout ça pour vous dire que parfois, les rencontres sont heureuses et nous sortent un peu de notre zone de confort. 
Du coup, avant d’entrer dans le vif du sujet, est-ce que tu peux rapidement nous expliquer qui tu es, et ton parcours rapidement ? 

Yves Marocchi : Bah oui, je m’appelle Yves Marocchi, je suis chercheur au CNRS je travaille dans un laboratoire qui s’appelle le CRPG. Ça veut dire Centre de Recherches Pétrographiques et Géochimiqued. Et je suis géologue de formation. Mais je suis vite arrivé vers ce qu’on appelle la géochimie et ensuite vers la cosmochimie qui est la science qui étudie les météorites pour essayer de comprendre les conditions à la chronologie de la formation du système solaire.

Éléa : Actuellement, tu es directeur de recherche au CRPG à Nancy : le Centre de Recherches Pétrographiques et Géochimiques. A priori, naïve que je suis, je me serais attendue à ce que vous travailliez exclusivement sur la géologie terrestre… et pas à entendre parler de météorites. Quels sont les grands thèmes abordés dans l’Institut, et comment est-ce que tu t’es retrouvé à étudier les astéroïdes ? 

Yves : Ouais donc le CRPG a été fondé en 1953 et effectivement historiquement il s’attachait à étudier les roches terrestres. Et puis avec le développement des nouvelles machines qu’on a pour faire des mesures, les chercheurs ont commencé aussi à s’intéresser aux météorites dans les années 80 : donc il y a un ou deux chercheur du centre qui ont commencé travaillé. Et puis, la greffe a bien prise au CRPG, il y a plusieurs chercheurs qui ont été recrutés pour étudier les météorites. Je dirais que depuis le milieu des années 90 c’est vraiment un centre qui est réputé sur l’étude des objets extraterrestres. Ça vient en partie du fait qu’on a un parc analytique, c’est-à-dire, des machines dont certaines sont uniques au monde et qui nous permettent de faire des études axés sur différentes cailloux et notamment sur ces roches extraterrestres.

Après au CRPG on n’étudie pas uniquement les météorites. On étudie aussi les aspects de la géologie depuis la formation de système solaire jusqu’à la géologie actuelle. Le centre est structuré en 4 thèmes de recherche. Des chercheurs qui travaillent sur le formation du système solaire, d’autres sur une thématique qui est magma, volcan et circulation de lave dans le manteau terrestre. Il y a un autre thème qui s’attache plutôt à comprendre tous les aspects de la tectonique, c’est-à-dire de mise en place des chaînes de montagne et de comment ensuite ses chaînes de montagnes vont être érodées ; et comment la mise en place de ses chaînes de montagnes et leur érosion va impacter le climat et toute la dynamique terrestre. Et puis enfin, il y a un dernier thème où les chercheurs du CRPG travaillent plus sur ce qu’on appelle les cycles. C’est-à-dire en gros l’évolution du climat, l’évolution par exemple des pressions partielles de CO2 au cours du temps, donc des aspects plus liés à une évolution atmosphérique que vraiment à une évolution des roches. Mais l’idée c’est d’utiliser les roches comme traceurs des processus qu’on peut enregistrer au cours de l’évolution de la Terre.

Éléa : D’accord. Et du coup toutes ces notions de géologie, d’étude des « cailloux », est-ce que l’application de la géologie à des corps célestes (planètes, météorites, etc.) est une discipline plutôt récente ? Ça date de quand vraiment ça

Yves : Bah c’est pas si récent que ça en fait parce que des témoignages de chute de pierre du ciel il y en a depuis très longtemps. Après, la question était se savoir à quoi correspondait ces roches… Et historiquement et pendant longtemps il a été proposé que c’était ce qu’on appelait des « pierres de foudre », que c’était lié à des processus atmosphériques – notamment lié à la foudre – qui produisaient ce genre de roche.

Et puis il a fallu attendre 1803 et une chute historique en France dans une petite ville du nord de la France qui s’appelle L’Aigle, où il y a une grosse météorite qui est rentrée dans l’atmosphère qui s’est fragmentée et il a un peu plu de la roche à ce moment là sur la petite ville de L’Aigle. Et en fait, ça a été observé par beaucoup de gens, et le Muséum d’Histoire Naturelle de Paris à dépêcher plusieurs chercheurs pour étudier ce phénomène. Et ils ont sont arrivés à la conclusion (le chercheur en chef c’était Jean-Baptise Biot) que ces roches devaient venir de l’espace. Donc c’est vraiment à partir de ce moment là, qu’on a acté le fait que ces épisodes un peu étranges qui étaient observés régulièrement provenaient de roches qui venaient de l’espace et qui rentraient dans l’atmosphère terrestre avant de tomber sur Terre.

Donc finalement on connaît ça depuis très longtemps. Et à partir du moment où ça a été reconnu comme des roches extraterrestres, il y a toute une science qui s’est développée autour. Alors un petit peu de manière confidentielle au début. Mais c’est monté en puissance. Et surtout, en fait, depuis 1803 le Muséum d’Histoire Naturelle de Paris à développer une collection de météorites – puisque c’est la vocation des musées d’histoire naturelle. Donc il y a très belle collection au Muséum à Paris, qui, depuis 1803, collecte, échange, achète des météorites et qui aujourd’hui les met à disposition : des chercheurs pour faire des études ; et qui fait régulièrement des expositions pour le montrer au grand public.

Éléa : Et cette collection elle est accessible régulièrement ou c’est ouvert exceptionnellement à la journée du Patrimoine ou…

Yves : Alors, à Paris, c’est possible de visiter au Muséum d’Histoire Naturelle la galerie de minéralogie, où vous aller voir une partie de la collection. Donc certaines météorites sont exposées. Après, elles sont stockées dans des conditions un peu particulières pour éviter que la contamination de l’eau par l’atmosphère. Donc c’est stockée dans des salles anhydres et dans des conditions un peu particulières, donc c’est pas forcément facile d’accès. Les chercheurs qui y ont accès en faisant des demandes. Moi si je veux travailler sur un bout de météorite spécifique, j’écris un projet qui est évalué par mes collègues du Muséum d’Histoire Naturelle. S’ils trouvent que l’idée est intéressante on me donne un bout de météorite. Alors dès fois je demande 1 gramme, on me dit : « Euh vous êtes un peu gourmand cher ami on va vous en donner 0,2g. » Mais on arrive comme ça à récupérer une partie des objets sur lesquels on peut faire des recherches.

Éléa : Donc cette discipline de la géologie appliquée au corps célestes, moi je me posais la question est-ce qu’il y a des phénomènes géologiques sur d’autres planètes. Est-ce qu’on trouve aussi des tectoniques des plaques ? Il y a des gens qui étudient aussi cet aspect là ?

Yves : Alors euh… Sur la dynamique planétaire, elle peut être étudiée par plusieurs moyens. Un moyen c’est d’étudier des météorites qui viennent d’autres planètes. Par exemple, sur Terre on a des échantillons de Mars. Ce qu’on appelle des météorites martiennes. On a des météorites lunaires. Aujourd’hui on ne connaît pas de météorite provenant de Mercure mais, on peut étudier la dynamique des autres planètes via les météorites qui tombent sur Terre et proviennent de ces planètes.

Le problème de ce genre de météorites, c’est qu’elles sont un peu déconnectées du contexte géologique de ces planètes. On ne sait pas d’où elles viennent à la surface de ces planètes. On ne sait pas combien de temps elles ont passé dans l’espace exactement. Et donc c’est couplé plutôt avec de la télédétection, c’est-à-dire des gens qui observent des surfaces planétaires. Mars c’est très connu parce qu’il y a beaucoup de sondes – d’orbiteurs – qui sont en train de tourner autour de Mars et qui cartographient la surface martienne. Mais il y a aussi ça qui a été beaucoup fait sur la Lune. Il y a une mission européenne qui est en route vers Mercure aussi. Donc on peut étudier la dynamique des autres planètes en mélangeant de la télédétection avec l’étude de ces météorites qui proviennent de ces corps planétaires.

Éléa : Et donc toi, en tant que chercheur individuel, comment tu as décidé de t’orienter vers ce domaine là ? Tu as toujours été passionné par l’espace ou c’est venu comme ça, un peu ?

Yves : Depuis tout petit j’étais assez passionné par ça. En fait, je regardais un peu des bouquins sur l’espace étant tout petit. J’avais un peu embêter ma mère pour qu’elle m’achète des encyclopédies sur l’espace quand j’avais quoi.. 7-8 ans. Je ne comprenais pas grand-chose mais euh… Je regardais les images et je sentais bien que ça m’intéressait pas mal ça. Et puis je suis parti en géologie parce que c’était une science qui m’intéressait. J’y ai vite compris qu’en faisant de la géologie on pouvait faire de la géochimie – c’est-à-dire utiliser des outils physico-chimiques pour étudier les roches. Et ensuite j’ai compris et rencontré des personnes qui m’ont montré qu’on pouvait appliquer ces outils aussi sur des météorites. Donc là j’ai décidé de m’orienter par là. Et j’ai eu la chance d’être pris en thèse sur les météorites ! Donc c’était un peu le début de l’aventure.

Disons que c’était vraiment un intérêt depuis petit, et sans en faire une obsession, j’ai toujours un peu essayé de me diriger vers cette science un peu extraterrestre.

Éléa : Ok ! Et comment ça se passe dans un institut comme le vôtre vous faites des choses sur la planète Terre, vous faites des choses de l’espace, est-ce que vous collaborez aussi avec des agences spatiales sur ces questions de géologie spatiale ? Ça se passe comment ?

Yves : Ouais… On est impliqué dans la caractérisations des échantillons qui sont ramenés par les missions spatiales. C’est-à-dire que moi au quotidien, je ne travaille pas avec les missions spatiales pour faire du design de mission spatiale ou pour faire des calculs pour envoyer des sondes, ce n’est pas mon travail. Par contre, si une mission spatiale ramène des échantillons sur Terre, on va être potentiellement impliqué pour pouvoir les mesurer et les caractériser.

Aussi étonnant que ça puisse paraître, le CRPG est le seul laboratoire au monde à avoir analyser tous les échantillons ramenés par des missions spatiales aujourd’hui. C’est lié au fait – comme je disais au début du podcast – qu’on a un parc analytique c’est-à-dire des machines qui permettent de faire des mesures qui sont uniques au monde. Et même si c’est une mission spatiale 100 % NASA, on a toujours été capable de prouver, de monter à la NASA, qu’on pouvait leur faire des mesures qu’ils ne pourraient pas faire ailleurs ; et on a toujours récupérer ses échantillons.

Et ça, ça va continuer parce que… L’année dernière il y a les japonais qui ont ramené des échantillons d’un astéroïde avec la missions spatiale Hayabusa II, et on va mesurer les échantillons a priori le mois prochain. Et on est impliqué aussi dans la caractérisation des échantillons qui sont en train de revenir sur Terre de la mission spatiale américain Osiris-Rex qui a aussi échantillonné un autre astéroïde.

Donc on bosse avec les agences spatiales pour caractériser les échantillons qui sont ramenés sur Terre par ses différentes missions spatiales.

Éléa : Et est-ce que tu peux nous dire un peu combien d’échantillon ça représente par an, en moyenne ?

Yves : Vraiment c’est pas beaucoup parce que des missions spatiales qui ramènent des échantillons il y en a pas tous les ans. En fait, il y en a pas tant que ça. Il y a les échantillons lunaires, dont des collègues ont bossé dessus, sur des échantillons des missions Apollo amené par les américains ; mais aussi les missions russes (sur la Lune) qui ont ramené aussi des échantillons.

On a aussi bossé sur des échantillons qui avaient échantillonné du gaz solaire… Où je dirais que c’est une fois toutes les quelques années qu’on a accès à des échantillons de mission spatiale. Là en ce moment on est dans une période assez fast, parce qu’il y a deux missions d’astéroïdes qui vont revenir en un intervalle de 2-3 ans. C’est sûr que ça va pas mal nous occuper. Après dès fois il y un creux, pendant euh… j’sais pas euh… 10 ans où il n’y a pas de retours d’échantillons de mission spatiale.

Partie 2 : de l’eau dans l’espace

Éléa : On va passer dans le vif du sujet, et je pense que c’est le bon moment pour poser la question. Alors moi je pose des questions naïves – parce que l’espace c’est très très très loin de mon domaine de compétences – mais pour les novices en astronomie comme moi, est-ce que tu peux nous rappeler la différence entre les comètes, les astéroïdes, les météorites… Parce qu’on va en parler beaucoup et donc c’est bien de faire le tri.

Yves : OK. Alors, les astéroïdes et les comètes sont des corps qui sont en orbite autour du Soleil. La différence entre un astéroïde et une comète, c’est en gros le rapport « poussière / glace ». On va dire qu’un astéroïde c’est principalement de la roche, alors qu’une comète c’est un mélange entre de la roche et de la glace. Donc c’est globalement la différence entre un astéroïde et une comète. Et dans les deux cas ce sont des corps qui sont en orbite autour du Soleil.

Les astéroïdes sont situés principalement dans la Ceinture d’Astéroïdes située entre Mars et Jupiter. Et pour des raisons de dynamiques du système solaire, de temps en temps il y a des collisions entre des astéroïdes et ça va créer des fragments de roches qui sont arrachés à ces astéroïdes. Et ça, ça va traverser le système solaire. Et quand ça traverse le système solaire, on appelle ça un météore. Et il y a une probabilité faible mais pas nulle que cet objet qui traverse le système solaire arrive sur Terre et donc va traverser l’atmosphère terrestre et va arrivé sur Terre. Et quand elle arrive sur Terre on appelle ça une météorite. Et en gros une météorite c’est un fragment d’astéroïde qui a traversé le système solaire pour arriver sur Terre.

Éléa : OK. Donc toute météorite était un météore et vient probablement d’un astéroïde à un moment.

Yves : Ouais et après on n’a pas d’échantillon de comètes. Il y a quelques indices notamment en Sibérie en 1910 qu’il y ait pu avoir des impactes de comètes à la surface de la Terre ; mais comme une comète c’est principalement de la glace, quand ça va rentrer dans l’atmosphère ça va être complètement volatilisé, et on va pas retrouver d’échantillon solide à la surface de la Terre. Donc il faut un objet qui soit suffisamment gros pour, au moment où ça rentre dans l’atmosphère, résister au chauffage de l’atmosphère et arriver à la surface de la Terre.

Alexa : Par rapport au fait que les astéroïdes viennent de la Ceinture d’Astéroïdes, est-ce qu’on trouve parfois des météorites qui viendraient de plus loin que ça ? Ou est-ce que ça n’arrive jamais ?

Yves : Si, si ça arrive ! La plupart des astéroïdes sont situés entre Mars et Jupiter, mais il y a des astéroïdes aussi qu’on appelle les Troyens qui sont le long de l’orbite de Jupiter et le long de l’orbite de Saturne. Il est probable, qu’il y ait une partie des météorites qui proviennent de là. Et il y a aussi certaines météorites dont on soupçonne qu’elle proviendraient des zones très externes du système solaire, c’est-à-dire au-delà de l’orbite de Saturne. Un exemple aussi rigolo c’est la météorite d’Orgueil qui est tombée à côté de Toulouse au XIXème siècle. (Donc elle s’appelle Orgueil parce qu’elle est tombé dans un village qui s’appelle Orgueil. On donne le nom aux météorites à l’endroit où elles sont tombées.) À l’époque, les gens étaient beaucoup dehors parce qu’ils travaillaient des les champs, donc cette chute a été décrite par beaucoup de gens qui disaient : « J’étais situé à tel endroit, je regardais vers le sud et la météorite je l’ai vue dans la constellation ou avec telle orientation. » Et en fait, j’ai un collègue du Muséum d’Histoire Naturelle à Paris, Matthieu Gounelle, qui a récupéré tous les témoignages qui décrivaient la chute de cette météorite, et qui a fait des calculs de balistiques pour essayer de remonter à la trajectoire de cette météorite. Il a calculé, qu’en fait elle venait d’au-delà de l’orbite de Jupiter aujourd’hui, donc vraiment dans les zones externes du système solaire. Donc la plupart provienne d’entre Mars et Jupiter mais il y a une petite partie qui provienne des zones plus externes du système solaire.

Éléa : C’est quasiment de l’astro-histoire c’est super intéressant !

Yves : Ouais, ouais, ouais ! Je pense qu’il y a vraiment un lien entre l’astrophysique et l’histoire. Et il y a un autre projet qui a été développé il y a quelques années qui s’appelle FRIPON et qui consiste à mettre une caméra par département qui filme le ciel. Donc ça filme le ciel à 360°. En fait ça ne filme pas exactement le ciel, ça prend une photo toutes les 30 secondes et ça compare les deux photos. Et s’il n’y a pas de différence entre les deux photos, ça efface la photo qui a été prise 30 secondes avant. Par contre s’il y a une météorite qui traverse le ciel, on va avoir la trajectoire, et donc ça va prendre en photo les trajectoires des météorites. Et une fois de plus on peut faire des calculs de balistiques. Et l’idée ce n’est pas vraiment de retrouver les météorites qui tombent sur Terre. Mais c’est calculer la trajectoire pour savoir d’où elles proviennent dans le système solaire.

Éléa : Encore peut-être une question idiote, mais du coup cette terminologie là, est-ce qu’il y eu des débats des débats là-dessus ? Comme « est-ce qu’est-ce qu’est une planète et qu’est-ce qui ne l’est pas. » Ou c’est plutôt fixé et ça va reste comme ça ?

Yves : Non, il n’y a pas tellement de débat sur la notion de météorite, astéroïde, comète. Comète, c’est un peu plus débattu parce qu’on ne connaît pas bien c’est objets. C’est loin… C’est compliqué à observer… Il n’y a eu qu’une seule mission spatiale où il y un orbiteur autour d’une comète. Et donc ce sont des objets relativement mal compris. On pensait que c’était plutôt 90 % de glace et 10 % de roche. Il s’avère que finalement c’est sans doute moins riche en glace que ce qu’on pensait. Donc je dirais que s’il y a débat, c’est plus sur la méconnaissance de la nature intrinsèque d’une comète. Mais sur la terminologie il n’y a pas vra iment de débat.

Éléa : OK. Alors. Ce soir on va parler beaucoup d’eau, est-ce qu’on peut refaire les bases – parce que ça fait toujours du bien. Qu’est-ce que c’est que l’eau ? Comment elle se forme, à partir de quels atomes ? Et du coup, et c’est la grande question du soir, comment s’est-on retrouvé à en avoir autant sur la planète Terre, que l’on a renommé “planète bleue” tellement il y en a ? 

Yves : L’eau c’est H2O. Donc c’est 2 atomes d’hydrogène pour 1 atome d’oxygène. C’est une molécule relativement simple, qu’on observe un peu partout dans l’univers qui est assez ubiquiste dans les différents environnements astrophysiques. C’est-à-dire qui si vous observez des nuages moléculaires géants, vous allez voir la présence d’eau. À peu près tous les environnements du système solaire vous avez de l’eau qui a été ou qui est présent aujourd’hui. Donc c’est une molécule assez ubiquiste dans l’univers, qui se forme par réaction entre les atomes d’hydrogène et les atomes d’oxygène. Ça peut se former dans le milieu interstellaire par des réactions chimiques entre hydrogènes et oxygènes, sans doute catalyser par des poussières. Ça peut se former lors de l’évolution du système solaire… Donc c’est une molécule assez simple et assez ubiquiste partout dans l’univers.

Alors sur Terre, en fait c’est assez rigolo parce qu’on parle de planète bleue on dit que c’est une planète très riche en eau mais finalement c’est une planète qui n’est pas très riche en eau. Parce que l’eau des océans, elle représente moins d’1 % de la masse totale de la Terre. Finalement la Terre n’est pas tellement riche en eau. Et il y a des planètes, dans le système solaire, qui sont beaucoup plus riches en eau que la Terre notamment Uranus et Neptune qu’on appelle les géantes de glaces qui ont finalement plus d’eau que la Terre.

Donc c’est un peu un abus de langage de dire que la Terre est riche en eau. C’est parce que cette eau est concentrée à sa surface et qu’on voit ses océans et qu’à nous ça nous paraît un peu infiniment grand, qu’on a l’impression que c’est très riche en eau. Mais finalement, la planète Terre n’est pas tellement riche en eau.

Éléa : Et donc bah cette eau, qui n’est pas si abondante que ça en comparaison d’autres planètes, d’où elle vient ? Comment ça se fait qu’on ait de l’eau à la surface de la Terre ?

Yves : Eh bah c’est une vrai question ! Et un vrai débat scientifique ! Pour essayer de comprendre ça, on va un peu revenir en arrière. La théorie la plus acceptée jusqu’à présent, c’était de dire que la Terre s’était formée dans une zone du système solaire qui était relativement chaude, et qui était en tout cas trop chaude pour qu’on ait de l’eau liquide à la surface de la Terre au moment de sa formation. En gros, vous formez la Terre dans une zone du disque où la température est suffisamment élevée pour que l’eau soit vaporisée, donc vous n’avez pas d’eau liquide à la surface de la Terre.

Et donc l’idée qu’il y avait derrière tout ça, c’était de dire « OK on forme une Terre sèche, qui est constituée de roche mais qui n’a pas d’eau, et ensuite cette eau terrestre elles provient des corps riches en eau qui amènent l’eau sur Terre. Et c’est corps riches en eau, eux ils se seraient formés dans les zones externes du disque (du système solaire), là où il faisait plus froid et on a pu avoir de l’eau sous forme de glace qui était présent. Donc la théorie qui était la plus acceptée jusqu’à présent c’était la formation d’une terre sèche et ensuite un peu l’insémination par des corps qui proviennent des zones externes du système solaire, ce qui a amené l’eau sur Terre. Don c’était, on va dire, une origine externe de l’eau.

Éléa : Donc externe. De l’eau par des corps externes, donc des météorites, des objets ?

Yves : Ouais des astéroïdes riches en eau ou des comètes mais on était capable de dire en mesurant certains isotopes que les comètes n’avaient pas contribué de manière importante à l’origine de l’eau terrestre. C’étaient principalement des astéroïdes riches en eau qui ont amené l’eau sur Terre. Donc ça c’était un peu la situation [consensus scientifique] jusqu’à l’année dernière. Et puis l’année dernière avec ma collègue Laurette Piani du CRPG, on a a publié une étude dans Science qui a fait un peu un gros buzz, parce qu’on a montré que dans les météorites qu’on appelle les « chondrites à enstatite »…

Ces chondrites à enstatite ressemblent vraiment à la Terre, donc on pense que la Terre s’est formée à partir de chondrites à enstatite. Il avait toujours été supposé que ces chondrites à enstatite étaient sèches, puisqu’elles se formaient dans des zones du système solaire qui étaient beaucoup trop chaudes pour avoir de l’eau liquide. Et, en fait, c’était un peu une légende urbaine. C’est-à-dire que ça avait été imaginé, ça avait écrit dans certains articles, ça avait été repris et puis avec Laurette on s’est aperçu que finalement ça n’avait jamais tellement été vérifié. Cette absence d’eau dans les chondrites à enstatite.

Donc on a développé toute une étude, qui couple plusieurs machines qu’on a au CRPG, pour essayer de vérifier si ces chondrites à enstatite étaient si sèches que ça. Et à notre grande surprise, on a découvert qu’elles n’étaient pas si sèches que ça, mais qu’il y avait suffisamment d’hydrogènes dans ces chondrites à enstatite pour former une grande quantité d’eau lors de l’évolution de la Terre au moment de se formation. Par des calculs on a montré que dans les chondrites à enstatite il y avait l’équivalent de 3 océans terrestres ! Et donc en fait, on avait pas du tout besoin de faire appel à des astéroïdes riches en eau provenant du système solaire externe, qu’on pouvait très bien former la Terre et ses océans à partir des chondrites à enstatite. Donc là, c’est une origine locale de l’eau. C’est-à-dire que l’eau ne provenait pas des zones externes du système solaire mais provenait des zones internes là où s’était formée la Terre.

Éléa : Alors est-ce que tu peux un peu plus nous expliquer ce que sont ces fameuses chondrites là ? C’est quelque chose qui existe déjà lors de la formation de la Terre, c’est ça ?

Yves : Alors les chondrites, c’est des fragments d’astéroïdes qui n’ont pas été modifiées depuis leur formation. En gros, les chondrites c’est un résultat de l’agglomération de poussières qui se sont formées dans le système solaire. Et, la Terre s’est formée par l’agglomération de chondrites dont on a peut-être plus la trace aujourd’hui ; mais les chondrites à enstatite sont celles qui ressemblent le plus aux chondrites qui ont formé la Terre.

Éléa : Donc ça, sur le fait d’agglomérer des chondrites pour former la Terre, c’est quelque chose qui n’est plus débattu ?

Yves : Bah la Terre, elle s’est formée par agglomération d’objets qui se sont formés dans les quelques premiers millions d’années de l’évolution du système solaire. Et ensuite, la Terre a chauffé, elle a fondu, et donc on n’a plus la traces de ces chondrites parce que tout a été reprocessé. En fait, le plus gros objet extraterrestre, qu’on connaissance et qu’on a à notre disposition, c’est la Terre. Elle s’est formée à partir de matériel qui s’est formé au tout début du système solaire. Après tout ce matériel a été reprocessé, et donc on a perdu l’aspect primitif des constituants. Mais on a des météorites dont la composition chimique et la composition isotopique ressemblent énormément à celle de la Terre, et ça ce sont les chondrites à enstatite. On pense qu’elles sont de très bon analogues du matériel qui a formé la Terre.

Et comme on a montré que ce matériel qui ressemble beaucoup à celui qui a formé la Terre est finalement plus riche en eau et en hydrogène que ce qu’on pensait, on peut très bien, quand on forme la Terre, avoir suffisamment d’eau pour expliquer la totalité des océans terrestres. Sans faire appel à du matériel provenant des zones externes du système solaire.

Éléa : OK. Donc potentiellement rien de très lointain aurait amené l’eau sur Terre. Et du coup, qu’est-ce que ça impliquerait, d’un point de vue de la vie dans l’Univers ? Parce que souvent on lit des théories comme quoi il y aurait peut-être eu un « ensemencement » de la vie sur Terre par une météorite qui serait venue de très loin. Alors le fait que, quelque chose soit arrivé avec de l’eau, j’imagine que ça a du « mettre de l’eau dans le moulin » – si je peux me permettre – à cette théorie là ?

Yves : Disons que… Ce que ça veut dire, c’est que dès le début, dès les premiers temps d l’histoire de la Terre, il y avait de l’eau. Il n’a pas fallu attendre x millions d’années pour pouvoir amené de l’eau sur Terre. Donc ça veut dire que dès le début on avait de l’eau à disposition à la surface de la Terre et aujourd’hui la vie telle qu’on la connaît elle a besoin d’eau pour se développer. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de vie qui se développe sans eau. Ça veut dire que la vie telle qu’on la connaît aujourd’hui, et qu’on a décrit sur Terre, elle a besoin d’eau pour pouvoir se développer.

Après effectivement, il y a des théories qu’on appelle de « panspermies » qui proposent que la Terre a été ensemencé par des météorites qui proviennent d’ailleurs dans le système solaire, et qui amené tous les composants nécessaire à l’apparition de la vie. Je dirais que le fait que la Terre était riche en eau dès le début, ça n’évacue pas cette idée de panspermie. Parce que sur Terre il y avait peut-être de l’eau mais dans les chondrites à enstatite il n’y a pas beaucoup de carbone. Et on a besoin de carbone pour pouvoir développer la vie aussi.

Donc si on fait venir des météorites provenant des zones externes du système solaire, ces météorites elles vont être plus riches en carbone. Notamment vous avez certaines météorites qui sont très riches en acides aminés. Et les acides aminés c’est les composants fondamentaux pour le développement de la vie. Donc je dirais que l’un n’exclut pas l’autre. Il y a toujours cette idée que, dans les météorites, il y a tout le matériel nécessaire pour développer la vie. Ça ne veut pas dire qu’il y a la vie dans les météorites – ça souvent les journalistes veulent qu’on dise ça « Ah bon, il y a de la vie sur les météorites ? » Non ! Il y a en gros toutes les briques nécessaires au développement de la vie. Mais ce n’est pas parce qu’on a des briques qu’on va forcément savoir construire un mur. Et après donc, on ne s’est pas comment ces éléments – du carbone, de l’argile, de l’eau – vont réagir ensemble pour commencer à former une vie organiser et capable de se reproduire.

Éléa : Et euh.. peut-être que je réfléchis mal et que ma logique n’est pas bonne, mais le fait qu’il y ait déjà eu l’eau dès le début, potentiellement ça aurait aussi laissé plus de temps pour l’apparition de la vie par rapport à si l’eau avait été amené plus tard lors de la formation de la Terre ?

Yves : Ça veut dire que dès le début, il y a un des constituants fondamental nécessaire à l’apparition de la vie. Donc, en ce moment là, il y a des conditions qui sont réunies avec suffisamment d’eau, suffisamment de carbone, on peut très vite développer la vie à partir de ça. Après ça a aussi beaucoup d’autres implications – on va dire – indirectes sur l’apparition de la vie. C’est-à-dire que si on a de l’eau, le magmatisme ne va pas être le même e quand il y a de l’eau et quand il n’y a pas d’eau. Et si le magmatisme n’est pas le même, on va peut-être créer des continents plus vite, on va peut-être mettre en place de la subduction plus vite, et donc tout ça, ça joue aussi sur le développement de la vie. Les cycles… La Terre va mettre en place toute sa géologie active, et ça influe potentiellement sur la vie puisque ça permet de développer des environnements qui sont susceptibles d’être favorables à l’apparition de la vie.

Alexa : Moi j’ai une question par rapport aux satellites de glace – parce qu’il me semble qu’on en parle énormément en ce moment pour parler de l’apparition de la vie. Est-ce que l’eau sur ces satellites de glace elle est apparue de la même façon que sur Terre ou est-ce que c’est différent ? Et, du coup est-ce qu’on considère que ce sont des endroits privilégiés pour le développement de la vie parce qu’ils ont de l’eau potentiellement sous leur surface, ou pour d’autres raisons ?

Yves : Ces satellites de glaces, ce sont les satellites des planètes gazeuses géantes : Saturne, Uranus. Il y a toute une batterie de satellites un peu tous plus exotiques les uns que les autres. Mais il y a certains satellites qui ont effectivement – on le sait maintenant – des océans liquides qui ne sont pas à la surface mais qui sont souvent en sub-surface parce ils sont recouverts soient par une croûte de glace, comme dans le cas d’Europe, soit par une couche de roches. L’eau dans les satellites de glace, bon bah… c’est pas tout à fait la même origine parce que ces satellites se sont formés dans les zones très extrêmes du système solaire, donc à des endroits où il faisait très froid et où il y avait déjà de la glace à disposition. Mais ouais, ce sont des environnements qui sont susceptibles d’accueillir la vie et d’avoir vue une vie se développer. Alors pas la vie telle qu’on la connaît sur Terre. C’est sans doute des environnements assez extrêmes. Mais on sait sur Terre qu’il y a par exemple des bactéries qui vivent dans des conditions très extrêmes : ce qu’on appelle les extrémophiles.

Il y a pas mal de missions spatiales qui sont imaginées pour essayer d’aller sur ces satellites de glace, essayer d’aller voir s’il y a des traces de vie. Alors ça pose plein de problèmes techniques. Ça pose plein de problèmes éthiques. C’est-à-dire est-ce que si on envoie une missions spatiale à la surface d’Europe ou de Ganymède, on ne va pas contaminer par des bactéries terrestres ces environnements. Ou si on trouve des bactéries sur place, est-ce que sont vraiment des bactéries qui se sont développés sur-place ou si ce sont des trucs qu’on a amené… Donc il y a tout un débat, dans la communauté, sur l’intérêt et l’aspect éthique ; mais ce sont des cibles qui sont vraiment importantes et qui sont aujourd’hui pas mal discutées pour les prochaines missions spatiales.

Éléa : Comme tu disais, l’eau c’est vraiment l’élément essentiel pour la vie telle qu’on la connaît. Il y a une question dans la chatroom qui fait un peu écho à ce que je voulais discuter : est-ce qu’il y a pu avoir plusieurs fois l’apparition de la vie ? Et si oui, bah du coup, à quelle échelle on peut la retrouver dans le système solaire, donc sur ces planètes de glace ? Est-ce que ce serait plus loin ? Et est-ce qu’il y a d’autres formes de vie qui puissent se baser sur autre chose que de l’eau par exemple ?

Yves : Déjà l’apparition de la vie sur Terre, c’est probable qu’elle ne soit pas apparu qu’à un seul endroit hein ! On ne peut pas exclure que la vie est apparue sur Terre à différents endroits, au même moment ou à des temps assez proches. Déjà sur Terre, on ne se pas comment la vie est apparue, mais une possibilité c’est que ce soit à plusieurs petites endroits qu’il y ait eu un développement de la vie.
Dans le système solaire, il y a plein d’environnements qui, en tout cas, ont l’air d’avoir à peu près tous les composants qui sont compris aujourd’hui comme étant nécessaires à l’origine de la vie. Mars au temps de… On va dire le premier milliard d’années de Mars semble être un événement assez favorable pour l’apparition de la vie. Il y a de l’eau, il y a une atmosphère, il y a un champs magnétique… Il y a beaucoup de choses qui semblent assez intéressantes pour l’apparition de la vie. Les satellites de glace, il y a potentiellement des endroits qui sont intéressants pour essayer de comprendre s’il y a eu d’autres formes de vie dans le système solaire, que sur Terre.

Après quelle type de vie ? Bah sur Terre on connaît pas mal de bactéries et d’espèces qui peuvent vivre dans des milieu extrêmes. Concernant l’eau… Il y a tout un débat sur des bactéries qui vivaient dans un environnement très riche en arsenic à une époque. Voilà, donc on peut imaginer que la vie se développe dans des environnements où il n’y a pas d’eau. Il y a aussi des théories sur le fait que c’est pas forcément le carbone qui contrôle l’apparition de la vie, le silicium peut jouer un rôle… Donc. Peut-être qu’on aura des surprises. Si on trouve de la vie ailleurs sur le système solaire, ce ne sera peut-être pas une vie telle qu’on la connaît sur Terre.

Alexa : Alors l’histoire de l’arsenic, c’était une erreur en fait. C’était un article qui avait fait pas mal de bruit, ouais. Qui avait fait un Science ou un Nature, je ne sais plus. C’était des bêtises. Et du coup je pense à un truc récent pour rebondir sur ce que tu disais, je crois qu’ils ont trouvé de nouveaux organismes au fond de la fosse des Mariannes donc c’est quoi, c’est 12 000…

Yves : 10 000 mètres de profondeur, hmm..

Alexa : Ouais voilà ! 10 km. Et euh, ça c’est tout récent ! Et qui ne sont pas juste des bactéries justement. Ça à l’air d’être des formes plus développées avec toute cette pression.

Yves : Ouais parce qu’ils ont 10km d’eau et de pression d’eau sur leur organisme. Et en fait, c’est pareil, une des grosses découvertes aussi, c’étaient tous les écosystèmes au niveau des fumeurs noirs au fond des océans, où là vraiment il y a toute une faune, toute une flore, qui se met en place. C’est assez ahurissant, des organismes complexes qui sont capables de vivre dans ces environnements. Tous les modèles de vie, par exemple sur Europe ou dans les océans les satellites de glace, c’est lié à ce genre de choses. Par exemple sur Ganymède, on sait qu’il y a des geysers. Donc ça veut dire qu’il y a une activité hydrothermale/volcanique qui se passe en profondeur. Et donc il donc y avoir des sources d’eau chaude, sur Ganymède. Pourquoi autour d’une source d’eau chaude sur Terre, est-ce que sur Ganymède on aurait pas une vie qui se développe ? On aura sûrement des surprises, et comme disait Alexa, je pense que les satellites de glace sont vraiment une cible privilégiée pour bien comprendre l’apparition de la vie.

Éléa : Sur les choses bizarres au sujet des formes de vie, potentiellement spatiale, on lit souvent des trucs de vulgarisation sur les tardigrades : ces fameux petites organismes qui se mettent en cryptobiose et qui résistent à des pressions incroyables qui ne pourraient pas exister sur Terre. Alors je ne sais pas si c’est vrai, je n’ai pas fact-checké, mais je pense que c’est un des arguments, un des animaux, qui fait dire aux gens que peut-être ça vient d’ailleurs et que la vie a existé ailleurs et qu’on s’est fait ensemencé des tardigrades. Je ne sais pas si c’est possible ou si c’est vrai d’ailleurs.

Yves : Ouais c’est assez curieux ! Voilà. Tout ce qui est fait en exobiologie montre qu’il n’y a pas mal de bactéries capables à des environnements assez extrêmes. Donc la question est de savoir est-ce qu’ils sont juste capables de résister ou il s ont été capables de se développer dans d’autres environnements que la Terre. Ça repose la question de ce qu’il s’est passé sur Terre à un moment pour que la vie apparaisse. Est-ce que ce processus est juste lié au fait qu’il y avait les bons ingrédients, mais que, finalement si on met ces ingrédients sur n’importe quelle planète on aura le même résultat ? Ou est-ce qu’il y a eu un phénomène particulier sur Terre qui a permis le développement de cette vie qui ne permet pas ailleurs ? En tout cas, ce que nous on a montré, c’est que dès les premiers âges de la Terre, il y avait de l’eau. Et que cette eau était locale, c’est-à-dire qu’elle provenait du système interne du système solaire, donc a priori on n’a pas besoin de faire appelle à des astéroïdes provenant du système solaire externe.

Éléa : Ça va devenir une nouvelle marque : on a l’eau locale sur Terre ! J’avais une question, qu’on n’a pas forcément préparé avant, sur ces débats justement sur présence d’eau. Pendant longtemps, les gens il ne savaient pas encore trop s’il y avait de l’eau sur Mars etc. Comment on a vraiment découvert qu’il y avait de l’eau ? Est-ce que c’était via des prélèvements ? Ou est-ce que maintenant on peut savoir là où il y a de l’eau par d’autres biais, toute autre méthodes, toute autre mesure ?

Yves : Sur Mars il y a maintenant tout un tas d’indices et de mesures directes qui montrent qu’il y a de l’eau dans le sous-sol martien. Que dans des terrains assez anciens il y a des minéraux qui ne peuvent se former que par présence d’eau. On voit des rigoles, on voit clairement qu’il y a des circulations de fluides sur Mars. En fait je dirais qu’il y a un faisceau d’indices et de mesures qui montrent qu’il y a eu de l’eau sur Mars pendant longtemps et qu’aujourd’hui encore il y en a. Aujourd’hui c’est acté. La NASA aime bien faire le buzz autour de ça. Tous les trois ans ils font un gros buzz en disant qu’on va vous montrer qu’il y a de l’eau sur Mars, mais bon finalement c’est un peu… Enfin on le sait quoi !

Éléa : OK, on n’a plus de doute. Et pour les satellites de glace dont tu parlais, Ganymède, les sources d’eau chaudes, tout ça, c’est des observations que…

Yves : Ouais ça c’est assez récent ! Ganymède c’était une grosse surprise de voir en fait qu’il y avait vraiment des geysers d’eau qui sortaient de la surface de Ganymède. Donc ça, c’est une missions spatiale qui ont faire des photographies il y a quelques années. On savait qu’il y avait des environnements riches en eau. Après de là à montrer qu’il y avait une géologie active et un cycle de l’eau très actif sur ces satellites, c’était une grosse découverte.

Éléa : Bon comme quoi. ‘Pas très loin de chez nous’, entre guillemets parce que tout est relatif, il y a encore pas mal de choses à découvrir. Juste sur l’aspect : est-ce qu’il y a de l’eau ? Et Comment ? Et est-ce qu’il y a de la vie ?
Et alors, sur ces questions, bah c’est bien que tu viennes à ce moment là parce que je pense automatique au film qui est sorti il n’y a pas longtemps :
Don’t look up, avec Leonardo Dicaprio. Alors pour les auditeurs qui ne veulent pas être spoilés (ou divulgâcher pour ceux qui n’aiment pas le franglais) du film vous pouvez passer la prochaine minute.Mais en gros. Si je récapitule le scénario, il y a un astéroïde de la taille de celui qui a conduit à l’extinction des dinosaures qui menace d’entrer en collision avec la Terre, et les scientifiques essaient d’alerter l’opinion publique sur le danger d’extinction imminent qui nous menace tous. Ils enjoignent les gouvernements de tous pays à tirer dessus pour en dévier la trajectoire. Mais c’est sans compter sur l’idée lumineuse et les ressources d’un multimilliardaire qui propose de la fragmenter en petits bouts pour en récupérer les métaux, une fois les petits bouts crashés sur Terre.

Alors du coup, je voulais en profiter que tu sois là et que tu connaissances bien ces objets, pour te demander à quel point c’est cohérent comme hypothèse qu’on se dise qu’on pourrait miner et utiliser les ressources de ces météorites qui tombent sur Terre. Quel taille ça fait ? Est-ce que c’est vraiment le genre de choses qu’on pourrait récupérer, qu’on pourrait exploiter ? Qu’est-ce qu’il y a d’intéressant là-dedans ?

Yves : Il y a plusieurs réponses… Utiliser les météorites, je dirais que c’est vieux comme le monde puisqu’on a des traces archéologiques où des populations ont utilisé des météorites de fer à l’époque où on ne maîtrisait pas la métallurgie du fer. Donc on a des outils en fer qui sont faits à partir de météorites. Donc déjà on voit que ça a été déjà utilisé par le passé. Il y a aussi des météorites de fer qui ont été utilisés comme enclume par des civilisations. Plein de météorites qui tombent sur Terre, un gros volume, oui on peut utiliser ces météorites comme source de fer métal, de nickel… ça a un concentration qui peut être intéressante. Ça dépend de la météorite qui tombe. Mais si c’est une météorite de fer par exemple, ça peut être intéressant.
Après, il y a l’idée de faire de « l’astéroïde-mining», c’est-à-dire d’aller faire des mines sur des astéroïdes. Et ça, ça traîne un peu dans l’imaginaire et puis c’est un truc qui ressort assez régulièrement : il y a des films là dessus. Ça de mont point de vue, c’est impossible. Pour plein de raisons. On ferme des mines sur Terre parce qu’elles ne sont pas assez rentables. Alors, aller faire des l’exploitation minière sur des astéroïdes à 500 millions de kilomètres euh…

Sachant qu’il faut une quantité d’eau faramineuse pour pouvoir extraire des éléments d’intérêts économiques euh… Je pense que ça va coûter une quantité d’argent phénoménale et ça ne va être absolument pas rentable. Parce qu’un truc qu’il faut bien comprendre, c’est que les météorites, les astéroïdes, les comètes, c’est formé des mêmes éléments chimiques qu’on trouve sur Terre. Il n’y a pas d’éléments chimiques particuliers dans les météorites qui pourraient être intéressants du point de vue économique. En plus, sur Terre, on a des exploitations minières parce qu’il y a des circulations de fluides sur Terre qui concentrent certaines éléments et ça devient intéressant économiquement des les exploiter. Or les astéroïdes sont des astres globalement morts. C’est-à-dire, qu’il n’y a pas de circulation de fluide. Donc il n’y a rien qui concentre les éléments chimiques… Je veux bien qu’on aille miner les astéroïdes mais la concentration d’or, la concentration de lithium dans un astéroïde, il n’y a pas des zones où c’est des pépites d’or incroyables ou des concentrations de lithium. Donc c’est, de mon point de vue, complètement irréaliste d’imaginer qu’on va aller faire des mines sur des astéroïdes. C’est hors de prix. C’est pas rentable. Et ça demanderait une quantité d’eau faramineuse. Et je pense qu’on a mieux à faire avec l’eau terrestre que de l’envoyer dans l’espace pour essayer d’exploiter des ressources. Je pense qu’on a suffisamment de problèmes autour de l’eau et notamment de l’eau potable sur Terre pour essayer de la conserver et ne pas aller faire de l’astéroïde-mining. Mais bon… c’est un truc je dirais… C’est un truc un peu survendu cette histoire.

Éléa : Ça sert de très bons scénarios pour des films de science-fiction ou des séries comme The Expanse

Yves : Après il y autre chose aussi. Le fait qu’un astéroïde puisse s’écraser sur Terre, la probabili… bah oui ! On sait qu’il y a déjà eu… Il tombe 40 000 tonnes de poussières extraterrestres par an sur Terre. La plupart c’est des poussières qui brûlent dans l’atmosphère : c’est les étoiles filantes. Une fois tous les 10 ans, il y a un bloc un peu plus grand. Une fois tous les 100 ans il y a un gros bloc. Une fois tous les millions d’années il y a un astéroïde de 2km qui tombe à la surface de la Terre. Donc on est potentiellement sous la menace qu’un astéroïde assez gros puisse tomber sur Terre.
Alors comment on fait si on s’aperçoit qu’il y a un truc qui nous arrive sur la tête ? Les agences spatiales européennes travaillent aujourd’hui pour : 1) être capable de détecter les astéroïdes qui ton capables de croiser l’orbite terrestre ; et 2) d’essayer d’imaginer des scénarios pour les dévier, donc soit pour les fragmenter soit pour les dévier et qu’ils ne frappent pas l’atmosphère terrestre ; ça c’est vraie recherche qui est gérée par les agences internationales spatiales. Mais l’histoire de l’astéroïde-mining moi je n’y crois pas une seconde.

Éléa : Donc ta recommandation en tant que scientifique, si cette situation se présente un jour, si un milliardaire s’oppose à ce qu’on dévie un astéroïde pour le faire atterrir sur la Terre, tu penses que ça ne vaut pas le coup quoi.

Yves : Je pense que ça ne vaut le coup ! Après il y a des questions politiques derrière. Des questions éthiques et des questions philosophiques. C’est-à-dire que : est-ce qu’on va laisser encore longtemps des milliardaires faire des vols habités et cramer je ne sais pas combien de milliard de tonnes de CO2 juste pour leur plaisir personnel d’aller voir la Terre depuis 30 km d’altitude ? Je veux dire à un moment… Il faut voir qu’elles sont les priorités au niveau de la civilisation. Est-ce qu’on va laisser des milliardaires développer des projets qui nécessitent des milliards de litres d’eau potable terrestre pour aller faire des mines à 500 millions de kilomètres ? Je pense que la réponse on la connaît. C’est juste que si l’humanité elle veut avoir un avenir il faut interdire ce genre de choses, il faut interdire ce genre de pratiques. Le tourisme spatiale. C’est une aberration écologique. L’astéroïde-mining ce sera aussi une aberration écologique. Et je pense que c’est du devoir des scientifiques de la dire et de vraiment se positionner fortement pour le dire. Aujourd’hui, on n’entend pas grand monde dire que le tourisme spatiale c’est une aberration écologique.

Éléa : Bah oui pourtant ça fait plutôt du sens… Alors justement sur cette question, on dévie un peu mais, moi je me posais la question en tant que novice ; autant le tourisme spatiale ça pose une question d’éthique parce que c’est juste pour le fun, mais la recherche spatiale et tout ce qu’on envoie dans l’espace pour une but scientifique, je me posais la question si ça avait une durée de vie. Beaucoup de gens se posent la question si un jour on ne pourrait plus prendre l’avion parce qu’il n’y aura plus d’essence etc. Pour la spatiale ça se passe comment ? Est-ce que c’est timé aussi cette quantité de ressource utilisée ?

Yves : *rire* Tu pointes du doigts une contradiction voilà. Je dis qu’on peut pas faire de tourisme spatiale mais en même temps je suis impliqué dans des missions spatiales. C’est sûr c’est une contradiction. Si on veut vraiment réduire l’impact carbone du l’humanité, il faudrait arrêter ce genre de choses. C’est sûr. Après c’est où est-ce qu’on met la limite entre la connaissance et puis l’impact qu’à cette [recherche de] connaissance sur l’humanité. C’est sûr que d’un point de vue bilan carbone, tout ce qui est exploration spatiale c’est une catastrophe. C’est une catastrophe.
Après on peut le faire différemment. Je veux dire, les météorites tombent sur Terre toutes seules. Le bilan carbone d’une météorite c’est zéro ! Donc… Après c’est pas zéro parce qu’on l’étudie. Mais on peut se poser la question effectivement. C’est encore « éthico-philosophique ». C’est-à-dire que les missions spatiales sont là pour ‘générer de la connaissance’ et puis il y a aussi l’aspect ‘devenir de l’humanité’ : est-ce que l’humanité va pouvoir survivre sur Terre, ou est-ce qu’il va falloir aller coloniser d’autres planètes ? Et donc à ce titre, la conquête spatiale, elle pourrait être intéressante. Mais elle n’est pas neutre du point de vue carbone, ça c’est sûr.

Alexa : Mais du coup, la conquête spatiale, je me demandais, ça représente quel pourcentage par rapport à, par exemple, les pratiques spatiales commerciales comme l’envoie de satellite ou ce genre de choses, parce que ça c’est encore plus ?!

Yves : Ouais ouais non… C’est pas grand-chose effectivement. Ce qui génère beaucoup de pollution effectivement c’est tout l’aspect satellite. En plus l’aspect satellite… On débarrasse pas hein ! Quand les satellites ne sont plus en fonctionnement, ils sont en orbite et à un moment on va avoir des problèmes. C’est une vrai question, les déchets spatiaux : comment on va faire pour les traiter ?

Mais ouais, ça ne représente pas énormément. Mais voilà. Moi je me suis retrouvé plusieurs fois devant mais contradictions. C’est-à-dire que des copains, des connaissances, qui disent : « Oui mais, tu bosses là-dessus mais en même temps tout le monde n’a pas à manger sur Terre. » Oui, oui, c’est une contradiction. Mais après aussi, ce que je réponds, c’est que c’est aussi un choix politique. C’est-à-dire qu’aujourd’hui on pourrait très bien donner manger à tout le monde et faire de la conquête spatiale. Mais ça reste une contradiction.

Éléa : Ouais, moi ma question moi c’était vraiment en terme de ressources. Pour lancer une fusée qu’est-ce qu’il faut ? Est-ce que cette denrée elle va venir à manquer aussi ? Est-ce qu’il y a une échéance de cet ordre là ?

Yves : Je ne pense pas non. Pour l’instant, la denrée en elle-même, elle ne va pas manquer. C’est plus derrière, qu’est-ce que ça implique de le faire.

Éléa : Ouais bien sûr ! Hé bien on ressortira l’épisode dans le futur, quand il y aura des questions éthiques et des vrais choix à faire. On enverra le podcast partout. Dans la chatroom il y a Kaou qui fait remarquer que… apparemment il y aurait des traces fossiles d’un astéroïde moins gros que Chixculub – alors je ne sais pas comment on le prononce, celui qui serait tombé quelque part depuis 65MA,on le prononce comment ?

Yves : Je.. je ne sais pas le prononcer non plus. C’est un cratère dans le golfe du Mexique qui est datée à peu près au moment de la disparition des dinosaures. Donc, on pense que ça a un lien avec la disparition des dinosaures.

Éléa : Et il dit qu’il y aurait un autre qui serait moins gros que celui-ci et qu’il y aurait des traces aussi ? Je ne sais pas si ça te dit quelque chose.

Yves : Euh ouais. Je ne suis pas spécialiste en cratère ni en extinction de dinosaures mais euh… c’est possible.

Partie 3 : la vie et les grandes questions dans ta discipline

Éléa : OK. Bon pour alléger un peu cette fin d’épisode, je voulais aussi qu’on prenne le temps de parler un peu de la vie et des grandes questions de ta discipline. Toi, au métier, au quotidien, quel genre d’outils pouvez-vous utiliser dans vos recherches ? Et ça ressemble à quoi ta journée de géologue de l’espace finalement ?

Yves : Les outils… Moi ce que j’utilise, moi et mes collègues, c’est qu’on bosse sur des roches, déjà. Donc on bosse sur des objets naturels. Ça a beau être des objets extraterrestres, ce sont des objets naturels. Comme je disais tout à l’heure, il n’y a pas d’éléments chimiques différents dans les météorites que dans les roches terrestres. Donc ce qu’on utilise pour observer et caractériser ces météorites, c’est les mêmes techniques qu’on utilise pour caractériser des roches terrestres, c’est-à-dire des microscopes pour faire des observations. Alors il y a tout un tas de type de microscopes différents : optique, électronique… On utilise des microscopes pour faire des observations, et après on utilise ce qu’on appelle des spectromètre de masse pour faire des mesures isotopiques. Pour déterminer la composition isotopique de ces objets.

Alors les isotopes c’est, par exemple, l’oxygène a trois isotopes : 16, 17, 18. On va dire que c’est un peu trois petits frères. Et le rapport des différents isotopes nous donne des informations sur les processus qui ont amené à la formation des météorites. Donc nous, on détermine la composition isotopique de ces roches. Donc pour ça on utilise tout un tas de spectromètres de masse qu’on a au laboratoire, qui permettent de mesurer ça.
Moi ma spécialité c’est d’utiliser une sonde ionique. C’est en gros une machine qui permet de tirer sur un faisceau d’ions sur une météorite, d’arracher un peu de matière. Et cette matière qu’on arrache, on mesure sa composition isotopique. Donc ça permet de faire des mesures in situ à l’échelle très petite de notre faisceau primaire de notre machine qui fait 15 microns de diamètre, en gros. Donc ça c’est que je fais au quotidien dans les mesures qu’on fait. On va observer, caractériser et déterminer la composition chimique et isotopique de ces roches.

Après à quoi ressemble une journée type au labo ? Bon bah euh… Je dirais que c’est très varié. Le métier de chercheur est vraiment pas un du tout un métier ennuyeux parce qu’il n’y a pas de journée qui se ressemble. Une partie c’est de bosser sur les objets naturels, donc passer du temps à caractériser ces objets. C’est aussi comprendre les données. Alors ça dépend où on en est dans sa carrière, mais moi j’en suis à un stade où c’est aussi de m’occuper de mes étudiants en thèse et en post-doctorat, c’est-à-dire passer du temps avec eux. Écrire des articles. Écrire des demandes de financement. Donc il y a un aspect à la fois manip’, c’est-à-dire manuel on va dire, et puis un aspect intellectuel qui est la compréhension des données ; et après il a un aspect écriture, c’est peut-être qui est assez méconnu du métier de chercheur, en fait. Ce que je dis souvent aux étudiants : faire de la recherche c’est écrire énormément. Je pense que plus de 50 % du temps des chercheurs est dédiée à l’écriture : écrire des demandes de financement pour pouvoir travailler, écrire des articles, écrire des rapports, écrire des e-mails, écrire ceci, écrire cela. Il y a une quantité d’écriture qui est assez phénoménale. Alors les articles, c’est en anglais. Je dirais que les journées sont variées. Moi elles alternent entre un aspect manuel et un aspect plus intellectuel, mais il n’y a pas une journée on je n’écris pas.

Alexa : En tout que directeur de recherche tu fais toujours des manip’ quand même ?

Yves : Ah ouais ouais ! Je suis directeur de recherche et directeur adjoint du laboratoire, aussi. Mais ouais ouais, non. Je fais encore des manips, je fais encore mes observations. Je ne veux pas tomber dans le syndrome de : « Je reste les fesses derrière mon bureau et ce sont les étudiants qui font le boulot. » Je veux pouvoir faire encore. Après je le fais avec mes étudiants aussi hein ! Mais ouais, j’essaie d’avoir encore une activité scientifique manuelle.

Éléa : Pour ceux qui nous écoutent et qui ont des vocations, est-ce qu’il y a des postes de doctorants ouverts dans ton labo régulièrement ?

Yves : Ouais ouais, tous les ans on a, ça oscille entre, 4 ou 6 nouveaux doctorants qui commencent, normalement plutôt vers Septembre-Octobre. Après c’est dans tous les domaines qu’on étudier au CRPG : ça peut être sur les météorites, ça peut être sur les roches magmatiques… Donc oui, oui, on recrute régulièrement des doctorants, des post-doctorants.

Après il n’y a pas que la recherche dans un laboratoire. C’est quelque chose sur lequel il faut vraiment insister. Un laboratoire ça fonctionne, et notamment le CRPG fonctionne très bien parce qu’on a un super service administratif qui nous facilité vraiment la tâche. Parce qu’on a tout un tas de personnel d’appui à la recherche, c’est-à-dire des techniciens, des assistants ingénieurs, des ingénieurs, qui gèrent les machines, qui nous aident à faire les mesures… Donc il y a tout un tas de métiers différents dans un laboratoire de recherche. Il n’y a pas juste chercheur. Il y a des secrétaires, des électriciens, des électroniciens, des informaticiens et des chercheurs. Mais oui, on recrute à tous les niveaux. Pas beaucoup, parce qu’on sait que le nombre de post en recherche à tendance à réduire de manière drastique, mais on recrute quand même.

Éléa : Et le soir tu prends encore le temps pour faire de la vulgarisation avec nous, donc merci pour ça !

Yves : Bah avec plaisir ! On est un labo qui est vachement actif au niveau vulgarisation, parce qu’on fait beaucoup de choses : des interventions en milieu scolaire, des conférences au grand public, des interventions à l’hôpital d’enfants, pour les enfants malades… Enfin on essaye en tout cas, de vraiment avoir une activité de communication scientifique très développée.

Éléa : Et c’est tout à votre honneur je pense. Parce qu’on en a besoin. Ça tout le monde en a conscience je pense. Dans la chatroom, il y a une question assez intéressante, est-ce que du coup dans vos mesures au quotidien vous avez déjà trouvé quelque chose d’un peu exotique ou quelque chose que vous n’aviez jamais vu précédemment sur Terre ? Dans ces échantillons de météorites… Finalement qu’est-ce qui vous surprend des ces échantillons ? Vous avez déjà eu des découvertes faramineuses ? Autres que l’eau du coup.

Yves : L’eau bien sûr, ça, ça a été un gros truc. Je dirais que… Moi un des trucs qui m’a vachement marqué ces dernières années dans les trouvailles qu’on a faites euh… Une de mes spécialités c’est essayer de comprendre les conditions et la chronologie de formation des premiers solides du système solaire : comment à partir de gaz, on va former des solides et qu’ensuite ces solides vont s’agglomérer pour former des objets des plus en plus gros ? Type astéroïde puis ensuite former des planètes. Il y a un moment de l’histoire du système solaire, où l’étoile centrale est entourée par ce qu’on appelle un disque d’accrétion. C’est dans ce disque que vous se former les premières poussières. Et un des trucs qu’on a pas mal montré ces dernières années, c’est qu’en fait, dans le disque, il y a de la création de poussière, on forme des poussières, mais en fait il y a beaucoup de processus de recyclage. C’est-à-dire qu’une fois les poussières formées, on les recycle pour former d’autres poussières. Je trouve ça assez intéressant, parce que ça revient à la discussion éthico-philosophique qu’on avait avant. De dire que dans ce genre de structure le recyclage existait déjà : qu’on ne produisait pas à l’infini mais qu’on produit des poussières et qu’ensuite ces poussières son transformées pour en former d’autres. Ça, c’est un truc qu’on a trouvé ces dernières années qui est vraiment cool : les liens entre les différentes poussières et voir comment ces poussières vont se transformer pour en former d’autres.

Éléa : Et plus généralement dans ta discipline, et pas forcément au labo, c’est quoi les grandes découvertes et les grandes avancées ces dernières années ? 

Yves : Il y a une révolution ces 10 dernières années dans notre domaine, qui est double. On est enfin capable en astronomie d’observer les disques autour des étoiles jeunes : les lieux où se forment les premiers solides autour des étoiles. Donc on a des télescopes qui sont capables d’observer ces disques. Avant c’était très compliqué parce que la lumière de l’étoile était tellement intense qu’on n’arrivait pas à voir les disques. Aujourd’hui ils sont capables de la voir et ils ont montré qu’il y avait des textures hallucinantes à l’intérieur des disques. On voit des sillons, en gros ça ressemble à des vinyles. On voit des sillons, on voit la formation des planètes à l’intérieur de ces sillons. Donc ça, visuellement, ça a été une révolution. Avant on ne voyait rien, et là on voit un peu comme le brouillard qui se lève : on voit vraiment les textures, les structures à l’intérieur des disques.

Ça en astronomie ça a été une révolution, et dans notre domaine sur les météorites, il y a une autre révolution avec des systèmes isotopiques très particuliers de montrer que le disque du système solaire était segmenté en plusieurs réservoirs. Notamment on pense surtout en deux réservoirs. Et cette segmentation en deux réservoirs était sans doute liée à la formation très rapide de Jupiter. Donc on a des indices qui montrent que visiblement Jupiter s’est formée très très tôt dans l’histoire du système solaire et que cette planète hyper massive a complètement séparé le système solaire internet du système solaire externe. Et cette séparation a eu lieu très très tôt dans l’histoire du système solaire.

Éléa : Donc, si je comprends bien, il y a eu deux grosses soupes distinctes de matière dans le système solaire qui a un moment ce sont mélangées, pour donner entre autre Jupiter à ce moment là assez tôt ?

Yves : Non. En fait, le disque était complètement homogène chimiquement et isotopiquement. Et quand Jupiter s’est formée, très tôt, elle a isolé les deux réservoirs et les deux réservoirs ont évolué de manière complètement séparée. Sans avoir d’interactions l’un avec l’autre. Et ça, dans notre domaine, ça a été une grosse découverte : c’est ce qu’on appelle la dichotomie entre le réservoir interne et le réservoir externe. La notion de dichotomie on l’entend à toutes les sauces dans les conférences, dans notre domaine. Mais ça a été une très très grosse découverte sur l’étude des météorites, et c’est à mettre en relation avec les observations astronomiques qui montrent ces structures dans les disques. En fait, c’est logique que notre système solaire ait été très segmenté quand on voit les autres formations du système solaire aujourd’hui.

Éléa : D’accord. Et à l’inverse, actuellement, quelles sont les grandes questions à laquelle ta discipline doit encore répondre ? Et quelles sont les plus urgentes aussi pour les gens de la profession ?

Yves : Je pense qu’un des grosses questions qu’on a, qui n’est pas claire encore, c’est la chronologie en fait. On a des outils radioactifs à notre disposition, des chronomètres radioactifs qui permettent de dater les processus. C’est-à-dire dater à quelle vitesse on va former les poussières, à quelle vitesse et quand ces poussières ce sont agglomérer… En en fait, on n’est pas assez précis dans nos datations. Ce sont des mesures qui sont très compliquées. On a beaucoup progressé. Mais on n’ a pas atteint la précision nécessaire pour arriver à avoir une vision assez fidèle de la hiérarchie, de la chronologie de ces processus lors de l’évolution du système solaire. Donc je pense que si on veut vraiment comprendre les premiers millions d’années du système solaire il faut qu’on fasse des gros progrès au niveau datation. Alors on y travaille. Ce n’est pas facile. On progresse petit à petit mais c’est là qu’on doit progresser.
Par exemple, on arrive à des résultats où on va dire qu’un objet s’est formé 2 millions d’années après la formation du système solaire mais plus ou moins, 1,5 millions d’années. Donc en fait on n’est pas assez précis. Il faut qu’on arrive à réduire ces barres d’erreur, c’est-à-dire les précisions sur les âges.

Éléa : Donc les questions de géologie, d’étapes de formation du système solaire, c’est quand même étroitement lié sur l’apparition aussi de la vie ? Est-ce que les gens se concentrent un peu sur cette question aussi ? Ou est-ce que c’est vraiment réservé à un domaine parallèle et vous ce qui vous intéresse c’est uniquement la partie géologique de la chose ?

Yves : Au CRPG et pour ma part, je ne travaille pas tellement sur les conditions d’apparition de la vie parce qu’en fait, c’est très compliqué l’apparition de la vie. Ça fait appel a des concepts de chimie, de biochimie… C’est pas tellement les géologues qui vont travailler sur les conditions d’apparition de la vie. Nous en tout cas on ne se focalise pas trop là-dessus. Ce sont les chimistes, biologistes, biochimistes, exobiologiques qui travaillent là-dessus. Nous on se focalise vraiment… En tout cas moi, mon business c’est de comprendre la formation et la création des solides autour des étoiles – donc en gros autour du soleil, il y a 4,5 milliards d’année. Comment cette poussière c’est agglomérée pour former des objets de plus de plus grands ? À quelle vitesse ? Quelle chronologie ? Mais l’apparition de la vie, alors oui bon, comme on a fait cet article sur l’eau, ça a pas mal d’impact sur la vie. Mais finalement ce n’est pas ça qui nous motive en recherche.

Éléa : OK. Alors tout ce qui touche au spatiale, ça suscite plutôt l’intérêt dans le grand public et je pense que vous êtes beaucoup sollicités sur ces questions là, est-ce que, au contraire, la géologie c’est un peu sous-représentée ou est-ce que ça va ?

Yves : Bah… souvent les gens trouvent ça assez ennuyeux la géologie car ils ont des souvenirs de 4ème où ce n’est pas super bien enseignée. Enfin à l’époque où j’étais au collège ce n’est pas la partie la plus intéressante. Donc souvent ouais, la géologie a un côté un peu… les gens ils ont peu un côté ennuyeux du truc. Après quand on explique, finalement, ça intéresse. Ça intéresse. Parce que la géologie c’est à l’interface de plein d’autres sciences qui utilisent la biologie, les mathématiques, la physique, la chimie ; donc c’est vraiment à l’interface de plein de domaines scientifiques. Et puis après, ça répond à des questions qui sont assez intéressantes, sur la formation des premiers continents, à quoi ressemblait la Terre au tout début de l’histoire de la Terre, comment les montagnes se forment… Si on parle de volcans ça fait un peu rêver tout le monde. Donc finalement, on arrive à intéresser les gens, après un espèce de premier recul qui est lié à des restes de l’enseignement de la géologie au collège.

Éléa : Est-ce que sur ces questions là de géologie, il y a des initiatives particulières en vulgarisation auxquels vous participez ? Est-ce que vous en avez créé du côté de Nancy, du CRPG ?

Yves : Cette année par exemple, c’est l’année de la minéralogie, des minéraux, donc on va y participer. Nous comme je le disais, on fait beaucoup de vulgarisation scientifique donc des communications où on essaie de montrer nos résultats, de les présenter au grand public, sous plein de formes différentes. On avait organisé une exposition de météorites pour les 80 ans du CNRS, on a fait des cafés scientifiques, on fait des interventions au collège et lycée, des projections de films avec des débats et des discussions. Donc on essaie vraiment d’être actif, de montrer ce qu’on fait. De faire passer le message aussi que les labos ne sont pas des environnements fermés, ce n’est pas des espèces de tour d’ivoire où on ne sait pas trop ce qui s’y passe. Je pense que, en tant que chercheur, on a euh… Enfin, il ne faut pas se leurrer, on a un métier qui est assez chouette, on vit sur de l’argent public – en tout cas nous en recherche fondamentale c’est de l’argent public qu’on utilise. Donc je pense qu’on a un devoir vis-à-vis du grand public de monter ce qu’on fait ! On ne va pas juste se contenter de bien se marrer dans notre labo à titiller des cailloux quoi. Ça fait partie de nos missions de communiquer la science, d’expliquer, et d’expliquer aux gens ce que c’est la science : c’est un processus lent, complexe, pas linéaire, qui fait une belle place au doute, dès fois on se plante on est obligé de faire demi-tour ; et je pense que c’est super important de faire passer ce message là à une époque où tout le monde a plus ou moins un avis, tout le monde à plus ou moins une solution euh… Il y a une espèce de défiance vis-à-vis de la science, vis-à-vis du discours scientifique. Donc je pense que ça fait partie de nos missions de montrer comment ça marche. On essaie de le faire régulièrement, on est assez actif et on aime bien ça !

Éléa : Ouais c’est super important et encore une fois merci de prendre une part à ça ! Il devrait en avoir encore plus je pense, parce que tout le monde ne le fait pas. Encore maintenant, il y en a qui n’aime pas ça, il y en a qui se disent que ce n’est pas du temps qu’il faut prendre car c’est du temps perdu sur sa carrière ou quoi ; donc c’est vraiment chouette qu’il y ait des labos qui le fassent.

Yves : ‘Faut savoir le faire hein ! C’est pas forcément facile, quand on est un peu pommé dans ses recherches, de parler au grand public. On n’a pas de formation pour ça. Si c’est pour aller casser la tête aux uns parce qu’on ne sait pas communiquer c’est sûr que ça devient compliqué quoi. Mais ça se travaille. Et je pense que c’est important ouais, c’est vraiment important de le faire.

Alexa : Après, il faut rappeler aussi je pense que dans toutes les demandes de financement aujourd’hui, qu’on peut faire (je sais que c’est le cas aux US, mais c’est le cas en France aussi même sur les ANR par exemple qui est des demandes de financement qu’on peut faire en France) on a une part qui doit être alloué à la vulgarisation maintenant. C’est-à-dire que quand on demande des sous une partie doit aller pour ça. Et je pense que c’est justement une partie de faire aller les choses dans le bon sens et d’ouvrir peut-être les laboratoires sur l’extérieur.

Yves : Ouais, c’est très bien. C’est très bien.

Éléa : Donc si les gens qui écoutent le podcast, veulent continuer à suivre un peu ce que vous faites au CRPG, comment ils peuvent faire ? Vous avez quoi comme fil d’actu ?

Yves : On a un compte twitter, qui s’appelle @CrpgNancy je crois. On a une page facebook aussi. On communique régulièrement des publications, des interventions et notamment tout ce qui est science ouverte, communication grand public. Par exemple il y a que des conférences sur la Place Stan’ [Place Stanislas] pour les jardins éphémères. Donc c’est mise en ligne et – sur le compte twitter et facebook – vous avez accès à quand est-ce qu’on fait les interventions. Il ne faut pas hésiter à venir. Il ne faut pas hésiter à venir discuter avec les chercheurs du CRPG.

Éléa : On transmettra et on mettra tous les liens dans les notes d’émission quand on rediffusera le podcast par la suite. Donc pour les gens de la chatroom si vous avez encore des questions, avant que Yves nous quitte, je pense que c’est le moment de les mettre dans la chatroom. Et on attendant, Yves, je vais te poser les deux questions bonus que je t’avais envoyées. Donc la première c’est : Quelle est la question que l’on te pose tout le temps, et à laquelle tu t’es lassé de répondre ?

Yves : À quoi ça sert ? On ne me la pose pas tout le temps mais on me la pose régulièrement, le côté un peu futile et le côté un peu vain d’étudier ce genre de choses. Alors moi je n’ai pas de problème avec ça, je suis le premier à dire que ça peut potentiellement ne servir à rien mais je suis bien content de la faire. Mais je pense que fondamentalement ça ne sert pas à rien, c’est de la connaissance. C’est une compréhension des processus physico-chimiques, c’est une compréhension de nos origines, une compréhension de l’environnement dans lequel on vit. Donc je pense que c’est fondamental d’arriver à le décrypter. Et puis après, c’est du développement technique. L’image que je donne, l’exemple que je donne souvent, c’est la physique quantique. Quelque part on peut dire que ça sert à rien, sauf que c’est ce qui a permis l’invention des lasers. Et quand on voit l’application des lasers aujourd’hui, on comprend bien que si leur avait demander à quoi ça sert, on se serait privé d’un développement technique intéressant. Mais ouais il y a ce côté lassant un peu du… à quoi ça sert… à quoi bon…

Éléa : Et puis dès fois on ne le sait pas à l’avance, non plus. On ne sait jamais : on garde ça sous la main et peut-être qu’un jour ça servira à quelque chose. Ce n’est pas une raison pour ne pas le faire en tout cas. Et à l’inverse, quelle est la question que l’on ne te pose jamais, et à laquelle tu aimerais bien répondre ? 

Yves : Ça c’est pas une question facile. Mais en fait, moi il y a un… C’est marrant parce que finalement on en a un peu parlé pendant ce podcast. Je pense que ça a vachement un lien avec l’histoire de manière générale et avec des sciences plutôt humaines et sociales. Mais en fait, moi ce que je trouve fascinant et parfois vertigineux, c’est de faire le lien avec l’histoire, les questions sociétales, les questions environnementales, les questions éthiques, les questions philosophiques. Et c’est cool parce que dans le podcast on a parlé de ça. Je trouve que ces questions autour de ce lien là, sont des questions qui manquent alors que je pense qu’il n’y a pas mal d’interdisciplinarité à faire ; et pas une interdisciplinarité de façade – parce que souvent dans la recherche on nous bassine avec l’interdisciplinarité : c’est juste ça fait plaisir aux politiques et aux financeurs de se dire qu’on va financer l’interdisciplinarité mais derrière il ne se passe pas grand-chose. Alors que, fondamentalement, il y a des choses à faire, il y a des sujets interdisciplinaires de nature à amener de la connaissance et des recherches sur l’astrophysique, la cosmochimie et les liens avec les sciences humains et sociales. Ça j’ai l’impression qu’on en parle pas assez. Moi j’aimerais bien en parler plus.

Éléa : Au-delà d’en parler, tu penses qu’il y aurait des opportunités avec la tendance au regroupement des disciplines à l’interdisciplinarité pour lancer des projets ?

Yves : Bah là typiquement, on est en train de répondre à un appel d’offre de l’université de Lorraine sur des grandes projets où on a essayé de mélanger – autour de la question de l’habitabilité c’est-à-dire de comment une planète devient habitable et comment cette habitabilité va évoluer au cours du temps ; on a mélangé des gens qui font de la toxicologie, des gens qui réfléchissent au point de vue sociologique, anthropologique à ces notions d’habitabilité, des géologues qui étudient les crises biologiques passées pour essayer de comprendre comment la crise biologique qui va nous frapper on va pouvoir l’anticiper, la vivre et puis essayer de s’en sortir. Donc on est en train de monter un projet qui est vachement intéressant. Qui mélange plein de trucs. On le fait au quotidien, et on a plein de discussions très sympas. Et moi j’avais envie de parler avec plein de chercheurs qui viennent des sciences complètement différentes.

Éléa : Ouais c’est toujours de belles rencontres de voir des gens qui n’ont pas du tout la même approche du sujet qu’on traite.

Yves : Et puis déjà la notion d’un terme. L’habitabilité n’a pas du tout la même définition si on est biologiste, anthropologue, astrophysicien, et en fait c’est assez rigolo déjà d’être capable de dégager un langage commun tout en ayant des approches différentes. Moi j’essaye de le faire parce que je ne suis pas astrophysicien de formation mais je travaille beaucoup avec des astrophysiciens. Et c’est une partie que je trouve vraiment ultra intéressant c’est d’arriver à dégager un langage commun et de se comprendre tout en amenant, nos propres spécificités, nos propres points de vue. Quand on arrive à faire ça – ce n’est pas tous les jours qu’on y arrive parce que c’est pas simple, ça demande des efforts intellectuels assez importants parce qu’il faut vraiment faire l’effort de comprendre l’autre communauté ; mais quand on y arrive, généralement, ça c’est vraiment cool. Ça c’est un des trucs que je pense que les financeurs ne comprennent pas bien. Ils ont l’impression qu’en marquant interdisciplinaire sur un projet tout va se mettre et être interdisciplinaire. L’interdisciplinarité c’est un processus ultra lent, ça se construit. Tout ceux qui en font, ils disent que ça met 10 ans à se développer quoi. Mais c’est un truc vraiment qui est ultra intéressant. Moi j’aimerais bien aller vers de l’interdisciplinarité, mais lentement. Parce que c’est comme ça que ça marche.

Éléa : Peut-être que d’autres gens qui travaillent sur ces notions là et qui écouteront le podcast te recontacteront et feront ensuite à ton appel. En tout cas, nous on essaiera de suivre ce que ça donne ce projet habitabilité. Tu pourras peut-être venir nous en reparler, on ne sait pas !

Yves : Bah ouais avec plaisir.

Éléa : Est-ce qu’il y a encore des questions dans la chatroom ? Alexa ? Cleora ? Vous voulez rajoutez quelque chose ?

Alexa : Non, moi j’ai beaucoup aimé ce que tu as dit sur l’interdisciplinarité. J’ai un peu les mêmes problèmes que toi donc ça fait vraiment écho. C’est dur de parler parfois entre différentes communautés, champs disciplinaires etc. Quand on y arrive c’est chouette.

Yves : Ouais complètement. Mais effectivement, *rires*, c’est pas simple. Mais c’est ça qui est cool aussi.

Éléa : On arrive à la fin de cette émission, et il me semble Yves que tu as ramené une citation.

Yves : Ouais, tu m’as demandé une citation au début. Euh… Je ne suis pas très bon en citation. Et en fait, je me souvenais d’une citation que j’avais mise dans mon intro de thèse qui semblerait être de Simon de Beauvoir, mais visiblement c’est pas très clair cette histoire, qui est : « On ne peut pas toujours regarder la mer en pensant au prix du poisson. » Je la trouve assez rigolote parce qu’il y a plein de manière de l’interpréter. Moi, ma manière de l’interpréter, c’est de dire qu’on a des dizaines de centres d’intérêt dans la vie. C’est pas parce qu’on fait de la science qu’il ne faut pas aller regarder ailleurs. C’est pas parce qu’on fait une science qu’on peut pas aller regarder les autres sciences. Donc euh… c’est pas parce qu’on balade au bort de la mort qu’il faut forcément penser au prix du poisson. On peut aussi penser aux montagnes en étant au bord de la mer.

Éléa : Je pense que le message aura de l’écho et de la répercussion à chaque auditeur du podcast. C’est bien de faire plein de chose et s’intéresser à plein de choses. On apprend toujours plus qu’en se focalisant sur quelque chose tout seul. Ça fait écho aussi à ton appel sur l’interdisciplinarité donc c’est très bien et je pense que c’est une superbe conclusion pour ce podcast.
Bah merci beaucoup Yves d’avoir pris le temps pour en parler. Et puis, bah voilà, on arrive malheureusement à la fin de cette émission qui était passionnante. Grâce à Yves ce soir, vous savez que pour trouver l’origine de l’eau sur Terre, il suffit parfois de regarder en l’air et que les météores nous réservent parfois des réponses inattendues ! En tout cas le ciel n’a pas forcément dû nous tomber sur la tête pour que l’eau apparaisse, au tout début de la planète Terre. Et vous serez la prochaine fois en ouvrant votre robinet ! Merci à tous d’être toujours aussi nombreux et nombreuses à nous écouter. On se retrouve la semaine prochaine sur Podcast Science et que servir la science soit votre joie !

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